Tribunal Criminal Tribunal for the Former Yugoslavia

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1 (Vendredi 26 avril 2002.)

2 (Audience sur requête de la défense.)

3 (L'audience est ouverte à 9 heures 35.)

4 (Audience publique.)

5 M. le Président (interprétation): Bonjour. Je vais demander à la Greffière

6 d'audience de donner le numéro de l'affaire.

7 Mme Dahuron (interprétation): Bonjour. Affaire IT-99-36-T, le Procureur

8 contre Radoslav Brdanin et Momir Talic.

9 M. le Président (interprétation): Merci, et je vais demander aux parties

10 de se présenter.

11 Mme Korner (interprétation) Je m'appelle Joanna Korner. Je suis ici avec

12 M. Andrew Cayley et je suis assistée de Mme Denise Gustin pour

13 l'accusation.

14 M. le Président (interprétation): Et pour la défense?

15 M. Ackerman (interprétation): Je m'appelle John Ackerman, je suis

16 accompagné de Mme Jevtovic et je défends les intérêts de Radoslav Brdanin.

17 M. le Président (interprétation): Est-ce que les accusés comprennent les

18 débats? M. Fauveau : Je suis Natacha Ivanovic Fauveau, je représente le

19 Général Talic. M. Brdanin (interprétation): Je vous comprends bien,

20 Monsieur le Président.

21 M. Talic (interprétation): Il y a un problème avec mes écouteurs; je

22 n'arrive pas à entendre quoi que ce soit.

23 M. le Président (interprétation): Merci. Veuillez vous asseoir.

24 M. Ackerman (interprétation): Je vous prie de m'excuser, Monsieur le

25 Président, mais le général Talic vient de nous dire qu'il n'est pas en

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1 mesure de suivre les débats. Ah, mais j'ai l'impression que maintenant les

2 choses se sont arrangées et qu'il entend.

3 M. le Président (interprétation): J'avais l'impression qu'il pouvait

4 entendre, que, d'après sa dernière réaction, tout était réglé.

5 M. Ackerman (interprétation): Je vous prie de m'excuser.

6 M. le Président (interprétation): Tout le monde est en mesure de suivre

7 les débats.

8 L'objectif de l'audience de ce matin est d'examiner une requête du 25

9 avril 2002 aux fins de dessaisissement de la Chambre de première instance

10 dans l'affaire Talic. Il s'agit là d'une question fort grave qui peut

11 mettre en péril la continuité du procès et, en tout cas, constituer une

12 menace pour l'atmosphère de confiance entre les parties dans le prétoire.

13 Indéniablement, cette requête montre que l'une des parties a perdu

14 confiance dans cet esprit de coopération qui est si nécessaire, en

15 particulier dans la procédure contradictoire. De ce fait, il est

16 nécessaire de réagir de manière aussi rapide que possible à cette requête,

17 quelle qu'en soit l'issue.

18 Bien que cette procédure soit extrêmement formelle, je voudrais au départ

19 prononcer quelques propos liminaires.

20 J'invite les parties, tout au long des discussions relatives à cette

21 requête, je les invite donc à faire preuve de mesure, même si les

22 questions dont nous avons à discuter aujourd'hui peuvent par nature

23 provoquer un certain émoi parmi les parties, alors que des avocats dignes

24 de ce nom doivent toujours faire preuve de calme et ne jamais se laisser

25 entraîner par la colère. Et ceci est particulièrement vrai au sein d'un

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1 Tribunal international.

2 Les Juges du Tribunal international et, dans une certaine mesure, les

3 participants au procès devant un tel Tribunal, n'ont pas seulement pour

4 mandat d'entendre une affaire, d'entendre un procès. Ce que nous faisons

5 ici, c'est que nous menons à bien également une mission de maintien de la

6 paix, et il faut toujours avoir cela à l'esprit lorsqu'il s'agit de

7 traiter de questions aussi délicates que celles que nous avons à examiner

8 aujourd'hui.

9 Je souhaiterais citer une partie de la résolution du Conseil de sécurité

10 827 de 1993. Kofi Annan avait déclaré que le Tribunal devait contribuer à

11 la restauration et au maintien de la paix. Et de mon point de vue, ce

12 fait, cette déclaration doit se ressentir dans notre comportement à tous

13 dans le cadre de ces procès, ayant personnellement une grande expérience

14 des prétoires, aussi bien du côté de la défense que de l'accusation, je

15 sais qu'il ne sert à rien de simplement se voiler la face et de prétendre

16 que les problèmes n'existent pas.

17 Je pense qu'il convient de faire preuve d'équité les uns envers les autres

18 dans un environnement qui est très particulier.

19 Pourquoi est-il si particulier? Eh bien, parce qu'il convient que,

20 toujours, nous ayons à l'esprit le fait que nous devons ici concilier des

21 traditions juridiques qui sont fort différentes. Le droit romano-

22 germanique, le droit de type "Common Law".

23 Certains des Juges ici ont un parcours qui est plutôt marqué par la

24 carrière diplomatique, d'autres viennent du droit pénal. Ce qui fait que

25 parfois, il y a un certain nombre d'incompréhensions qui se manifestent,

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1 qu'il y a parfois des difficultés pour se comprendre.

2 Un exemple: dans le Règlement, il est stipulé que l'on peut faire… On peut

3 demander après l'audition des moyens à charge, on peut demander à la

4 Chambre déjà de se prononcer. Ceci est complètement inimaginable dans le

5 système d'où je viens. Dans le système d'où je viens, on qualifierait les

6 Juges se livrant à une telle pratique de Juges partiaux.

7 Il y a d'autres procédures qui sont adoptées ici dans ce Tribunal et qui

8 sont très surprenantes pour quelqu'un qui vient d'un système romano-

9 germanique. Le fait qu'il n'y ait pas de contact entre les Juges et le

10 Procureur, le fait qu'il faille passer par des juristes pour ce faire,

11 etc., ceci crée des difficultés supplémentaires. Et c'est la raison pour

12 laquelle, et je suis sûr que vous connaissez toutes les décisions qui ont

13 été prises relatives au dessaisissement des Juges, c'est donc pourquoi

14 dans certains arrêts, dans certains jugements, on a fixé un seuil pour

15 déterminer ce type d'affaire et ce seuil est assez exigeant, pour toutes

16 les raisons que je viens d'évoquer.

17 Aujourd'hui, nous sommes réunis en vertu de l'Article 15B) du Règlement.

18 Je cite. "Toute partie peut solliciter du Président de la Chambre qu'un

19 Juge de la Chambre soit dessaisi d'une affaire en première instance ou en

20 appel pour les raisons ci-dessus énoncées. Après que le Président de la

21 Chambre en ait conféré avec le Juge concerné, le bureau statue, si

22 nécessaire. Si le bureau donne suite à la demande, le Président désigne un

23 autre Juge pour remplacer le Juge dessaisi."

24 Déjà ici -c'est la raison pour laquelle j'ai cité cet extrait du

25 Règlement-, déjà ici, on voit une différence puisqu'il y a d'autres

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1 systèmes juridiques où l'on pourrait conclure que la requête qui nous a

2 été présentée est inacceptable puisqu'on y parle du dessaisissement de la

3 Chambre de première instance.

4 Ainsi, par exemple dans mon pays, dans mon système, une telle requête

5 serait rejetée immédiatement parce que cette requête ne traite pas d'une

6 faute ou d'un comportement inacceptable d'un Juge ou de trois Juges, mais

7 de la totalité de la Chambre. Dans mon système, on ne peut pas dessaisir

8 ou contester toute une Chambre en même temps, ceci à titre d'illustration

9 pour vous montrer les difficultés qui sont les nôtres.

10 Ceci étant dit, je ne veux nullement dire que la requête présentée est

11 inadmissible. Je souhaite simplement insister sur le fait qu'il y a

12 diverses démarches qui existent.

13 L'Article 15B) n'est pas très éloquent quant à la manière de procéder.

14 Bien entendu, on dit ici que le Juge, le Président de la Chambre confère

15 avec le Juge concerné. Et quant à moi, j'ai convoqué officiellement les

16 trois Juges et je vais vous faire part immédiatement de la teneur et de

17 l'issue de nos débats.

18 On ne parle pas ici d'audience dans cet Article. Mais moi,

19 personnellement, j'interprète toujours le Règlement en ayant à l'esprit

20 les instruments relatifs aux Droits de l'Homme et en particulier la

21 convention européenne sur les Droits de l'Homme.

22 C'est la raison pour laquelle j'estime nécessaire, après en avoir conféré

23 avec les Juges concernés, j'estime nécessaire de vous informer de ce qui

24 s'est passé parce que tout ceci relève du droit d'être entendu avant

25 qu'une décision ne soit prise.

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1 Et comme vous pouvez le voir –ceci peut faire l'objet de discussions-,

2 l'Article stipule que le Président de la Chambre peut statuer mais que,

3 s'il le juge nécessaire, il peut renvoyer l'affaire au bureau.

4 C'est la raison pour laquelle hier dans ma première décision, je vous ai

5 conviés à une réunion au terme de l'Article 65ter)I), mais on m'a fait

6 savoir que les deux parties souhaitaient qu'une audience soit tenue en

7 public -je comprends pourquoi- en particulier dans le Tribunal qui est le

8 nôtre et qui travaille sur la base de le plus totale transparence. C'est

9 la raison pour laquelle nous sommes réunis ici et que nous allons pouvoir

10 discuter de la question qui nous est posée.

