C. Génocide et complicité de génocide (chefs 1 et 2)
499. L’accusé Milomir Stakic est mis en cause pour génocide au chef 1 de l’Acte d’accusation ou, subsidiairement, pour complicité de génocide au chef 2, crimes sanctionnés par les articles 4 3) a) ou e), 7 1) et 7 3) du Statut du Tribunal international. L’article 4 du Statut dispose :
500. Les articles 4 2) et 4 3) du Statut reprennent mot pour mot les articles II et III de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide du 9 décembre 1948 (la « Convention sur le génocide »)1063. On admet communément que les règles énoncées par cette convention font partie intégrante du droit international coutumier et ont été élevées au rang de jus cogens1064. 501. Vu le principe de non-rétroactivité des règles de droit pénal1065, la Chambre de première instance s’appuie principalement sur les sources de droit suivantes pour interpréter les dispositions du Statut relatives au crime de génocide :
502. La Chambre de première instance rappelle et adopte le qualificatif de « crime des crimes » donné au génocide par les juges du TPIR dans l’affaire Kambanda1067, et plus récemment par le Juge Wald dans son Opinion partiellement dissidente jointe à l’Arrêt Jelisic1068, dans laquelle elle affirme :
Comme dans la Décision Stakic relative à la demande d’acquittement déposée en application de l’article 98 bis du Règlement1070, la Chambre de première instance interprétera strictement et prudemment l’article 4 du Statut, sans jamais perdre de vue le caractère exceptionnel du génocide. 503. S’agissant des chefs 3 à 8 de l’Acte d’accusation, la Chambre de première instance note que l’« incitation » comme forme de responsabilité a été écartée dans la Décision Stakic relative à la demande d’acquittement déposée en application de l’article 98 bis du Règlement. Pour ce qui est du génocide, la Chambre de première instance considère que, comme forme de responsabilité, l’incitation directe et publique à commettre le génocide sanctionnée par l’article 4 3) c) du Statut prend le pas sur l’« incitation » en vertu du principe lex specialis derogat legi generali. Toutefois, il n’est pas question d’incitation au génocide dans le quatrième acte d’accusation modifié et, par conséquent, la Chambre de première instance se contentera d’examiner la question du génocide et de la complicité de génocide. D’autres formes de responsabilité individuelle seront examinées séparément1071. 504. L’Accusé est avant tout mis en cause pour génocide sur la base de l’article 4 3) a) du Statut, les formes de responsabilité retenues étant dans l’ordre1072 : - la coaction dans le cadre d’une entreprise criminelle commune visant (ou ayant fini par en venir) au génocide ; - la coaction dans le cadre d’une entreprise criminelle commune où le génocide a été la conséquence naturelle et prévisible de l’exécution du dessein commun ; - la responsabilité du supérieur hiérarchique ; - subsidiairement, la complicité de génocide visée par l’article 4 3) e) du Statut. 505. L’Accusation soutient que les éléments constitutifs du génocide sont : 1) l’élément matériel (actus reus) de l’infraction, constitué par un ou plusieurs des actes énumérés à l’article 4 2) du Statut ; et 2) l’élément moral (mens rea ) de l’infraction, consistant en l’intention spéciale de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel1073. 506. Traitant en premier lieu de l’élément matériel, l’Accusation affirme que les éléments constitutifs du « meurtre » visé à l’article 4 2) a) sont les suivants : 1) l’accusé a tué une ou plusieurs personnes ; 2) la (ou les) victime(s) appartenai (en)t à un groupe national, ethnique, racial ou religieux donné ; et 3) l’accusé était animé de l’intention de tuer la (ou les) victime(s)1074. 507. L’Accusation avance que les éléments constitutifs de l’atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe sont les suivants : 1) l’accusé a porté gravement atteinte à l’intégrité physique ou mentale d’une ou de plusieurs personnes ; 2) cette personne ou ces personnes appartenaient à un groupe national, ethnique, racial ou religieux particulier ; et 3) l’accusé avait l’intention de porter atteinte à l’intégrité de cette ou de ces personnes1075. 