Site Internet consacré à l’héritage du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie

Depuis la fermeture du TPIY le 31 décembre 2017, le Mécanisme alimente ce site Internet dans le cadre de sa mission visant à préserver et promouvoir l’héritage des Tribunaux pénaux internationaux.

 Consultez le site Internet du Mécanisme.

Viol collectif, torture et réduction en esclavage de femmes musulmanes: pour la première fois le TPIY établit un acte d’accusation portant exclusivement sur des crimes sexuels

Communiqué de presse
(Destiné exclusivement à l'usage des médias. Document non officiel)
 

La Haye, 27 juin 1996
CC/PIO/093F


Viol collectif, torture et réduction en esclavage de femmes musulmanes:
pour la première fois le TPIY établit un acte d’accusation portant exclusivement sur des crimes sexuels

À Foča (au sud-est de la Bosnie-Herzégovine) des femmes musulmanes ont été systématiquement soumises à des viols collectifs, à la torture et à la réduction en esclavage, par des soldats serbes de Bosnie, des policiers et des membres de groupes paramilitaires, après la prise de la ville en avril 1992. Ces faits allégués font l’objet d’un acte d'accusation clé établi par le Tribunal international et portant spécifiquement sur des crimes sexuels.

L’acte d'accusation met en cause Dragan Gagović, Gojko Janković, Janko Janjić, Radomir Kovač, Zoran Vuković, Dragan Zelenović, Dragoljub Kunarac et Radovan Stanković pour crimes contre l’humanité, infractions graves aux Conventions de Genève et violations des lois ou coutumes de la guerre. L’acte d’accusation a été confirmé par le Juge Vohrah le 26 juin 1996. Des mandats d’arrêt ont été établis à l’encontre des accusés le 26 juin et transmis aux autorités de la Fédération de Bosnie-Herzégovine et de Republika Srpska.

Cet acte d'accusation est particulièrement important sur le plan juridique dans la mesure où, pour la première fois, l’Accusation a mené une enquête approfondie sur des sévices sexuels afin de les sanctionner sous les chefs d’accusation de torture et de réduction en esclavage, constitutifs de crimes contre l’humanité.

Allégations générales

D’après l’acte d’accusation, la municipalité de Foča est passée sous le contrôle de l’Armée des Serbes de Bosnie, avec l’aide d’unités paramilitaires, dont certaines venaient de Serbie et du Monténégro, entre avril et juillet 1992. Les soldats ont séparé les hommes et les femmes.

Les hommes étaient principalement détenus au Kazneno-popravni Dom de Foča (« KP Dom »), l’une des plus grandes prisons de l’ancienne République socialiste fédérative de Yougoslavie.

La prison KP Dom de Foča fait partie de plusieurs centres de détention mentionnés dans l’acte d’accusation établi contre Radovan Karadžić et Ratko Mladić (confirmé le 25 juillet 1995) sous les chefs 1 et 2 (en tant que génocide et crimes contre l’humanité).

Les femmes, les enfants et les personnes âgées musulmans étaient détenus dans des maisons, des appartements et des motels de la ville de Foča ou des villages environnants ou dans des centres de détention à court ou à long terme, tels que Buk Bijela, le lycée de Foča et le centre sportif Partizan.

En outre, bon nombre de femmes détenues ont connu des conditions de vie humiliantes et dégradantes, dans des maisons et des appartements tenus comme des lieux de passe et administrés par des groupes de soldats, essentiellement paramilitaires.

De nombreuses femmes détenues, qui n’avaient parfois que 12 ans, ont connu « des conditions de vie humiliantes et dégradantes, ont été violemment battues et ont été victimes de sévices sexuels, notamment de viols (. . .)»

En l’espèce, la période couvrant cette détention illégale, ainsi que d’autres crimes, est comprise  entre avril 1992 et février 1993. Le chef de la police locale, Dragan Gagović, avait connaissance de ces crimes, au moins implicitement, ainsi que d’autres personnes occupant des postes d’autorité, tels que des commandants adjoints de la police militaire. Au moins une fois, Dragan Gagović a violé une femme en réponse aux plaintes qu’elle était venue lui adresser au sujet des sévices sexuels incessants infligés aux femmes.Les sévices avaient pour but, entre autres, de contraindre les femmes à donner des informations sur les lieux où se trouvaient les hommes de leur entourage et sur l’existence potentielle d’une résistance armée. Les viols leur étaient également infligés afin de les punir,de les intimider, et pour des raisons fondées sur la discrimination.