11 Cette question se limite à la requête qui nous a été présentée, et

12 j'inviterai les parties à faire preuve de mesure, à se contrôler et à ne

13 pas dépasser le champ de la requête présentée le 25 avril 2002.

14 Nous allons essayer de procéder par ordre et je vais donc demander aux

15 parties de traiter des questions de faits et, ultérieurement, des

16 questions de droit sur la base de décisions rendues précédemment par le

17 Tribunal en ce qui concerne le dessaisissement des Juges.

18 Je souhaite vous faire part maintenant de l'issue de ma réunion avec les

19 Juges contestés, et je souhaiterais demander à M. l'huissier de bien

20 vouloir distribuer le compte rendu de cette réunion.

21 (Intervention de l'huissier.)

22 L'interprète: Les interprètes peuvent-ils obtenir un exemplaire?

23 M. le Président (interprétation): Je vais donner lecture du procès-verbal

24 de cette réunion qui a eu lieu le 26 avril à 8 heures 30, suivant une

25 ordonnance délivrée hier.

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1 "Procès-verbal de la réunion entre les Juges Schomburg, Taya, Agius et

2 Janu au sujet de la requête aux fins de saisissement de la Chambre.

3 1."...

4 L'interprète: Les interprètes sont dans l'incapacité de travailler.

5 L'interprète n'a pas pu saisir le début de la requête ou du procès-verbal.

6 M. le Président (interprétation): "Quatrièmement, les Juges Janu et Taya

7 n'avaient jamais vu la liste des faits reconnus potentiels avant la

8 rencontre.

9 5. A aucun moment avant la rencontre préalable à la municipalité, à aucun

10 moment les Juges n'avaient parlé de l'ordre du jour de la réunion.

11 6. A aucun moment avant la réunion précédant la 'municipalité', les Juges

12 n'avaient évoqué la question des points d'accord potentiels de leur

13 présentation, ni de la liste.

14 7. Le Juge Agius savait que ses collaborateurs travaillant sur cette

15 affaire avaient préparé un ordre du jour relatif à cette réunion et

16 connaissaient les questions qui seraient discutées.

17 8. Le Juge Agius a donné pour instruction à ses collaborateur de consulter

18 les parties dans le cadre de cette réunion préalable à la 'municipalité'

19 afin d'identifier avec les parties les faits qui pouvaient faire l'objet

20 d'un accord. Ceci permettrait d'éviter le témoignage de certains témoins

21 au sujet de ces faits.

22 9. Le Juge Agius a consulté, avant la réunion relative à la 'pré-

23 municipalité', a consulté donc le juriste hors classe au sujet de la

24 réunion 'préalable à la municipalité'. Au cours de cette réunion, on a mis

25 l'accent sur les méthodes destinées à accélérer le procès autant que

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1 possible.

2 10. Le Juge Agius savait qu'il y avait une liste qui était en train d'être

3 préparée.

4 11. Le Juge Agius n'a pas participé à la rédaction de cette liste.

5 12. Le Juge Agius n'a jamais vu la liste distribuée avant la réunion

6 'préalable à la municipalité', mais il savait qu'elle avait été distribuée

7 aux parties un jour avant la réunion 'préalable à la municipalité' par ses

8 collaborateurs juridiques.

9 13. Le Juge Agius s'est vu remettre un mémo relatif à la réunion

10 'préalable à la municipalité' un jour avant la réunion. Ce mémo comprenait

11 également une liste de faits reconnus potentiels, mais n'était pas

12 identique à celui qui a été distribué aux parties, notamment le titre du

13 document distribué ne figurait pas sur le mémo remis au Juge Agius.

14 14. Si le Juge Agius avait vu le document avant sa distribution, il

15 n'aurait pas donné son accord au sujet de certaines parties du texte. Et

16 les passages sur lesquels il n'aurait pas donné son accord auraient

17 compris, notamment: l'introduction, le paragraphe relatif à la

18 responsabilité pénale de l'accusé, le paragraphe relatif à la composition

19 de la population de Sanski Most en 1995 et le paragraphe stipulant que le

20 camp de Manjaca appartenait au 1er Corps de la Krajina.

21 15. Les Juges Janu et Taya n'auraient pas donné leur accord à cette

22 version de la liste et n'auraient pas accepté qu'elle soit distribuée."

23 Voici donc le procès-verbal de la réunion qui a eu lieu en conformité avec

24 l'Article 15(B) du Règlement de procédure et de preuve.

25 Je vais maintenant me tourner vers les parties et leur demander

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1 d'intervenir brièvement, en parlant premièrement des faits et des points

2 de droit qui découlent de cette requête.

3 M. Ackerman (interprétation): Permettez-moi de commencer, Monsieur le

4 Président, au nom de M. Brdanin, si cela est possible.

5 J'ai écouté avec beaucoup d'attention vos remarques liminaires. Je les ai

6 bien entendues et, dans une grande mesure, j'y apporte mon agrément.

7 Je vais commencer par ce que vous nous avez présenté, à savoir ce compte

8 rendu de la réunion que vous avez eue avec les Juges.

9 Et je dois dire que l'issue de cette réunion confirme la vision que

10 j'avais de la situation et des faits. J'ai une déclaration préparée, une

11 déclaration commune des deux parties et j'espère que vous estimerez que

12 celle-ci est conforme aux instructions que vous avez édictées ce matin.

13 Hier, j'ai eu l'occasion d'intervenir au sujet de cette question à

14 plusieurs reprises de manière officieuse et officielle. A l'exception des

15 conseils de la défense qui m'ont compris sans aucune exception, à cette

16 seule exception, j'ai eu vraiment l'impression qu'on ne me comprenait pas

17 et c'est indéniablement ma faute. Je vais donc essayer de ré-expliquer à

18 nouveau.

19 En premier lieu, je dis que j'accepte tout à fait la déclaration faite par

20 M. Agius en audience publique hier, au nom de lui-même ainsi qu'au nom des

21 Juges Janu et Taya. J'accepte tout à fait, et je comprends qu'une Chambre

22 de première instance a le droit, voire même le devoir, de s'efforcer

23 d'amener les parties à des accords sur les faits de l'affaire qui ne

24 présentent aucun caractère litigieux raisonnable. Certains estiment que

25 l'objet de ma contestation, c'était que j'estimais que la Chambre ne

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1 disposait pas de ce droit. Or, ce n'est absolument pas le cas, puisque je

2 ne conteste pas que la Chambre de première instance ait ce droit.

3 Le 24 avril, on nous a remis un document qui, dans son préambule, nous

4 disait deux choses.

5 Premièrement, on nous disait que la Chambre avait demandé à l'accusation

6 une liste de faits sur lesquels les parties pouvaient se mettre d'accord

7 et ne contestaient pas. Il ressort du document qu'il s'agissait là d'une

8 communication ex parte. Qu'il s'agisse d'une communication ex parte ou

9 pas, moi, j'estime en tout cas que ce document n'est pas acceptable.

10 En revanche, une lettre à toutes les parties où l'on demande à

11 l'accusation de fournir une liste de faits à la défense pour qu'on arrive

12 à des points d'accord est tout à fait appropriée et correspond à

13 l'intention de la Chambre. Et s'il y avait une telle lettre, on aurait pu

14 se rendre compte que de tels accords auraient pu être possibles.

15 Je dois vous dire, parce que je pense que cela a une influence sur votre

16 décision maintenant, je pense que la probabilité de tels accords pour

17 l'avenir est beaucoup plus restreinte. Je ne peux conclure d'accord sur

18 des faits que si mon client me donne son aval. Or, ceci ne peut se

19 produire.

20 Deuxième chose que l'on peut lire dans l'introduction de ce document:

21 c'est que, s'agissant de la partie de l'affaire qui concerne Sanski Most,

22 la Chambre de première instance avait elle-même établi une liste de faits.

23 Un grand nombre de questions découlent de ceci, des questions qui se

24 posent immédiatement.

25 Comment la Chambre de première instance en est-elle arrivée à établir

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1 cette liste?

2 A partir de quelle source la Chambre a-t-elle établi cette liste de faits

3 allégués?

4 Quels critères ont-ils été utilisés par la Chambre pour inclure un certain

5 nombre de faits et en exclure d'autres?

6 Comment se fait-il que la Chambre de première instance se soit trompée à

7 un tel point en présentant un certain nombre de faits?

8 Est-ce qu'on n'a pas entendu les témoins ici?

9 Comment se fait-il que la Chambre de première instance ait inclus des

10 faits qui font l'objet de discussions assez vives depuis le début du

11 procès?

12 Est-ce qu'il s'agit d'une liste dont la Chambre de première instance

13 estime, après réflexion, que la défense ne peut les contester?

14 Quel prix va payer l'accusé s'il refuse de convenir de la liste proposée

15 par la Chambre?

16 Voici toute sorte de questions qui sont liées directement à la question de

17 savoir si nous avons ici à faire à un procès équitable devant un Tribunal

18 juste.

19 J'accepte le fait que les trois Juges n'avaient absolument pas

20 connaissance de ce document, sous réserve de ce que vous nous avez dit ce

21 matin et de ce que vous avez appris suite à vos consultations au Juges

22 Agius. Cependant, les Juges ont permis que ceci se produise, soit par leur

23 action, soit par un défaut d'action.