508. Selon l’Accusation, les éléments constitutifs de la soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle sont les suivants : 1) l’accusé a soumis une ou plusieurs personnes à des conditions d’existence particulières ; 2) cette personne ou ces personnes appartenaient à un groupe national, ethnique, racial ou religieux particulier ; 3) cette personne ou ces personnes ont été intentionnellement soumises à ces conditions d’existence ; et 4) ces conditions d’existence devaient entraîner la destruction physique totale ou partielle du groupe1076. L’Accusation affirme qu’il y a destruction physique totale ou partielle d’un groupe par le fait 1) de la mort de ses membres et/ou 2) d’autres destructions biologiques qui, avec le temps, annihilent physiquement le groupe, au moins en partie, dans la zone géographique en question1077. 509. L’Accusation subdivise l’élément moral du génocide en trois : 1) le degré d’intention requis ; 2) la portée de l’intention requise ; et 3) l’expression « en partie ». Elle affirme qu’il faut montrer que chacun des auteurs et de ceux qui ont ordonné, planifié ou incité à commettre le génocide étaient animés de l’intention spécifique exigée par le paragraphe 4 2) du Statut. L’Accusation fait toutefois valoir que cette intention n’est pas requise pour toutes les formes de responsabilité envisagées dans l’article 7 1) du Statut, en particulier dans le cas de la troisième variante de l’entreprise criminelle commune qui constitue pourtant une forme de coaction tombant sous le coup de l’article 4 3) a) du Statut1078. Selon l’Accusation, l’intention doit aller jusqu’à vouloir la destruction totale ou partielle du groupe en tant que tel1079. L’Accusation adopte une double approche pour juger de ce qu’est la destruction « en partie » d’un groupe. Premièrement, il faut, pour établir l’intention exigée, apporter la preuve d’une intention de détruire les groupes pris pour cible dans une zone géographique limitée1080. Deuxièmement, l’intention peut être de détruire une fraction ou une composante importante du groupe, cette importance se mesurant au nombre de victimes ou au caractère représentatif des membres du groupe visés1081. 510. La Défense explique longuement les raisons pour lesquelles il faut adopter une définition étroite des éléments constitutifs du génocide et fait état de plusieurs sources qui plaident en faveur d’une interprétation stricte. Selon elle, l’article 2 4) du Statut devrait être interprété en plein accord avec le principe in dubio pro reo1082. La Défense rejette les thèses selon lesquelles le « génocide [serait] une conséquence naturelle et prévisible des persécutions, et l’intention génocidaire [pourrait] être établie sans que soit rapportée la preuve d’une intention de tuer une fraction importante de la population prise pour cible1083 . Comme il a été dit, la Défense préconise une interprétation restrictive de l’expression « en tout ou en partie », qui s’inscrirait dans le droit fil du Jugement Jelisic et du Jugement Sikirica et consorts relatif aux requêtes aux fins d’acquittement présentées par la Défense1084. S’agissant de l’expression « comme tel », la Défense avance que le génocide suppose l’intention de détruire physiquement ou biologiquement un groupe, et elle cite la Chambre de première instance qui faisait observer dans l’affaire Sikirica que cette expression « distingue le génocide de la plupart des cas de nettoyage ethnique1085 . La Défense fait valoir que les actes visant au départ forcé ou à la dépossession et non pas à la destruction physique ne peuvent être qualifiés d’actes de génocide 1086. 511. La Défense soutient que
La Défense se prévaut de la jurisprudence du Tribunal pour avancer que, même si l’existence d’un plan n’est pas un élément constitutif du crime, il s’agit là le plus souvent d’un élément important pour établir l’intention spécifique. 512. L’article 4 du Statut protège les groupes nationaux, ethniques, raciaux ou religieux. Lorsque plusieurs groupes sont pris pour cible, on ne saurait les regrouper sous une appellation générale telle que, par exemple, les « non-Serbes ». À ce propos, la Chambre de première instance ne souscrit pas à l’« approche négative » adoptée par la Chambre de première instance dans l’affaire Jelisic :
