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Grozdana Ćećez

 

… il m’a déshonorée, je ne serai plus jamais la même.

 

 

Grozdana Ćećez, Serbe de Bosnie, évoque ce qu’elle a éprouvé après avoir été violée à plusieurs reprises par Hazim Delić, dans le camp de prisonniers de Čelibići, situé près de Konjić en Bosnie-Herzégovine. Hazim Delić a ensuite été condamné par le TPIY. Elle a témoigné les 17 et 18 mars 1997 lors du procès de Zdravko Mucić, Hazim Delić, Esad Landžo et Zejnil Delalić.

 

 

Lire son histoire et son témoignage

Lorsque la guerre a éclaté en Bosnie-Herzégovine en 1992, Grozdana Ćećez, 43 ans, mariée et mère de famille, tenait un magasin et habitait à Donje Selo, un village dont la population était majoritairement serbe, situé à deux kilomètres environ de la ville de Konjić, au centre du pays. Elle et son mari, Lazar Ćećez, ancien policier, avaient deux enfants : un fils, Duško, et une fille qui avait quitté la Serbie en 1992.

« Je n’arrivais pas à comprendre ce qui m’arrivait. Je ne pouvais pas croire qu’on était au XXe siècle et que quelqu’un puisse faire des choses pareilles. » Hazim Delić lui a ensuite enlevé le reste de ses vêtements, l’a retournée sur le dos et l’a violée de nouveau.

Le 20 mai 1992, Grozdana Ćećez était dans son jardin quand elle a vu passer plusieurs voitures, dont deux de la police, près du cimetière serbe. Elle est allée réveiller son mari et celui ci a pris la fuite derrière la maison. Son fils s’est également enfui. Mme Ćećez a déclaré que, dans un premier temps, elle ne les avait pas suivis, car elle pensait qu’il ne lui arriverait rien de grave, mais que, voyant descendre de voiture des hommes en tenue de camouflage, elle s’était enfuie à son tour dans les bois.

Pendant sept jours, Grozdana Ćećez s’est cachée dans une grotte, puis dans la cave de son beau frère. Se réfugiant d’un endroit à l’autre, elle a vu de nombreuses maisons serbes, en flammes (y compris la sienne). Le 27 mai 1992, elle a été capturée et emmenée au camp de prisonniers de Čelibići.

À son arrivée, Grozdana Ćećez a été conduite dans une petite pièce où se trouvait un homme avec une jambe bandée, qui s’appuyait sur une béquille. Cet homme, qu’elle a par la suite identifié devant le TPIY comme étant l’accusé, Hazim Delić, commandant adjoint du camp, lui a demandé où se trouvait son mari, Lazar. Grozdana Ćećez a répondu qu’elle n’en savait rien, et il s’est mis à la gifler. Hazim Delić et deux autres hommes l’ont ensuite emmenée dans une autre pièce où se trouvaient plusieurs lits. Hazim Delić lui a ordonné d’enlever ses vêtements.

Grozdana Ćećez lui a dit qu’elle ne comprenait pas ce qu’il voulait. Elle pensait qu’il allait la frapper. Hazim Delić lui a retiré une partie de ses vêtements, l’a renversée sur le lit et couchée sur le ventre et l’a violée, en présence des deux autres hommes. « Je n’arrivais pas à comprendre ce qui m’arrivait. Je ne pouvais pas croire qu’on était au XXe siècle et que quelqu’un puisse faire des choses pareilles. » Hazim Delić lui a ensuite enlevé le reste de ses vêtements, l’a retournée sur le dos et l’a violée de nouveau.

« Il m’a déshonorée », a-t-elle déclaré, « je ne serais plus jamais la même. ». Alors qu’elle était en larmes et qu’elle se demandait ce qui lui arrivait, Hazim Delić lui a dit qu’elle était là à cause de son mari, Lazar.

Environ une heure après le viol et après que Hazim Delić eut quitté la pièce, le commandant du camp de Čelibići, Zdravko Mucić (également condamné par le TPIY par la suite), et Rale Mušinović, dont le cousin était l’ancien supérieur de son mari dans la police, sont venus la voir dans sa cellule. Zdravko Mucić lui a demandé où se trouvait son mari et si quelqu’un l’avait touchée. Elle n’a pas osé dire la vérité, Hazim Delić lui ayant ordonné de se taire. Mais, selon elle, les deux hommes pouvaient voir qu’elle avait été violée. Elle a déclaré que, puisque Rale Mušinović avait remarqué qu’elle ne portait pas de bague au doigt (elle lui avait dit qu’elle l’avait donnée à sa fille), il devait aussi avoir vu qu’il restait une grande trace de sperme sur le lit.

«« Je l’ai supplié de me tuer pour que je ne reste pas ici toute seule. » Elle lui a raconté ce qui s’était passé et a beaucoup pleuré. Il lui a dit que cela ne se reproduirait plus. Il avait tort.

Lors de sa troisième nuit au camp de Čelibići, Grozdana Ćećez a été conduite dans un autre bâtiment. Vers 23 heures, un jeune homme est entré dans la pièce où elle était détenue et lui a ordonné d’enlever ses vêtements. Il portait un uniforme et était armé d’un couteau et d’un fusil. Elle a essayé de l’arrêter en lui disant : « Mais qu’est-ce que tu veux faire de moi, je suis une vieille femme. » Il lui a répété d’enlever ses vêtements et l’a violée. Plus tard, un autre jeune homme est arrivé. Grozdana Ćećez a fondu en larmes. Il lui a demandé de se déshabiller et, à son tour, l’a violée.