24 Mais, en fait, peu importe qui a présenté ou qui a compilé ce document. Ce

25 document venait de la Chambre; il a été établi par des gens qui ont un

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1 rôle à jouer dans la réflexion des Juges, qui aident les Juges, qui les

2 conseillent et qui consultent les Juges sur des questions juridiques et

3 factuels. En tant que conseil principal en l'espèce, j'estime que je ne

4 peux dire… je ne peux accepter que la Chambre de première instance ne soit

5 pas responsable juste parce qu'elle n'a pas vu ce document avant qu'il ne

6 soit déposé.

7 J'accepte que la Chambre de première instance ne connaissait pas ce

8 document, mais je ne peux pas… je pense qu'elle doit accepter sa

9 responsabilité, s'agissant de ce document. Or, ce n'est pas ce que nous a

10 dit le Juge Agius dans sa déclaration hier. Il nous a dit la chose

11 suivante: "Les trois Juges souhaitent déclarer que cette requête repose

12 sur un malentendu, car aucun des trois Juges de la Chambre n'a rien à voir

13 avec l'établissement et encore moins avec la rédaction de la liste de

14 points d'accord potentiels". Et je peux comparer cette déclaration avec le

15 compte rendu de la réunion que vous nous avez communiquée ce matin, mais

16 je vous laisse le soin de le faire.

17 Je dois poser la question de savoir comment cela s'est passé si les Juges

18 n'ont eu aucun rôle à jouer même si, ce matin, j'ai appris que le

19 Président de la Chambre avait un rôle à jouer.

20 Finalement, ceux qui sont responsables de la distribution de cette liste

21 n'ont visiblement pas du tout pensé à l'impact d'un tel document sur

22 l'accusé dans l'affaire présente.

23 Monsieur le Président, vous avez parlé ce matin, de manière correcte,

24 d'une partie de la mission de ce Tribunal qui concerne une mission du

25 maintien de la paix.

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1 Vous savez que ce Tribunal a été fréquemment critiqué, à la fois dans la

2 presse serbe et dans des publications de renom qui n'émanent pas de

3 Serbie, et il a été critiqué en tant que profondément anti-serbe.

4 Il y a un certain nombre de points qui sont difficiles à expliquer,

5 notamment le prix accordé pour une libération provisoire. Et maintenant,

6 il y a un document qui, apparemment, suggère déjà les soupçons exprimés

7 vis-à-vis du rôle de l'accusé. Un tel document est choquant dans son

8 intégralité. Je déteste dire ce que j'ai à dire, mais je dois dire la

9 vérité. Ce document va hanter cette affaire à partir d'aujourd'hui jusqu'à

10 toujours; ce ne sera jamais oublié et l'accusé va toujours considérer cela

11 comme une indication que son procès ne sera pas équitable. Il s'agit ici

12 d'un fait et rien, à l'avenir, ne pourra le changer.

13 La manière dont ce Tribunal est perçu dans le public sera modifiée, dans

14 une certaine mesure, et ce changement a déjà commencé à se réaliser.

15 Je pense que ce Tribunal, à partir de ce moment-là, a l'obligation de

16 montrer au monde, de montrer aux accusés que la mission du maintien de la

17 paix et de l'équité et de l'impartialité est réelle.

18 En tant que conseil de la défense, moi, personnellement, ce que je pense,

19 Monsieur le Président, concernant le caractère partial ou impartial de ce

20 Tribunal, je pense qu'à ce stade il serait important de se pencher sur

21 cette question parce que l'impact de ce qui s'est passé sur l'accusé a été

22 profond. Toutes les explications visant à indiquer qu'il s'agissait d'un

23 malentendu, d'une erreur ou du fait que la Chambre n'était pas au courant

24 de cela, ne peuvent pas modifier les faits dans l'affaire présente.

25 Je souhaite momentanément faire une déclaration supplémentaire qui ne fait

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1 pas partie de notre déclaration conjointe parce que, personnellement, je

2 considère qu'il est approprié de dire cela.

3 Le procès-verbal de la réunion que vous avez eue avec les Juges, comme je

4 l'ai dit au début, confirme un certain nombre de mes soupçons.

5 Apparemment, sur la base de ce procès-verbal, nous pouvons constater que

6 les Juges Janu et Taya n'étaient pas du tout au courant d'un quelconque

7 point mentionné dans cette requête jusqu'à un moment hier où elles ont

8 reçu la requête. Je pense que c'est tout à fait malheureux et si j'avais

9 su cela, bien sûr, je ne les aurais pas mentionnées dans le cadre de cette

10 requête.

11 Peut-être que la bonne solution à l'égard de cette requête serait une

12 solution par le biais de laquelle ces Juges recevraient un traitement

13 différent par rapport au Président de la Chambre qui était au courant de

14 ce qui se passait.

15 Ce que je viens de dire exprime uniquement mon opinion et l'opinion de mon

16 client.

17 Vous m'avez invité, Monsieur le Président, à discuter des faits de droit.

18 Je ne me suis pas préparé à cela pour la journée d'aujourd'hui. Je suis,

19 dans une certaine mesure, au courant des points préalables qui ont été

20 traités devant cette Chambre puisque j'ai écrit un certain nombre de

21 documents là-dessus et puisque, dans une certaine mesure, j'ai participé à

22 la demande de dessaisissement du Juge Odio Benito. Ce que je peux dire au

23 sujet de cela est qu'à l'égard de la question liée aux Juge Odio Benito,

24 il s'agissait là d'un point qui était lié de manière extrêmement profonde

25 au procès en question, et il n'a pas été possible de démontrer avec

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1 certitude si ce Juge en particulier faisait preuve d'une réelle

2 impartialité.

3 En ce qui concerne l'affaire Furundzija où une demande a été faite visant

4 à dessaisir la Juge Mumba, je pense que la Chambre a eu raison de

5 constater que le simple fait qu'un Juge soit une femme ne devrait pas

6 constituer une base raisonnable du dessaisissement d'un Juge. Il n'y avait

7 aucune allégation concrète à l'encontre du Juge Mumba indiquant qu'elle a

8 fait preuve de manque d'impartialité.

9 Je pense donc que, s'agissant des affaires semblables dont ce Tribunal a

10 déjà traité, que ces affaires-là ne jettent pas beaucoup de lumière au-

11 delà d'un certain nombre de principes généraux sur la manière dont il

12 conviendrait de traiter de l'affaire présente.

13 Je considère qu'en ce moment, nous sommes à un stade suffisamment précoce

14 pour trouver une solution simple au problème. Mais il ne me revient pas, à

15 moi, de suggérer la solution, à moins que l'on demande mon avis.

16 Je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de m'adresser à vous,

17 Monsieur le Président, au sujet de cela.

18 Je souhaite qu'une chose soit claire: je ne considère pas qu'il s'agit là

19 d'une requête qui a été soumise de manière précipitée ou irresponsable. Je

20 pense qu'il s'agit là d'un problème extrêmement grave qui touche au cœur

21 de ce qui se passe devant ce Tribunal, et j'espère qu'il recevra un

22 traitement tout aussi grave et sérieux. Merci.

23 M. le Président (interprétation): Merci, Monsieur Ackerman.

24 Madame Fauveau Ivanovic?

25 Mme Fauveau: Merci, Monsieur le Président.

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1 Je me joins entièrement à ce que Me Ackerman a dit en ce qui concerne les

2 Juges Janu et Taya. Le reste de sa déclaration a été, en tout cas, une

3 déclaration conjointe.

4 Je veux ajouter quand même ceci: la liste des faits qui nous a été donnée

5 montre une connaissance approfondie des faits qui se sont passés à Sanski

6 Most. Je ne parle pas…est-ce que ces faits sont corrects ou ne sont pas

7 corrects. De toute façon, le fait d'avoir fait une liste pareille montre

8 que la personne qui a fait une cette liste a une connaissance et une

9 opinion sur ce qu'il s'est passé à Sanski Most. La connaissance sur ces

10 faits, cette personne ne l'a pas obtenue dans la salle d'audience; elle

11 l'a obtenue ailleurs.

12 L'Article 15(A) du Règlement de procédure et de preuve dit: "Un Juge ne

13 peut connaître, en première instance ou en appel, d'une affaire dans

14 laquelle il a intérêt personnel ou avec laquelle il a, ou a eu, un lien

15 quelconque de nature à porter atteinte à son impartialité.

16 Je considère que le fait que la personne qui appartient à la Chambre a la

17 connaissance de ces faits, que cela signifie qu'elle a un lien quelconque

18 avec cette affaire.

19 Par ailleurs, j'ai vu le procès-verbal qui nous a été transmis tout à

20 l'heure.

21 Sur le point 14, le Juge Agius, apparemment, n'aurait pas été d'accord sur

22 certains faits qui sont contenus sur cette liste qui nous a été donnée.

23 Je tiens à attirer votre attention que cette liste contient, à part le

24 fait que le Juge Agius a consenti qu'ils n'auraient pas vraiment… qu'ils

25 n'auraient pas dû être incorporés dans cette liste, que cette liste

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1 contient la destruction de la mosquée à Kukavice, qui n'est pas un fait

2 allégué dans l'Acte d'accusation.

3 Cette liste contient la mort des personnes pendant le transport des

4 prisonniers du camp Krings au camp Manjaca, qui n'est pas dans l'Acte

5 d'accusation.

6 Cette liste contient aussi la mort des personnes pendant le transport de

7 la salle de sport de Sanski Most à Manjaca, qui n'est pas dans l'Acte

8 d'accusation.