À l’inverse, un groupe pris pour cible peut se distinguer de diverses manières et il faut considérer les éléments constitutifs du génocide pour chaque groupe pris séparément, par exemple, pour les Musulmans de Bosnie et pour les Croates de Bosnie1089. 513. L’Acte d’accusation met en cause l’Accusé pour génocide à raison uniquement de crimes sous-jacents qui tombent sous le coup des alinéas a) à c) de l’article 4 2) du Statut, et la Chambre de première instance est en grande partie d’accord avec les éléments juridiques de l’article mis en avant par l’Accusation. 514. Les actes visés par les alinéas a) et b) exigent que soit apportée la preuve d’un résultat. 515. Le « meurtre » mentionné à l’alinéa a) n’appelle pas d’explications. Pour ce qui est des actes sous-jacents, le « meurtre » s’entend d’actes intentionnels mais pas nécessairement prémédités1090. 516. L’« atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale » sanctionnée par l’alinéa b) s’entend, en particulier, d’actes de torture, de traitements inhumains ou dégradants, de violences sexuelles, y compris les viols, d’interrogatoires accompagnés de violences, de menaces de mort, et d’actes portant atteinte à la santé de la victime ou se traduisant par une défiguration ou des blessures. Il n’est pas nécessaire que les dommages soient permanents ou irrémédiables1091. 517. La « soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle », visée à l’alinéa c), est une infraction qui n’exige pas que soit apportée la preuve d’un résultat. Parmi les actes envisagés dans cet alinéa, il faut citer les modes de destruction autres que les meurtres proprement dits et, notamment la soumission du groupe à un régime de famine, l’expulsion systématique des logements et la privation de soins médicaux 1092. De même, on peut citer la création de conditions entraînant une mort lente, comme la privation de logement et de vêtements adéquats, le manque d’hygiène ou l’épuisement par des travaux ou des efforts physiques excessifs1093. 518. Sur proposition de la Belgique à la Sixième Commission (juridique) de l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations Unies, les termes « devant entraîner sa destruction physique » ont remplacé les termes « destinés à entraîner la mort »1094. Dans l’affaire Akayesu, la Chambre de première instance du TPIR a affirmé qu’« il faut entendre [par là] des moyens de destruction par lesquels l’auteur ne cherche pas nécessairement à tuer les membres du groupe, mais, à terme, vise leur destruction physique1095 ». L’idée de destruction physique est inhérente au génocide, terme formé de la racine grecque « genos », qui signifie « race » ou « tribu », et de l’infinitif latin « caedere , qui signifie « tuer ». Il faut également rappeler que le génocide culturel, distinct du génocide physique et biologique, a été spécifiquement exclu de la Convention sur le génocide. La Commission du droit international (la « CDI ») a fait observer :
519. L’expulsion d’un groupe ou d’une partie d’un groupe ne suffit pas. Il faut faire clairement le départ entre la destruction physique et la simple dissolution d’un groupe. L’expulsion d’un groupe ou d’une partie d’un groupe ne saurait à elle seule constituer un génocide1097. Comme Kreß l’écrivait, « [c]’est vrai même si l’expulsion tend à la dissolution du groupe, par fragmentation ou par assimilation. La raison en est que la dissolution du groupe ne doit pas être assimilée à sa destruction physique1098 . Dans ce contexte, la Chambre rappelle que la proposition faite par la Syrie au Sixième Comité d’ajouter un alinéa à l’article II de la Convention sur le génocide où il serait question des « [m]esures tendant à mettre les populations dans l’obligation d’abandonner leurs foyers afin d’échapper à la menace de mauvais traitements ultérieurs 1099 », a été rejetée par 29 votes contre 5, et 8 abstentions. 520. Le génocide est un crime unique en son genre en raison de l’accent mis sur l’intention spécifique. En fait, il se caractérise et se distingue des autres crimes par un « surcroît » d’intention. Les actes prohibés par les alinéas a) à c) de l’article 4 2) du Statut sont élevés au rang d’actes de génocide lorsqu’il est prouvé que leur auteur non seulement voulait les commettre, mais avait aussi l’intention de détruire, en tout ou en partie, le groupe pris pour cible en tant qu’entité distincte. Ce niveau d’intention est le « dol spécial » ou l’« intention spécifique », ces termes pouvant être utilisés indifféremment1100.