La même nuit un troisième jeune homme est entré dans sa cellule. Grozdana Ćećez lui a demandé s’ils s’étaient déjà rencontrés : « Est-ce que vous ne fréquentiez pas le même camp de vacances que mon fils ? ». Ils ont échangé quelques mots, puis il l’a violée. Après quoi il lui a dit : « Tu vois comment ça baise, un Turc ? » Avant de la quitter il lui a ordonné de ne rien dire à personne. Un quatrième homme est venu et l’a violée, mais comme la lumière de la bougie était éteinte, elle n’a pas pu voir qui il était.

Grozdana Ćećez ne parvenait pas à comprendre ce que voulaient tous ces jeunes hommes, car elle était en âge d’être leur mère. Elle a également expliqué que c’était difficile pour elle, car, a-t-elle déclaré : « J’étais la femme d’un seul homme et il était toute ma vie. Mon corps ne m’appartenait plus. » Elle se demandait comment il lui serait possible de retourner auprès de son mari et de ses enfants. Le lendemain, elle a parlé à Rale Mušinović : « Je l’ai supplié de me tuer pour que je ne reste pas ici toute seule. » Elle lui a raconté ce qui s’était passé et a beaucoup pleuré. Il lui a dit que cela ne se reproduirait plus. Il avait tort.

Grozdana Ćećez est restée dans le bâtiment pendant le reste de sa détention au camp de Čelibići, dormant dans une pièce avec cinq à sept autres femmes. Les détenues n’avaient ni endroit pour se laver, ni eau chaude. Elles avaient un broc bleu en plastique dans lequel elles lavaient leurs sous vêtements et qu’elles utilisaient pour uriner la nuit, ayant peur de sortir. Pendant les trois mois et demi qu’elle a passés en détention, on ne leur a donné que deux savons et une tasse et demi de détergent à se partager. Mais, pour Grozdana Ćećez, c’est la nourriture qui leur a manqué le plus. Pendant 42 jours, on ne leur a donné qu’un seul morceau de pain. Puis, de la soupe et des haricots secs. Plus tard, quand la direction du camp a autorisé des personnes de l’extérieur à apporter de la nourriture aux détenus, sa sœur lui a parfois apporté à manger. Grodzana Ćećez a perdu 34 kilos à cette époque, et se sentait très affaiblie.

Une nuit de juillet, elle a été emmenée hors du camp. Quand les gardes sont venus la chercher, elle a tenté de protester, disant qu’elle ne pouvait aller nulle part à cause de ses règles. Puis Hazim Delić s’est précipité dans sa cellule, l’a insultée, l’a saisie et l’a forcée, avec un autre gardien, à monter dans une voiture. Grozdana Ćećez était terrifiée, pensant qu’ils allaient la tuer ou la jeter dans un trou, car elle avait entendu dire qu’il y avait un trou dans lequel on jetait les hommes.

La voiture est passée devant une caserne où se trouvaient trois ou quatre soldats. Un civil, dont elle a appris plus tard le nom, Nurko Tabak, s’est approché d’elle et l’a emmenée dans un hangar, au fond duquel se trouvait un lit. Elle a tenté de protester, disant qu’elle avait ses règles. Elle lui a cité le nom de tous les membres de sa famille qui avaient été tués : Milijan, Velimir, Željko, Pero, Mirko et Vlado Ćecez, et d’autres encore, des proches, des familles Ninković et Kuljanin. Tout ce que Tabak a dit c’est : « Ne parlons pas d’eux, parlons de sexe. » Il l’a jetée sur le lit et l’a violée. Il sentait l’eau-de-vie. C’était la dernière fois qu’elle se faisait violer.

À propos de tout ce qu’elle avait enduré au camp, Grozdana Ćećez a déclaré : « Psychologiquement et physiquement, j’étais complètement épuisée. On m’a tuée psychologiquement. » Elle a également voulu se suicider, en tentant d’introduire une épingle en métal dans une prise électrique de la salle de bain. Une codétenue, violée elle aussi, l’a saisie par l’épaule et l’en a empêché.

Grozdana Ćećez a été libérée le 31 août 1992. Durant ses trois mois de détention, elle n’a eu aucune nouvelle de son mari et de son fils. Elle a appris que son fils avait rejoint le territoire contrôlé par les Serbes. Le 5 décembre 1992, elle a identifié la dépouille mutilée de son mari.
 

Grozdana Ćećez a témoigné les 17 et 18 mars 1997 lors du procès de Zdravko Mucić, Hazim Delić, Esad Landžo, et Zejnil Delalić. Le Tribunal a reconnu Hazim Delić, commandant adjoint du camp, devenu commandant par la suite, coupable du viol de Grozdana Ćećez et d’autres crimes. Il a été condamné à une peine de 18 ans d’emprisonnement. Ce jugement est historique car pour la première fois, avec la condamnation d’un accusé pour cet acte, le viol est devenu une forme de torture punie par le droit international.

Le Tribunal a également condamné le commandant du camp, Zdravko Mucić, à une peine de 9 ans d’emprisonnement, après l’avoir déclaré coupable des crimes commis par ses subordonnés au camp de Čelibići, dont ceux commis par le gardien Esad Landžo, condamné pour sa part à 15 ans de prison. Le commandant de l’armée de Bosnie-Herzégovine, Zejnil Delalić, a été acquitté au motif qu’il n’exerçait pas de commandement ni de contrôle suffisants sur le camp de Čelibići et sur ses gardiens pour être tenu pénalement responsable en tant que supérieur hiérarchique de leurs crimes.

> Lire le témoignage intégral de Grozdana Ćećez

 

 

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