9 Je ne sais pas d'où et comment la personne qui écrit cette liste a eu

10 cette connaissance et je ne vais pas faire une enquête là-dessus, ce n'est

11 pas mon travail.

12 En revanche, je suis extrêmement préoccupée. Comment des faits aussi

13 graves comme la mort de 18 personnes, la mort de 20 personnes, la

14 destruction d'une mosquée -qui ne sont pas dans l'Acte d'accusation- se

15 trouvent sur cette liste, et on est demandé de le reconnaître.

16 Si la Chambre, la personne de cette Chambre qui a écrit cette liste a eu

17 connaissance de ces faits dans les déclarations des témoins qui vont

18 témoigner sur Sanski Most, il est inapproprié dans la procédure, devant ce

19 Tribunal, que la Chambre tire les conclusions des déclarations des témoins

20 qui n'étaient pas entendus devant cette Chambre.

21 Il est inapproprié aussi de considérer une déclaration d'un témoin

22 véridique sans l'avoir entendu et sans avoir donné à la défense la

23 possibilité de le contre-interroger.

24 En tout état de cause, il est inapproprié pour la Chambre de demander,

25 pour le Juge ou pour une personne qui appartient à la Chambre, de demander

Page 5030

1 aux accusés de reconnaître les faits qui ne sont pas dans l'Acte

2 d'accusation.

3 S'il s'agissait d'un procédé pour accélérer la procédure, et si la Chambre

4 considérait qu'il ne faut pas débattre sur ces faits, elle aurait dû

5 demander au Procureur de ne pas présenter les moyens de preuve relatifs à

6 des faits qui ne sont pas dans l'Acte d'accusation, et pas aux accusés de

7 les reconnaître.

8 M. le Président: Merci, Madame.

9 M. le Président (interprétation): Avant que je donne la parole au Bureau

10 du Procureur, je souhaite dire tout à fait précisément quelles sont les

11 limites de la requête devant nous.

12 Ai-je raison de dire que, si je comprends bien, les conseils de la défense

13 ont l'intention de retirer la requête en ce qui concerne le Juge Janu et

14 le Juge Taya?

15 M. Ackerman (interprétation): Oui, Monsieur le Président. Je pense que,

16 sur la base de vos conversations avec eux, il apparaît clairement qu'elles

17 n'ont eu aucun lien avec ce qui s'est passé.

18 M. le Président (interprétation): Merci beaucoup.

19 Peut-on entendre le point de vue du Procureur concernant les points qui

20 restent à être traités?

21 M. Ackerman (interprétation): J'ai dit que j'allais vous dire directement

22 aujourd'hui que nous n'avons pas d'objection à ce que cette Chambre de

23 première instance, dans sa constitution actuelle, continue à être à la

24 tête des audiences en attendant la décision sur cette requête.

25 M. le Président (interprétation): Oui. J'ai déjà exprimé cela dans mon

Page 5031

1 ordonnance d'hier, merci.

2 Mme Korner (interprétation) Je souhaite tout d'abord parler de la liste

3 mentionnée par Me Fauveau et de ce qu'elle a dit au sujet des faits qui ne

4 sont pas inclus dans l'Acte d'accusation, d'après les dires de Me Fauveau.

5 Nous avons toujours indiqué clairement que l'Acte d'accusation ne couvre

6 pas tous les incidents au sujet desquels nous allions présenter les moyens

7 de preuve, tout simplement compte tenu du fait qu'il y en avait trop. Il

8 était déjà clair, sur la base du mémoire préalable au procès, qu'il y a

9 une partie relative à Sanski Most et nous avons tout à fait clairement

10 indiqué que nous allions présenter des moyens de preuve au sujet de cela.

11 Il s'agit là d'un document qui a été remis à la Chambre et ces faits

12 existent, figurent dans ce document.

13 Je souhaite maintenant traiter d'un point important dans le cadre de cette

14 affaire. Hier, j'ai eu une explication longue, surtout pour expliquer à

15 l'accusé quel est le but d'un tel document. Et je propose que nous ne

16 refassions pas cela de nouveau puisque ceci a déjà été traité hier. Maître

17 Ackerman a dit hier et au cours des réunions qui ont été tenues avec M.

18 Von Hebel que tout le monde devrait prendre en considération l'impact de

19 cela sur l'accusé.

20 Monsieur le Président, je dois dire que je suis surprise de voir qu'un

21 conseil ayant l'expérience de Me Ackerman et Me Fauveau, qui bénéficient

22 de notre confiance totale aussi, qu'ils n'ont pas pu expliquer à leur

23 client ce qui était tellement évident dès le début et qui est évident dans

24 les yeux des deux conseils de la défense.

25 Premièrement, qu'à aucun moment il ne s'agissait là d'une expression du

Page 5032

1 manque d'impartialité ou de l'opinion de la Chambre de première instance

2 que ces faits qui ont été rédigés -je cite: "afin que les parties les

3 prennent en considération "-je cite, donc- que "ceci n'était pas du tout

4 une expression de leur conclusion sur ces faits-là".

5 En outre, Me Ackerman a également dit que ceci a été fait au bout de deux

6 heures d'audience de témoins.

7 Lorsque cette liste a été remise, même pas un mot n'avait été exprimé au

8 sujet de Sanski Most, puisque les témoins qui étaient prévus dans ce

9 contexte n'avaient pas pu encore commencé à déposer.

10 Cela, c'est un fait et comme je l'ai déjà dit, je suis surprise de

11 constater que les conseils de la défense ne pouvaient pas expliquer cela

12 aux accusés.

13 Il est vrai que ces faits ont été rédigés pour que les parties les

14 prennent en considération. C'est clair, et cela a été répété et clairement

15 par le biais du juriste hors classe, ce que la Chambre a essayé de faire.

16 Et d'ailleurs, ceci a été clair sur la base de nombreuses discussions

17 tenues devant le Juge Hunt d'abord, et ensuite devant la Chambre ou devant

18 le Juge Agius, lorsque la procédure a été au stade préalable au procès.

19 Donc, la Chambre a essayé d'expliquer qu'il s'agissait là d'une affaire de

20 supérieur hiérarchique où l'accusé avait un poste de supérieur

21 hiérarchique et qu'il n'a pas du tout été allégué que la personne avait

22 pris part personnellement à un certain nombre de délits. Et donc, la

23 Chambre a essayé d'expliquer que les points qui ne sont pas concrètement

24 contestés par la défense ne doivent pas être prouvés par le biais de la

25 présentation des moyens de preuve.

Page 5033

1 Ce qui s'est passé, en effet, c'est qu'un membre du personnel travaillant

2 pour la Chambre a préparé une liste des faits pour que les parties

3 puissent les prendre en considération afin éventuellement de trouver un

4 accord sur un certain nombre de faits. Ils ont rédigé la liste des faits

5 sur la base de leur connaissance acquise pendant les deux ans et demi de

6 la procédure liée à ce procès, même si nous savions que la défense

7 n'allait jamais accepter que le général Talic était membre de la cellule

8 de crise de la RAK. Bien sûr, la probabilité était minime qu'un accord

9 soit trouvé sur ce fait mais il s'agissait là d'une liste qui constituait

10 des points qui ne sont pas du tout contestés, et je pense que la réaction

11 de la défense est tout à fait exagérée.

12 La communauté internationale considère que la Chambre de première instance

13 dans ce Tribunal devrait permettre à ce qu'un procès se déroule de

14 manière rapide. La presse et les autres qui expriment cette opinion ont

15 raison de dire que les accusés doivent avoir le droit d'avoir leurs procès

16 au plus vite suite à leur arrestation, dans l'intérêt de la justice aussi.

17 Si l'on prépare une liste, une telle liste de faits pour qu'il y ait

18 discussion sur ces faits là, rien là-dedans n'est erroné.

19 La défense peut toujours dire: "Nous sommes d'accord avec ces faits et

20 nous ne sommes pas d'accord avec ces faits-là". Et bien évidemment nous

21 pouvions nous attendre à ce que les conseils de la défense contestent les

22 meurtres.

23 Il y a eu des discussions et peut-être le Procureur a-t-il compris quelque

24 chose, mais nous n'avons pas compris qu'il n'était pas nécessaire de citer

25 à la barre le témoin qui allait parler des meurtres.

Page 5034

1 Donc, je dois dire encore une fois, Monsieur le Président, que je

2 considère qu'il est un peu difficile de comprendre pour quelle raison ces

3 deux conseils de la défense ne pouvaient pas expliquer à leur client de

4 quelle manière ce document avait été rédigé.

5 Je vais parler maintenant des points de droit. Je suis un peu surprise de

6 voir que Me Ackerman n'était pas prêt de se prononcer au sujet de cela car

7 j'ai mentionné cela devant lui hier.

8 Je suis sûre, Monsieur le Président, que si je parle de la proche de Me

9 Ackerman lorsqu'il a dit qu'après ce document, rien ne peut être oublié.

10 Je considère qu'il s'agit là des opinions exprimées pour l'opinion

11 publique mais nous considérons que ceci ne nous fournit aucune assistance

12 dans les critères adoptés par vous, Monsieur le Président, pour prendre

13 une décision au sujet du Juge Agius.

14 Dans l'Article 15, il est dit qu'un Juge ne peut siéger dans une affaire à

15 laquelle il a un intérêt personnel -apparemment, ce n'est pas le cas ici-

16 ou bien dans le cadre d'une affaire à laquelle il a ou a eu un lien

17 quelconque de nature à porter atteinte à son impartialité.