521. Le groupe doit être pris pour cible à cause de ses caractéristiques propres1101, et l’intention spécifique doit être de détruire le groupe comme entité distincte1102. Comme l’a souligné la Chambre Sikirica :
522. L’élément clé n’est pas la destruction physique effective du groupe, mais l’intention spécifique de le détruire1104. Comme l’a souligné la Chambre de première instance saisie de l’affaire Semanza, « s’agissant des victimes, il n’y a pas de seuil quantitatif à partir duquel on peut conclure au génocide1105 ». La Chambre de première instance insiste sur le fait que compte tenu du « surcroît » d’intention exigé, il n’est pas nécessaire de prouver une destruction de facto d’une partie du groupe1106, et elle conclut dès lors qu’il n’est pas nécessaire d’établir, avec l’aide d’un démographe, le nombre de victimes. L’intention génocidaire spécifique est l’élément constitutif principal de l’infraction. 523. En interprétant l’expression « destruction d’un groupe en partie », la Chambre de première instance suit, non sans une légère hésitation, la jurisprudence du TPIY et du TPIR qui permet de parler de génocide même si l’intention spécifique se limite à une zone géographique réduite, comme une municipalité1107. La Chambre de première instance est consciente du fait que cette approche est susceptible de dénaturer la définition du génocide si elle n’est pas appliquée avec prudence 1108. 524. La Chambre de première instance est d’accord avec la Chambre de première instance saisie de l’affaire Krstic pour estimer que « l’intention de détruire un groupe, fût-ce en partie, implique la volonté de détruire une fraction distincte du groupe, et non une multitude d’individus isolés appartenant au groupe1109 . Elle poursuit :
525. La Chambre de première instance note qu’il ressort de la jurisprudence du Tribunal que l’intention de détruire un groupe peut, en principe, être établie si cette destruction vise une composante importante de ce groupe, telle que ses dirigeants1111. 526. Il est généralement admis, en particulier dans la jurisprudence du TPIY et du TPIR, que l’intention génocidaire spécifique peut se déduire des faits1112, des circonstances concrètes, ou d’une « ligne de conduite délibérée1113 . 527. Dans la Décision Ojdanic, la Chambre d’appel a affirmé que la participation à une entreprise criminelle commune était « une forme de "commission" au sens de l’article 7 1) du Statut1114 ». La Chambre d’appel a estimé que « pour autant que le participant partage (et c’est là une condition impérative) le dessein de l’entreprise criminelle commune et ne se contente pas d’en avoir seulement connaissance, il ne saurait être considéré comme un simple complice du crime prévu1115 . 528. On considère généralement la « commission » comme une forme de responsabilité, et l’entreprise criminelle commune offre une définition de la « commission ». Dans l’affaire Celebici, la Chambre d’appel a qualifié la « commission » de « responsabilité principale ». En outre, comme le fait observer la Chambre de première instance dans le Jugement Kunarac, un crime peut être commis seul ou de concert avec d’autres. En d’autres termes, « [u]n même crime peut avoir plusieurs auteurs dès lors que les éléments constitutifs de l’infraction sont réunis pour chacun d’eux1116 ». 529. L’Accusation fonde la responsabilité pour génocide au sens de l’article 4 3 ) a) du Statut sur la coaction dans le cadre d’une entreprise criminelle commune visant (ou ayant fini par en venir) au génocide, ou sur la coaction dans le cadre d’une entreprise criminelle commune où le génocide a été la conséquence naturelle et prévisible de l’exécution du dessein commun. Elle affirme que l’intention spécifique est requise pour chacun des auteurs, et pour ceux qui ont ordonné, planifié ou incité à commettre des actes de génocide1117. Toutefois, l’Accusation soutient que la preuve de cette intention n’est pas requise « dans le cas bien précis de la troisième variante de l’entreprise criminelle commune 1118 ». 530. La Chambre de première instance considère que l’invocation d’une forme de responsabilité ne saurait remplacer un élément constitutif essentiel du crime. L’Accusation confond les formes de responsabilité et les crimes eux-mêmes. L’amalgame fait entre la troisième variante de l’entreprise criminelle commune et le génocide aurait pour effet de diluer le dol spécial au point de le faire disparaître. La Chambre de première instance considère donc que pour que le génocide soit « commis », il faut que ses éléments constitutifs, y compris le dol spécial, soient réunis. Les notions d’« escalade aboutissant au génocide », ou de génocide comme « conséquence naturelle et prévisible » d’une entreprise ne visant pas précisément au génocide, sont incompatibles avec la définition du génocide pris au sens au sens de l’article 4 3) a) du Statut. 