Les victimes

L’acte d'accusation reproche aux accusés des crimes perpétrés à l’encontre d’au moins 14 victimes, auxquelles il est fait référence dans l’acte d’accusation par des noms de code et des initiales.

Ces femmes ont été, avec d’autres, presque continuellement soumises à des viols et à des sévices sexuels. Elles ont également subi des tortures et d’autres sévices. D’après l’acte d'accusation, « [l]a santé physique et psychologique de bon nombre des détenues s’est sérieusement détériorée en raison de ces violences sexuelles. Certaines des femmes souffraient d’épuisement, de pertes vaginales, de dysfonctionnement de la vessie et de flux menstruels irréguliers. Les détenues vivaient dans une angoisse permanente. Certaines des femmes qui ont fait l’objet de sévices sexuels avaient envie de se suicider. D’autres sont devenues indifférentes à ce qui allait leur arriver et ont basculé dans la dépression (. . .)».

« Un grand nombre d’entre-elles souffraient en permanence de problèmes gynécologiques dus aux violences sexuelles (. . .) Toutes les femmes qui ont été victimes de sévices sexuels ont été traumatisées psychologiquement et émotionnellement; ce traumatisme persiste chez certaines. » 

Le calvaire d’une jeune fille: l’histoire de fws-87

Si toutes les femmes citées dans l’acte d'accusation ont été victimes de sévices atroces et incessants, le calvaire enduré par la jeune fille portant dans l’acte d’accusation le nom de code « FWS-87 » illustre tout à fait le type de crimes auxquels ces femmes étaient soumisses.

Il est allégué dans l’Accusation que, alors qu’elle n’était âgée que de 15 ans lorsqu’elle a été placée en détention pour la première fois en juillet 1992, FWS-87 a été victime pendant au moins huit mois de torture, infligée de façon routinière, notamment sous forme de viol collectif et de réduction en esclavage alors qu’elle étaient à la merci d’accusés tels que Gojko Janković, Janko Janjić, Radomir Kovač, Zoran Vuković, Dragan Zelenović, Dragoljub Kunarac et Radovan Stanković, ainsi que d’innombrables autres soldats non identifiés.

FWS-87 a d’abord été détenue dans le complexe de Buk Bijela, au bord de la rivière Drina, le 3 juillet 1992 ou vers cette date. Elle y a été interrogée par Dragan Zelenović et trois hommes non identifiés. Ils l’ont ensuite violée à tour de rôle. L’un des soldats l’a violée tout en appuyant un revolver contre sa tête. Durant les sévices, FWS-87 a ressenti de très fortes douleurs, suivies de pertes de sang importantes.

Entre le 3 et le 13 juillet 1992, FWS-87 a été transférée au lycée de Foča

avec au moins 72 autres habitants musulmans de la ville. FWS-87 a fait partie des femmes à qui, à partir du deuxième jour de détention, tous les soirs, des groupes de soldats serbes faisaient subir des violences sexuelles, notamment des viols collectifs, dans des classes ou dans des appartements d’immeubles voisins. Le groupe de soldats susmentionné se composait de membres de la police militaire qui se faisaient appeler les « Gardes de Cosa », d’après le nom du commandant local de la police militaire, Cosović. Les accusés Gojko Janković,  Dragan Zelenović, Janko Janjić et Zoran Vuković se trouvaient parmi ces groupes de soldats. Ils menaçaient de tuer les femmes si elles refusaient de se soumettre aux violences sexuelles. Celles qui essayaient de résister aux sévices étaient battues.

Vers le 6 ou le 7 juillet 1992, FWS-87 a été violée par Zoran Vuković tandis que d’autres détenues étaient violées dans la même pièce.

Entre le 8 et le 13 juillet, l’accusé Dragan Zelenović, a violé avec un groupe de soldats, FWS-87 et une autre jeune femme, au moins à cinq reprises, en plus de celle mentionnée plus haut.

Au cours de cette même période, FWS-87 a été emmenée hors du lycée de Foča et conduite à un appartement situé à proximité et appartenant à Dragan Zelenović, où elle a été violée à au moins cinq reprises. Zoran Vuković et Dragan Zelenović l’ont violée dans cet appartement.