18 Ensuite, nous avons l'Article 15(B) aussi.

19 Sur la base de nos recherches, Monsieur le Président, nous avons pu nous

20 pencher sur trois occasions distinctes. Je ne sais pas si vous avez déjà

21 reçu un exemplaire de la décision dans l'affaire "le Procureur contre

22 Delalic" du 25 octobre 1999.

23 M. le Président (interprétation): Je l'ai.

24 Mme Korner (interprétation) Fort bien.

25 Le 21 juin, dans l'affaire du Procureur contre Furundzija, un arrêt a été

Page 5035

1 rendu par la Chambre d'appel et on a étudié toutes les formes de droit qui

2 se rapportaient à ce type d'affaire.

3 Et il y a deux ans, le 18 mai, dans Brdanin/Talic, une autre décision a

4 été rendue.

5 Je ne sais pas si vous disposez des exemplaires de tous ces documents.

6 Commençons donc par ce que l'on appelle généralement "l'affaire Celebici"

7 qui concerne Delalic et consorts.

8 Une requête avait été déposée aux fins de dessaisissement du Juge Odio

9 Benito de sa position de Président de la Chambre, parce qu'elle avait été

10 nommée au poste de vice-Présidente du Costa Rica.

11 On a discuté de droit applicable. Ceci commence à la page 5, paragraphe 6

12 du document. Il s'agit des motifs qui peuvent entraîner au dessaisissement

13 d'un Juge. Et on cite ici le Statut.

14 Je vais passer directement au paragraphe 10 de cette décision où l'on a

15 répondu aux deux questions.

16 Ces deux questions se recoupent peut-être, à savoir le dessaisissement des

17 Juges, pour deux raisons, pour les deux raisons potentielles évoquées à

18 l'Article 15.

19 Je cite: "Ceci peut se produire lorsqu'une partie, dans un procès en

20 première instance ou en appel, affirme que le fait que le Juge qui siège

21 dans cette affaire, que le fait donc que ce Juge ait eu des activités

22 politiques, administratives ou professionnelles sont telles que le Juge a

23 un intérêt personnel dans cette affaire ou a des liens avec cette affaire,

24 et a pour conséquence que le Juge est partial, donc manque de

25 l'impartialité requise."

Page 5036

1 Il est clair que dans cette affaire, la partie qui évoque la question du

2 dessaisissement, qui demande le dessaisissement doit prouver l'existence

3 d'incompatibilité qui montre que ceci va entraîner un manque

4 d'impartialité. En d'autres termes, la partie concernée doit faire état

5 d'un lien entre les activités soi-disant incompatibles avec la fonction

6 judiciaire exercée dans l'affaire concernée. Il ne suffit pas que la

7 partie concernée se contente d'affirmer que le Juge en question exerce une

8 activité politique administrative ou professionnelle incompatible avec ses

9 fonctions judiciaires. Et les Juges ont décidé, au bout du compte, que

10 l'accusé dans cette affaire n'avait pas prouvé les éléments requis.

11 Mais j'insiste sur le fait que la charge de la preuve en l'occurrence,

12 elle repose essentiellement sur le requérant qui doit montrer qu'il existe

13 des motifs valables empêchant un Juge de continuer à siéger dans une

14 affaire.

15 Bien. Maintenant, je vais me tourner vers le document relatif à l'affaire

16 Furundzija, un arrêt rendu le 21 juillet 2000 par la Chambre d'appel. Ici

17 encore, il s'agissait de Mme le Juge Mumba. C'est un petit peu regrettable

18 si on regarde ces requêtes. Comme l'a dit Me Ackerman tout à fait

19 justement, la question était de savoir si ses activités au sein d'une

20 organisation destinée à défendre les droits des femmes devaient entraîner

21 son dessaisissement.

22 Je vais vous demander de vous référer immédiatement au paragraphe 177 de

23 cet arrêt où l'on traite de l'Article 13(1) du Statut qui stipule que les

24 Juges du Tribunal international sont des personnes de… une personnalité

25 irréprochable, d'une grande impartialité et d'une grande intégrité.

Page 5037

1 Paragraphe 179, je cite: "L'interprétation du droit humain fondamental

2 d'un accusé d'être jugé par un Tribunal impartial est mise en œuvre.

3 Lorsqu'il est affirmé qu'un Juge ne peut être impartial, il doit donc être

4 dessaisi d'une affaire".

5 Il semble qu'une approche à deux volets se soit développée.

6 Bien que l'interprétation de cette règle au niveau national ou régional ne

7 soit pas uniforme, globalement les Juges estiment qu'un Juge ne doit pas,

8 lorsqu'il commence à juger une affaire, ne doit pas faire preuve d'un

9 esprit partial et ceci, d'ailleurs, a été confirmé par Talic.

10 On peut donc lire ensuite: "L'appel reconnaît qu'il n'affirme nullement

11 que la Juge Mumba était partiale".

12 D'ailleurs, aucun des conseils de la défense ne reproche au Juge Agius

13 d'avoir fait preuve de partialité. Ce qu'on nous dit, c'est que,

14 simplement du fait qu'il savait que ce document nous avait été communiqué,

15 il a fait preuve d'une certaine partialité. Et comme je l'ai déjà dit, on

16 ne peut arriver à une telle conclusion.

17 Maintenant passons à l'affaire Furundzija, paragraphe 182.

18 "La Chambre a toujours estimé qu'il convenait de partir du principe que

19 l'impartialité était présente au départ, à moins qu'il n'y ait preuve du

20 contraire.

21 S'agissant du test objectif, la Chambre estime qu'il faut qu'il y ait non

22 seulement impartialité mais que l'impartialité soit manifeste.

23 Et même lorsqu'il n'y a pas allégation de partialité, si les apparences

24 vont dans le sens contraire, la Chambre estime que ceci peut miner ou

25 saper la confiance que l'on peut placer dans la Chambre , dans le Tribunal

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1 concernée.

2 La Chambre estime qu'elle doit déterminer s'il existe des faits qui

3 tendent à prouver l'impartialité."

4 On fait ici référence à un procès relatif aux droits de l'Homme dans

5 l'affaire Hauschildt, et on précise donc dans cette décision que "le point

6 de vue de l'accusé est important mais pas décisif. Ce qui est décisif,

7 c'est de savoir si cette crainte peut être objectivement justifiée", ce

8 qui signifie qu'il faut savoir si les faits concernés peuvent donner

9 l'apparence d'impartialité.

10 (L'interprète invite les auditeurs à se référer à la traduction officielle

11 à ces documents.)

12 Maître Ackerman déclare que les accusés ne peuvent pas le comprendre et

13 moi, je ne comprends pas comment un conseil de la défense expérimenté est

14 incapable d'expliquer cela à son client.

15 Mais quoi qu'il en soit, nous avons estimé qu'il était utile que cette

16 audience ait eu lieu ce matin pour que les accusés puissent entendre de

17 quoi il retourne. Et vu ce qui a été dit, nous avançons, quant à nous, que

18 toutes craintes qu'auraient pu avoir les accusés doivent maintenant être

19 dissipées après les interventions qui viennent de se succéder et après

20 votre intervention, Monsieur le Président.

21 Ensuite, dans ce document toujours, on examine les différentes décisions

22 prises dans différentes juridictions au Royaume Uni. On parle de danger

23 réel, de partialité plutôt que de probabilité; on estime qu'il n'est pas

24 nécessaire de définir le critère approprié: "Il convient de faire preuve

25 d'une attitude raisonnable et que la Chambre doit déterminer quelles sont

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1 les circonstances effectives sur la base des éléments de preuve

2 disponibles, tout ceci n'étant pas forcément à la disposition d'un

3 observateur extérieur dans ce procès".

4 Or, ceci a été rejeté comme étant trop strict.

5 Et on fait référence ici à une affaire, l'affaire "Rugby Union", une

6 affaire qui a trait aux droits de l'Homme également. On y dit que "faire

7 appel à une personne raisonnable comme arbitre, pour déterminer s'il y a

8 effectivement eu partialité ou impartialité, est le cas". Cela, c'était

9 donc en Afrique du Sud.

10 On nous parle également d'une décision rendue en Australie au paragraphe

11 188. On nous parle du code de procédure pénale allemand -je ne vais pas

12 avoir la témérité de vous en parler moi-même, Monsieur le Président.

13 Maintenant, quelle est la norme appliquée par la Chambre d'appel, à partir

14 du paragraphe 189 de la décision "Furundzija"? Je cite: "Ayant consulté

15 cette jurisprudence, la Chambre d'appel conclut que, en règle générale,

16 non seulement un Juge du point de vue subjectif doit être impartial mais

17 qu'il doit l'être également de manière objective."

18 Et la Chambre d'appel estime que "les principes suivants doivent être

19 suivis dans l'interprétation des exigences stipulées par le Statut:

20 - Un Juge n'est pas impartial s'il est montré que ladite partialité est

21 présente. Il y a apparence de partialité inacceptable si un Juge est

22 partie prenante dans une affaire, s'il a des intérêts financiers ou autres

23 liés à l'issue de l'affaire, ou si la décision du Juge va lui être

24 favorable, à lui-même ou à d'autres parties. Dans ces circonstances, le

25 dessaisissement du Juge de l'affaire est automatique.