531. Dans la Décision Stakic relative à la demande d’acquittement déposée en application de l’article 98 bis du Règlement, la Chambre de première instance s’est penchée sur la relation existant entre l’article 7 1) du Statut et son article 4 3), portant sur la complicité de génocide. Elle estime que ces deux articles se recoupent et qu’il y a deux approches possibles. L’article 4 3) peut être considéré comme la disposition spéciale (lex specialis) et l’article 7 1) comme la disposition générale (lex generalis), ou bien l’on peut faire entrer dans le cadre de l’article 4 3) les formes de participation envisagées à l’article 7 1). Comme l’a souligné la Chambre de première instance dans l’affaire Semanza, il n’y a pas de réelle différence entre la complicité de génocide et la « définition large de l’aide et de l’encouragement1119 . 532. La Chambre de première instance a précédemment défini les auteurs ou coauteurs de génocide comme ceux qui conçoivent le projet de génocide au plus haut niveau et prennent les principales mesures pour sa mise en œuvre1120. Il s’agit de personnes qui jouent « un rôle majeur de coordination1121 » et dont « la participation est extrêmement importante, et se situe au niveau de la direction1122 ». La Chambre de première instance considère que ne doivent, en règle générale, répondre d’un génocide pris au sens de l’article 4 3) a) du Statut que les « auteurs » ou les « coauteurs . 533. Le complice d’une infraction peut être défini comme quelqu’un qui, entre autres, s’associe à une infraction commise par un autre. La complicité de génocide s’entend de « tous les actes d’aide ou d’encouragement qui ont grandement contribué à la consommation du crime de génocide ou qui ont eu un effet substantiel sur celle-ci 1123 ». La complicité implique donc forcément l’existence d’une infraction principale1124. En d’autres termes, il ne peut y avoir de complicité de génocide que lorsqu’il y a eu ou lorsqu’il y a génocide1125. Toutefois, la Chambre de première instance admet qu’un individu peut être poursuivi pour complicité de génocide même si l’auteur principal n’a pas été jugé ni même identifié1126, et qu’il n’est pas nécessaire que l’auteur et le complice se connaissent. 534. La Chambre de première instance ne peut donc tenir un accusé responsable de complicité de génocide que si elle est convaincue au-delà de tout doute raisonnable qu’un génocide a eu lieu. En l’espèce, la Chambre de première instance estime qu’il n’est pas nécessaire de s’appesantir sur les éléments matériel et moral de la complicité de génocide.
a) Arguments des parties concernant les faits 535. L’Accusation affirme, vu l’article 4 3) a) du Statut, que Milomir Stakic est responsable de la mort d’environ 3 000 personnes dans la municipalité de Prijedor 1127, principalement dans les camps d’Omarska, de Keraterm et de Trnopolje, mais également à Kozarac, Kamicani, Hambarine, Biscani, Carakovo, Brisevo, au stade de football de Ljubija, dans le secteur de la mine de fer de Ljubija, à la caserne de Benkovac, devant le camp de Manjaca, et au lieu-dit Koricanske stijene dans le secteur du mont Vlasic1128. L’Accusation soutient que les victimes étaient des Musulmans et des Croates de la municipalité de Prijedor, et qu’elles ont délibérément été choisies en raison de leur appartenance à ces deux groupes1129. En outre, l’Accusation avance que ce sont les notables musulmans et croates qui ont été pris pour cible, et notamment les dirigeants politiques, les fonctionnaires, les enseignants, les avocats, les chefs d’entreprise, les médecins, le personnel soignant et les policiers1130. L’Accusation affirme que l’intention qu’avait Stakic de tuer ces personnes peut s’inférer de l’autorité dont il était investi, des mesures qu’il a prises dans l’exercice de cette autorité, de son étroite collaboration avec la police et l’armée, et du fait qu’il n’a pas empêché ou sanctionné les meurtres lorsqu’il en a eu connaissance1131. 