Vers le 13 juillet 1992, FWS-87 et les autres détenus du lycée de Foča ont été transférés au centre sportif Partizan. Alors qu’elles y étaient détenues, jusqu’aux environs du 2 août 1992, FWS-87 et d’autres femmes ont été continuellement violées et soumises à d’autres violences sexuelles perpétrées par d’innombrables soldats et par les accusés Dragan Zelenović, Zoran Vuković et Dragoljub Kunarac. L’accusé Dragan Gagović avait une connaissance réelle ou implicite de ces crimes. FWS-87 a voulu se suicider en raison de ces violences sexuelles.

Le 2 août 1992, elle a été transférée, avec d’autres femmes musulmanes de Bosnie, dans une maison de Foča appartenant à un Musulman qui vivait en Allemagne. Certaines de ces femmes n’avaient pas plus de 12 ans. La maison était tenue à la manière d’un lieu de prostitution par l’accusé Radovan Stanković. Les femmes y ont été retenues prisonnières jusqu’au 30 octobre 1992.

FWS-87 et les autres femmes détenues dans la maison étaient non seulement traitées comme des esclaves sexuelles mais également contraintes de travailler pour les soldats, de laver leurs uniformes, de faire la cuisine et de nettoyer la maison. Dans cette maison, FWS-87 a également été contrainte de faire du nettoyage et de la cuisine pour d’autres soldats, dans d’autres bâtiments. Elle a eu envie de se suicider pendant toute la durée de sa détention en ce lieu.

Le 30 octobre 1992 ou vers cette date, FWS-87 et d’autres femmes ont été remmenées à Foča, où elles ont été détenues dans différents appartements et maisons de Foča. Elles ont été violées et soumises à des violences sexuelles à de nombreuses reprises par les accusés Dragan Zelenović, Gojko Janković et Janko Janjić.

Entre le 31 octobre 1992 et jusqu’au 25 février 1993 ou vers cette date, FWS-87 a été réduite en esclavage par Radomir Kovač dans un appartement d’un immeuble de Foča. Elle subissait fréquemment, avec d’autres femmes retenues prisonnières, des sévices sexuels, infligés par l’accusé Radomir Kovač et par d’autres. Elles devaient également s’acquitter de corvées ménagères.

Le 25 février 1993 ou vers cette date, RADOMIR Kovač a vendu FWS-87 et une autre femme pour un prix de 500 Deutschmarks chacune à deux soldats monténégrins non identifiés.

L’enquête et la stratégie

L’acte d'accusation rendu public aujourd’hui est le résultat d’une enquête qui a débuté à la fin de l’année 1994.

Cet acte d’accusation illustre tout à fait la stratégie du Bureau du Procureur, à savoir :

- Enquêter sur le fonctionnement des centres de détention après la prise du pouvoir dans certaines portions du territoire de Bosnie-Herzégovine par les forces Serbes de Bosnie;

- Accorder une importance particulière aux crimes sexuels. « Nous avons toujours considéré qu’il était important, dans le cadre de notre mission, de redéfinir et de renforcer la place de ce type de crimes dans le contexte du droit international humanitaire », a déclaré récemment Justice Goldstone.

Les accusés

L’acte d’accusation (pages 2-3) contient des informations personnelles au sujet des huit accusés.

Il convient toutefois de souligner ce qui suit:

- Les accusés sont âgés de 27 à 41 ans;

- Six d’entre eux occupaient des postes à responsabilité en tant que chef de la Police de Foča (Dragan Gagović) ou en tant que commandants adjoints de la police militaire (Gojko  Janković; Janko Janjić; Radomir Kovač; Zoran  Vuković et Dragan Zelenović).

- Sept d’entre eux, dont les six mentionnés plus haut, étaient des chefs paramilitaires. Ils appartenaient tous les huit à des groupes d’élite paramilitaire.

Les chefs d'accusation

L’acte d’accusation confirmé aujourd’hui contre les huit accusés contient au total 62 chefs d’accusation de crimes contre l’humanité, d’infractions graves aux Conventions de Genève et de violations des lois ou coutumes de la guerre. Ces chefs d’accusation concernent en particulier les crimes suivants: viol; torture; atteintes à la dignité de la personne; persécutions pour des raisons politiques, raciales et/ou religieuses ; le fait de causer intentionnellement de grandes souffrances; réduction en esclavage et traitements inhumains.

*****
Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie
Pour plus d'informations, veuillez contacter notre Bureau de presse à La Haye
Tél.:
+31-70-512-8752; 512-5343; 512-5356 Fax: +31-70-512-5355 - Email: press [at] icty.org ()