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1 - Deuxièmement, les circonstances mèneraient un observateur raisonnable et

2 correctement informé à une bonne appréciation de la partialité alléguée.

3 S'agissant du deuxième volet, du deuxième principe, la Chambre d'appel

4 adopte la démarche suivante, à savoir que la personne raisonnable doit

5 être une personne informée qui dispose de toutes les informations

6 relatives aux circonstances qui s'appliquent, y compris les traductions

7 d'intégrité, d'impartialité qui constituent une part du contexte, et que

8 cette personne doit également savoir que l'impartialité est un des devoirs

9 des Juges, devoirs au sujet desquels ils prêtent serment".

10 Monsieur le Président, un "observateur raisonnable, informé des faits qui

11 découlent d'un long procès": c'était le Juge, le Président de la Chambre

12 qui a essayé, en passant par le biais de son juriste, de savoir si les

13 parties pouvaient discuter d'un certain nombre de questions, arriver à un

14 accord. Voilà ce qui s'est passé.

15 Mais peut-être, en raison d'une rédaction maladroite, et là on peut dire

16 peut-être que, dans une certaine mesure, le Juge aurait dû corriger la

17 chose, mais on ne peut nullement dire que ceci était une preuve de

18 partialité envers l'accusé,. Et le Juge Agius, lorsqu'il nous a parlé des

19 réunions précédentes, des conférences précédentes qui ont eu lieu, que

20 jamais il ne s'est agi là de faits qui pouvaient avoir un impact

21 quelconque sur la culpabilité de l'accusé.

22 Nous avançons quant à nous... Et là, je pense que c'est le critère à

23 adopter, et j'en finis avec ce document parce qu'ensuite, cela concerne

24 uniquement Mme Mumba. Et j'ai passé en revue tous les principes qui

25 doivent s'appliquer dans toutes ces décisions que je vous invite à

Page 5041

1 consulter.

2 Nous avançons, quant à nous, qu'on n'a fait nullement la preuve d'une

3 quelconque partialité, donc pas de partialité. Mais rien non plus

4 n'indique qu'il y ait apparence de partialité. Et rien n'indique non

5 seulement.... Non seulement la justice est rendue, mais la justice paraît

6 être rendue. Merci.

7 M. le Président (interprétation): Merci.

8 Bien entendu, je dois donner la possibilité aux conseils de la défense de

9 répondre. Bien entendu, je ne peux pas moi-même traiter des questions

10 quant à leur fond, mais je voudrais dire quelques mots au sujet des

11 interventions qui ont été faites.

12 Il y a deux mots qui me viennent à l'esprit. Premièrement, le mot de

13 "proportionnalité"; ce doit être un mot clé pour nous tous. Comme je l'ai

14 dit précédemment, moi-même j'ai été conseil de la défense précédemment.

15 J'ai été à votre place, j'ai moi-même eu l'occasion de présenter des

16 requêtes portant sur le dessaisissement de juges. Et je dois reconnaître

17 que, jusqu'à un certain point, je reconnais les arguments qui sont

18 présentés, ce qui ne signifie pas pour autant que je partage votre avis.

19 Mais il y a une question que je souhaiterais vous poser. Vous affirmez une

20 chose: "ce document, on ne l'oubliera jamais". Je crois que dans la vie

21 aussi bien que dans le prétoire, jamais on ne doit se dire que quelque

22 chose ne serait jamais oublié, qu'on ne pardonnera jamais, etc. Nous

23 sommes tous des êtres humains et nous sommes tous faillibles.

24 Mais je souhaiterais que vous nous fassiez part d'observations

25 supplémentaires éventuelles.

Page 5042

1 M. Ackerman (interprétation): Oui, vous avez indiqué que ceci nécessitait

2 un éclaircissement de ma part, et je vais me conformer à votre demande.

3 Quand j'ai dit que ce document, on ne l'oublierait pas, c'est que

4 j'examine ce qui s'est passé dans l'affaire Celebici qui a commencé au

5 printemps 1998. Et cette affaire continue encore aujourd'hui.

6 Moi, je pense que cette affaire, dans quatre ou cinq ans, sera toujours

7 existante, disons, au niveau de la Chambre d'appel. Et ce document, il en

8 fera toujours partie, il fera toujours partie de l'affaire. Je ne peux,

9 bien entendu, savoir quelle interprétation on pourra donner à ce document,

10 quelle valeur on pourra lui accorder en dehors de la Chambre de première

11 instance. Mais quand je dis que ce document ne sera pas oublié, c'est que

12 j'estime qu'il aura un impact sur l'affaire en l'espèce tout au long de

13 cette affaire.

14 Si vous me le permettez, je souhaiterais intervenir sur certains des

15 éléments de l'intervention de Mme Korner. Premièrement, elle a dit que la

16 communauté internationale souhaitait que les procès qui sont jugés ici le

17 soient faits de manière pratiquement raisonnable et de manière rapide. Je

18 suis d'accord avec elle, mais ceci est secondaire, quand même.

19 La première priorité de la communauté internationale, c'est que les procès

20 que nous jugeons ici soient des procès qui soient équitables, mais qui

21 paraissent également être équitables. Il ne suffit pas que la justice soit

22 rendue, il faut que la justice soit rendue et que cela soit visible. Je

23 crois que ce matin l'affaire, en l'espèce, a pris un tournant radical.

24 Mme Korner nous a parlé de l'affaire telle qu'elle se présentait jusqu'à

25 ce matin. Elle a parlé des faits qui sous-tendent notre requête.

Page 5043

1 Je suis dans une position difficile.

2 Hier, en audience publique, le Juge Agius a dit qu'aucun des trois Juges

3 de cette Chambre de première instance n'a eu à faire quoi que ce soit avec

4 la préparation de faits reconnus potentiels, ni encore… et aucun Juge n'a

5 rien à voir avec la rédaction de cette liste.

6 Mais ce matin, vous avez rencontré ces Juges et, à l'issue de cette

7 réunion, nous apprenons maintenant que le Juge Agius a donné pour

8 instruction à ses collaborateurs de consulter les parties dans le cadre de

9 cette réunion pré-municipalité pour essayer d'identifier avec les parties

10 les faits qui pouvaient faire l'objet d'un accord.

11 Au paragraphe 13, on voit que le Juge Agius a reçu un mémo au sujet de la

12 réunion pré-municipalité la veille de la réunion. Ce mémo comprenait une

13 liste des faits, des points d'accord potentiels qui n'était pas exactement

14 la même.

15 Le titre du document concerné, du document distribué, ne figurait pas dans

16 le mémo qui a été distribué au Juge Agius. Mais c'est un petit peu ambigu

17 tout cela, parce qu'il semble que les faits qui sont dans le mémo, qui

18 nous ont été communiqués, ces faits figuraient également dans le mémo qui

19 a été remis au Juge Agius et que c'est uniquement au niveau du titre qu'il

20 y avait une différence.

21 Je pense, quant à moi, et j'avance que ce que vous a dit M. le Juge Agius

22 lors de la réunion que vous avez eue avec lui… Ce qu'il vous a dit, donc,

23 est bien différent de ce qu'il nous a dit hier en audience publique, ce

24 qui fait naître un certain nombre de préoccupations dont il importe que

25 vous teniez compte, Monsieur le Président.

Page 5044

1 Mme Fauveau: Monsieur le Président, je suis assez étonnée que Mme Korner

2 nous dise: "Quel est le problème de dire: 'Non, nous ne sommes pas

3 d'accord que le général Talic était membre de la cellule de crise'?".

4 En effet, je n'aurais pas eu ce problème-là si cette question venait du

5 Procureur. Or, je sais que le Procureur ne m'aurait jamais posé cette

6 question. Parce que, aussi paradoxal que cela puisse être, le Procureur

7 lit nos requêtes, lit nos conclusions et il nous écoute.

8 La personne qui a écrit cela, apparemment, n'a jamais lu aucune de nos

9 requêtes, aucune de nos conclusions et elle ne nous écoute pas lors des

10 audiences. C'est, cela, une grande préoccupation.

11 Pour ce qui concerne les actes qui ne sont pas dans l'Acte d'accusation

12 mais qui sont dans le mémoire préalable au procès, je dirai deux choses.

13 La première: que ce Tribunal, la Chambre d'appel de ce Tribunal dans

14 l'affaire Kupreskic a dit clairement qu'une personne peut être jugée

15 seulement pour les actes qui sont précisés dans l'Acte d'accusation.

16 Et l'autre remarque concerne justement l'impartialité. Si une personne

17 venant de la Chambre a pu prendre comme la vérité, sans nous donner la

18 possibilité de la contredire, les dires et les écrits dans le mémoire

19 préalable au procès du Procureur, nous ne pouvons pas parler de

20 l'impartialité. Il s'agit clairement d'un jugement partial.

21 M. le Président (interprétation): Merci.

22 Avant de faire une pause, je souhaiterais me tourner vers les conseils de

23 la défense. Je souhaiterais leur demander d'être prêts à aborder la

24 question soulevée par le Bureau du Procureur.

25 Est-ce qu'une omission ou une négligence possible peut constituer un motif

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1 de dessaisissement, peut se traduire par la partialité d'un Juge? Je ne

2 sais pas si cela constituera la question la plus importante dans cette

3 affaire, mais je vous demande d'y réfléchir, à cette question également.

4 Et de plus, comme dans Furundzija, on a dit que le point de vue de

5 l'accusé n'est pas décisif, certes, mais est important. Je souhaiterais

6 inviter les accusés eux-mêmes à intervenir dans le prétoire, à s'adresser

7 à la Chambre s'ils estiment que c'est utile. Et vous pourrez discuter de

8 cela avec vos clients pendant la pause.

9 Nous allons maintenant faire une pause pour reprendre à 11 heures 30.

10 (L'audience, suspendue à 10 heures 58, est reprise à 11 heures 32.)

11 M. le Président (interprétation): Nous revenons afin de traiter de la

12 question très sérieuse d'aujourd'hui.

13 Avant de vous donner la parole, je souhaite souligner que nous devons être

14 conscients des critères à appliquer, à savoir la question de savoir s'il

15 existe des raisons légitimes de craindre -je souligne "craindre"- qu'un

16 Juge a preuve fait d'un manque d'impartialité. L'opinion de l'accusé est

17 importante, mais non pas décisive. Ce qui est décisif est s'il est

18 possible de dire que cette crainte est objectivement justifiée.

19 Je vais donc exprimer ce que j'ai déjà dit brièvement et je vais traiter

20 de cela brièvement, encore une fois.

21 Je sais que ceci constitue un seul élément du problème. Cependant,

22 veuillez comprendre que j'ai compris du point de vue de la défense que,

23 parfois, il vaut mieux savoir ce qui se trouve dans la tête d'un Juge pour

24 éviter la surprise au moment où la décision est rendue.

25 Donc, je pense que la défense a le droit d'entendre le raisonnement d'un

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1 Juge. Comme je l'ai déjà dit, lorsque encore une fois j'ai comparé les

2 déclarations d'hier et les procès-verbaux d'aujourd'hui, je constate qu'on

3 peut dire qu'effectivement le Juge Agius savait que "quelque chose", entre

4 guillemets, devait être présenté aux parties concernant les faits

5 constituant les points d'accord. Mais on peut constater également qu'il

6 n'a jamais vu le document en question, le document incriminé.

7 N'est-il pas vrai de dire que le problème est lié à la question de savoir

8 comment ce document en question est arrivé entre les mains des parties? Ne

9 faut-il pas vérifier cela?

10 Ne faut-il pas que le Juge qui est le Président de la Chambre devrait

11 d'abord examiner et vérifier ce document?

12 Ne s'agit-il pas, encore une fois, d'une négligence ou d'une omission?

13 Peut-on vraiment conclure qu'il s'agit là d'un parti pris?

14 Ne faut-il pas également prendre en considération le fait que, si on lit

15 très attentivement la déclaration d'hier et la déclaration faite

16 aujourd'hui… Et compte tenu du devoir d'une certaine loyauté à l'égard de

17 son personnel, que même s'il n'avait pas lu le document en question, le

18 document incriminé, il s'est clairement distancié et il a pris ses

19 distances clairement par rapport à ce document.

20 J'aimerais bien entendre votre commentaire sur ces questions

21 supplémentaires.

22 M. Ackerman (interprétation): Monsieur le Président, je pense tout d'abord

23 que vous avez clairement indiqué que, sur la base de votre propre

24 expérience, vous avez une certaine compréhension pour les difficultés

25 auxquelles je fais face, et j'apprécie ce que vous avez dit à l'égard de

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1 cela.

2 Il est vrai, effectivement, qu'il est possible de lire la déclaration du

3 Juge Agius d'hier comme une déclaration indiquant la loyauté, non pas

4 seulement vis-à-vis du personnel, mais aussi vis-à-vis des deux autres

5 Juges qui visiblement étaient complètement surpris et pris de court en

6 recevant hier la requête accompagnée du document.

7 D'autre part, Monsieur le Président, vous devez également reconnaître le

8 fait qu'il ne s'agissait pas là d'une déclaration faite en privé par le

9 Juge. Il s'agissait d'une déclaration publique faite par le Juge à l'égard

10 de ses propres connaissances et sa propre participation en ce qui concerne

11 ce document. Et visiblement ou certainement, ceci est différent par

12 rapport à ce qu'il vous a dit, à vous, un peu plus tard, le lendemain.

13 Votre question de savoir si la négligence peut constituer une base du

14 dessaisissement… Je ne sais pas si une quelconque cour ou tribunal du

15 monde n'a jamais trouvé une réponse à cette question. Il s'agit là d'une

16 question importante et intéressante.

17 Je pense que le Président de la Chambre doit être considéré comme le

18 capitaine d'un navire. Peut-être, il s'agissait d'une erreur, ou peut-être

19 c'est par erreur que quelqu'un qui se trouvait derrière la mitrailleuse a

20 tiré et peut-être le capitaine du navire ne le savait pas, ne savait pas

21 ce qui allait se produire et n'avait pas donné des instructions allant

22 dans ce sens, mais la manière dont ceci va être perçu par les gens au bord

23 va être néanmoins la même. Et je pense que la même chose s'est passée ici;

24 il s'agissait d'une situation où le Juge Agius était le capitaine et ceci

25 s'est passé pendant son équipe… et ceci ne devait pas se passer.

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1 Il admet que ceci ne devrait pas se passer. Le fait est que ceci a changé

2 l'aspect de cette affaire et je pense que cela doit être traité de manière

3 extrêmement compétente.

4 Pour continuer avec notre analogie maritime, je dirai que nous sommes en

5 train de naviguer vers des eaux inconnues et que nous devons faire très

6 attention.

7 Je vous fais entièrement confiance, je pense que nous devons naviguer de

8 manière attentive et je suis sûr que vous allez assurer cela.

9 Vous nous avez demandé avant la pause de consulter nos clients pour savoir

10 s'ils souhaitaient s'adresser à la Chambre. Je l'ai fait et je pense que

11 M. Brdjanin souhaite s'adresser et faire une déclaration extrêmement

12 brève. Et si je n'ai pas entièrement répondu à la question, veuillez me

13 l'indiquer et j'essaierai de m'améliorer. Merci.

14 M. le Président (interprétation): Madame Fauveau, d'abord?

15 Mme Fauveau (interprétation): Je me joins entièrement à ce que Me Ackerman

16 a dit.

17 M. le Président (interprétation): Avant d'en arriver aux déclarations et

18 des accusés, encore une fois, je souhaite indiquer quelles sont les

19 approches comparatives internationales, tout d'abord les critères à

20 appliquer.

21 Les critères à appliquer, toujours, indiquent que, sur la base des faits

22 supplémentaires fournis -donc en l'occurrence la déclaration d'hier et le

23 procès-verbal d'aujourd'hui-, sur la base des faits supplémentaires

24 fournis, est-ce qu'un observateur responsable et objectif continue à

25 croire en l'impartialité du Juge après tous ces faits-là, donc un

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1 observateur raisonnable et/ou l'accusé qui n'est pas qualifié en science

2 juridique?

3 Donc, j'aimerais bien entendre la réponse de M. Brdanin et du Momir Talic.

4 Je dirai ce que l'on dit d'habitude, bien sûr, à savoir que les accusés

5 ont le droit de garder le silence mais, en même temps, vous devez être

6 conscients du fait que chaque mot prononcé dans ce prétoire peut être

7 utilisé par la suite comme moyen de preuve, y compris comme moyen de

8 preuve contre vous.

9 Mais si vous souhaitiez néanmoins vous exprimer, vous pouvez le faire.

10 Vous pouvez commencer, Monsieur Brdanin.

11 M. Brdanin (interprétation): Monsieur le Président, c'est la première fois

12 que j'ai eu l'occasion d'assister à un procès au moment où mon procès a

13 commencé, sauf que j'ai eu l'occasion de voir cela à travers les films.

14 Mais, bien sûr, je n'ai pas un métier juridique, mais plutôt technique.

15 Mais sur la base de mes connaissances personnelles, je peux tirer un

16 certain nombre de conclusions et je n'affirme pas que, certainement, il

17 s'agisse des conclusions exactes et correctes.

18 Avec mon conseil de la défense, dès août 1999, je me suis toujours mis

19 d'accord sur la procédure à suivre et j'ai toujours été plutôt satisfait.

20 Et lorsque le procès a commencé, j'ai eu quelques soupçons, non pas vis-à-

21 vis de l'avocat mais vis-à-vis de ce qui se passait dans le cadre du

22 procès. Mais je dois souligner encore une fois que mon conseil de la

23 défense, Me Ackerman, m'avertissait toujours du fait qu'il fallait que

24 j'attende, que peut-être j'avais tort, et je l'espère. Mais je vais vous

25 donner quelques exemples.

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1 Hier, lorsque le document est arrivé, je ne suis pas heureux. Mais

2 vraiment, j'ai dit à Me Ackerman: "J'ai l'impression que mes soupçons

3 n'étaient pas complètement non fondés". Je suis désolé, je sais que ceci

4 peut être utilisé à mon encontre mais, moi-même, j'ai eu l'impression -je

5 souligne que c'est l'impression que j'ai eue moi-même- que ce que j'ai

6 appris sur la base des films -excusez-moi de le mentionner encore une

7 fois-, mais je considérerais que peut-être le seul but des Juges n'était

8 pas seulement d'arriver à la vérité.

9 Moi, je ne peux pas reprocher au Procureur la manière de présenter les

10 moyens de preuve, mais je pensais que les Juges doivent vouloir surtout

11 arriver à la vérité.

12 Sur la base du fait que pratiquement mon avocat a été chassé d'ici sur la

13 base d'une plainte portée d'un seul témoin... Je considère personnellement

14 que ce témoin ne disait pas la vérité. Ensuite, mon deuxième conseil, lui

15 aussi, a eu des problèmes. Et sur la base de tout un tas d'exemples, j'ai

16 eu l'impression que je n'allais pas recevoir un procès équitable.

17 M. Ackerman (interprétation): Excusez-moi, de larges parties de ce

18 qu'énonce M. Brdanin ne sont pas interprétées de manière appropriée.

19 (Les interprètes indiquent qu'il est besoin de ralentir, que M. Brdanin

20 devrait ralentir un peu.)

21 M. le Président (interprétation): Je comprends. Si M. Brdanin pouvait

22 ralentir un peu, les Juges pourraient mieux le comprendre, et moi-même je

23 pourrais vous comprendre dans une langue que je comprends. Donc, veuillez

24 ralentir et répéter votre dernière phrase concernant le premier conseil.

25 M. Brdanin (interprétation): Ce qui m'est arrivé, c'est qu'on a éliminé le

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1 coconseil de la défense. Le deuxième enquêteur qui, lui aussi, est un

2 avocat de métier qui a beaucoup d'expérience, n'a pas été nommé au poste

3 d'avocat. Mais nous, on est en train de chercher une troisième solution.

4 Moi, j'ai vécu de nombreuses expériences qui ont renforcé mes soupçons

5 vis-à-vis du caractère équitable du procès et de mon droit à avoir un

6 procès équitable et d'arriver à la vérité, quelle que soit cette vérité,

7 le temps le dira. C'est pour cela que je partage l'opinion exprimée par Me

8 Ackerman préalablement.

9 Mais je souligne encore une fois que, pendant toute la période, c'était

10 justement Me Ackerman qui n'arrêtait pas de me dire que j'avais peut-être

11 tort, mais le document d'hier a confirmé mes craintes lorsque je ne venais

12 pas tranquillement devant ce Tribunal et lorsque j'avais des doutes en me

13 demandant à quoi ressemblait ce procès devant ce Tribunal international

14 qui se déroule en audience publique.

15 Et pour terminer, je vais ajouter quelques points.

16 Je considère que, dans cette affaire, il y aura plus de témoins protégés

17 que d'autres témoins. Tout cela, moi, je le conclus sans être un expert en

18 la matière, mais tout cela a contribué à ce que je forme une telle

19 opinion, et cette opinion a été exprimée par Me Ackerman. En réalité,

20 j'aimerais... j'aurais aimé avoir pu éviter de tirer ce genre de

21 conclusion. J'aurais aimé que tout ceci ne se soit pas produit. Je vous

22 remercie.

23 M. le Président (interprétation): Merci.

24 Général Talic, souhaitez-vous faire une déclaration également?

25 M. Talic (interprétation): Monsieur le Président, je ne souhaite pas faire

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1 de déclaration.

2 Mme Fauveau: Comme l'avocat du général Talic, je vais dire ceci: si nous

3 n'avions pas eu les doutes sur l'impartialité de la Chambre, nous

4 n'aurions pas écrit cette requête.

5 Le problème n'est pas comment ce document est arrivé en nos mains, il est

6 arrivé très simplement et tout droit de la Chambre. Il nous a été

7 communiqué en mains propres par un des juristes de la Chambre.

8 Mais cela, ce n'est pas important. L'important est: comment un document

9 pareil a pu être écrit? Ce document parle pour lui-même. Ce document est

10 la preuve irréfutable et maintenant publique de la partialité d'un des

11 Juges qui siègent dans cette Chambre.

12 M. le Président (interprétation): Le Bureau du Procureur souhaite-t-il

13 s'exprimer?

14 Mme Korner (interprétation): Je suis désolée de devoir dire ce que je vais

15 dire, mais je pense que notamment la dernière intervention de Me Fauveau

16 est vraiment un refus délibéré d'entendre les explications fournies par

17 les Juges et par tout le monde.

18 Monsieur le Président, si je puis m'exprimer de la sorte, j'ai

19 l'impression que ce qui inquiète M. Brdanin n'est pas ce document en

20 particulier, mais le fait que le coconseil dans cette affaire avait été

21 suspendu. Et du point de vue du Procureur, j'ai l'impression qu'il y avait

22 plus que ce que nous avons pu entendre ou voir ici.

23 L'accusé a déjà exprimé son anxiété face à l'enquête qui a été lancée par

24 le Greffe portant sur un certain nombre d'aspects liés au comportement du

25 coconseil de la défense. Et nous avons l'impression qu'en effet il n'a pas

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1 vraiment répondu à la question de savoir s'il comprend, suite aux

2 explications fournies, la situation actuelle.

3 En ce qui concerne vos questions posées aux conseils de la défense sur la

4 négligence, est-ce que la négligence pourrait fonder une base du

5 dessaisissement? Notre réponse serait "non". D'après les sources

6 juridiques et d'après le Statut et le Règlement, nous ne pouvons conclure

7 que la réponse serait "non".

8 M. le Président (interprétation): Avant de conclure, je souhaite indiquer

9 que, bien sûr, nous devons garder la proportionnalité, et j'ai été

10 intéressé d'entendre les déclarations des deux accusés. Et ce que j'ai

11 entendu de la part de M. Brdanin était tout d'abord la crainte du manque

12 d'impartialité dans l'ensemble de la procédure, mais rien de précis n'a

13 été dit au sujet de la partialité prétendue du Juge Agius.

14 Je fais encore une fois ces commentaires pour vous donner la possibilité,

15 si vous le souhaitez, d'ajouter quelque chose puisque, d'après

16 l'intervention de Me Fauveau, elle parlait très directement du caractère

17 partial du document, mais non pas du Juge lui-même.

18 Je sais qu'il s'agit là d'une situation extrêmement difficile et, bien

19 sûr, tout le monde -et je souligne "tout le monde" dans l'ensemble de ce

20 Tribunal, aurait apprécié si ce document n'avait jamais fait son

21 apparition. Il est évidemment l'expression de l'enthousiasme de l'un ou

22 l'autre membre du personnel, mais… corrigez-moi si je me trompe, mais la

23 base à laquelle je fais face ne prouve pas que le Juge Agius était

24 conscient de ce document et qu'il avait autorisé la publication de ce

25 malheureux document. Je dois l'appeler ainsi.

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1 Pour conclure, je peux dire que lorsque j'étais à l'université, j'ai reçu

2 de bonnes instructions. J'étais à l'époque conseil de la défense, et un

3 professeur que j'ai beaucoup estimé m'a toujours dit: "Il est bien

4 d'avertir les Juges que, peut-être, ils font preuve de la partialité ou

5 peut-être qu'ils laissent cette impression et il est bien de les menacer

6 de temps en temps d'une requête visant à les dessaisir. Peut-être que vous

7 pouvez également parfois remettre une telle requête. Ne permettez jamais

8 une telle décision."

9 Je pense qu'il y a une part de vérité là-dedans parce qu'il est dans

10 l'intérêt de nous tous de garder le calme et la paix au sein du prétoire.

11 Donc ma question tout à fait sérieuse, je la pose aux conseils de la

12 défense. Sur la base de ce que vous avez vu hier et aujourd'hui et aussi

13 compte tenu du fait que, même si vous n'êtes pas responsables de cela,

14 veuillez accepter mes excuses pour tout ce qui s'est passé ici à l'égard

15 de ce malheureux document. Et je l'exprime au nom de l'ensemble du

16 Tribunal.

17 M. Ackerman (interprétation): Si vous m'avez demandé si j'accepte vos

18 excuses, bien sûr que j'accepte ces excuses. Nous sommes tous d'accord

19 pour dire que ce qui s'est passé avec ce document, autour de ce document

20 n'aurait pas dû se produire. Nous en convenons.

21 M. le Président (interprétation): Donc si je vous suis bien, vous n'avez

22 nullement l'intention de retirer votre requête?

23 M. Ackerman (interprétation): Je ne peux retirer cette requête. Il doit

24 être fait droit à cette requête, aussi bien dans l'intérêt de cette

25 affaire que dans l'intérêt de la justice. Il faut faire droit à cette

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1 requête.

2 Il y a une solution facile de résoudre le problème et je suis tout à fait

3 prêt à vous en faire part. Je vous l'ai déjà dit, d'ailleurs.

4 M. le Président (interprétation): Les parties recevront une décision par

5 écrit très prochainement.

6 Premièrement, décision quant à la question de savoir si l'affaire doit

7 être renvoyée devant le Bureau ou pas. Malheureusement, je ne suis pas en

8 mesure de vous dire aujourd'hui quand cette décision sera rendue, mais

9 comme je l'ai déjà dit dans la décision que j'ai rendue hier, je vous

10 demande instamment, dans l'intérêt de la justice et dans l'intérêt du

11 témoin que l'on a fait venir à La Haye, je vous demande de poursuivre les

12 débats cet après-midi ainsi que les jours prochains.

13 Mme Korner (interprétation) Au cas où vous ne soyez pas au courant,

14 l'affaire Brdanin/Talic n'est pas prévue pour la semaine prochaine. Ceci

15 va peut-être vous donner la possibilité de préparer votre décision.

16 M. le Président (interprétation): Eh bien, la décision sera rendue en

17 temps utile, mais dans l'intervalle, les audiences peuvent se poursuivre

18 comme prévu.

19 (L'audience est levée à 11 heures 58.)

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