536. Vu l’article 4 3) b) du Statut, l’Accusation fait état de sévices, de tortures, de viols, de mauvais traitements psychologiques, d’interrogatoires et de jeux humiliants aux camps d’Omarska, de Keraterm et de Trnopolje ainsi que dans d’autres centres de détention1132. L’Accusation affirme que les personnes victimes de mauvais traitements physiques et psychologiques dans le camp étaient des Musulmans et des Croates de la municipalité de Prijedor, notamment des hommes, des femmes, des enfants et des personnes âgées, mais tout particulièrement les dirigeants1133. Selon l’Accusation, l’intention qu’avait Milomir Stakic d’attenter gravement à l’intégrité physique et mentale des détenus musulmans et croates des camps de Prijedor et des centres de détention peut se déduire de ce que, comme il a été établi, ces camps ont été créés et étaient contrôlés par l’Accusé et la cellule de crise, l’Accusé ayant de facto autorité sur les policiers et militaires chargés de leur surveillance 1134. 537. Vu l’article 4 3) c) du Statut, l’Accusation affirme que l’ensemble des sévices, viols, violences sexuelles, humiliations et violences psychologiques infligés aux détenus dans les camps, ainsi que les conditions générales de vie qui régnaient et les expulsions systématiques, constituent des conditions de vie devant entraîner la destruction des groupes musulmans et croates au sein de la municipalité de Prijedor 1135. L’Accusation affirme que tout cela a été orchestré afin d’annihiler ces groupes. 538. L’Accusation soutient que les éléments de preuve présentés au procès établissent au-delà de tout doute raisonnable que Milomir Stakic a agi avec l’intention spécifique de détruire les groupes musulman et croate comme tels dans la municipalité de Prijedor 1136. Elle affirme que cette intention peut s’inférer1137 :
L’Accusation soutient que ces éléments permettent de conclure au génocide. Elle fait explicitement mention du projet de création par la force d’un État serbe ethniquement pur en Bosnie-Herzégovine. Selon l’Accusation, « le principal but poursuivi était le déplacement ou la destruction d’une fraction suffisante de la population musulmane pour garantir que les Musulmans restants ne constitueraient nullement une menace et seraient totalement assujettis1138. L’Accusation se fonde sur des témoignages relatifs aux conditions de vie dans les camps, à la destruction de villes, de villages, d’églises et de mosquées, au rôle tenu par Milomir Stakic dans l’appareil de propagande, au nombre de personnes détenues puis exécutées dans les camps, à la dissimulation de corps dans des charniers, au refus de reconnaître les droits des Musulmans et des Croates, aux transferts hors de Prijedor, et aux déclarations de Milomir Stakic1139. 539. La Défense affirme que les éléments de preuve présentés « ne portent pas irrésistiblement à conclure que Milomir Stakic était partie à un projet de création d’un État serbe unifié qui passait par la destruction d’autres groupes ethniques1140 . La Défense renvoie au discours prononcé le 12 mai 1992 par Radovan Karadzic lors de la séance inaugurale de l’Assemblée du peuple serbe de Bosnie-Herzégovine, et affirme que, si les discours prononcés montrent que les Serbes de Bosnie souhaitaient se séparer de la Bosnie-Herzégovine, ils ne permettent pas d’établir l’intention de commettre un génocide en vue de créer un État monoethnique1141. 540. Selon la Défense, les camps ont été créés pour des raisons légitimes, au regard des Conventions de Genève, et leur création ne participait pas d’un projet génocidaire 1142. La Défense renvoie à l’ordre daté du 31 mai 1992 et signé par Simo Drljaca, chef du poste de sécurité publique de la municipalité de Prijedor : ordre était donné de créer un centre de regroupement à Omarska en conformité avec la décision de la cellule de crise1143 qui, selon la Défense, prévoyait un camp d’internement qui devait être approvisionné en nourriture, nettoyé, entretenu et placé sous la supervision directe du chef de la police1144. La Défense fait également référence à un rapport du centre des services de sécurité de Banja Luka daté du 18 août 19921145 qui, selon elle, fait état de la volonté des officiels de la municipalité d’accorder liberté de religion et droits nationaux à tous ceux qui feraient allégeance à la République serbe de Bosnie, et qui montre que Milomir Stakic n’était nullement animé d’une intention génocidaire1146. La Défense affirme qu’il n’y a pas de preuve crédible de la présence de Milomir Stakic dans l’un quelconque des camps1147. 541. La Défense fait valoir que Milomir Stakic n’a en aucune manière été impliqué dans l’organisation des convois d’autocars au départ de la municipalité de Prijedor, et que, même s’il avait lui-même pris des dispositions pour organiser le transport de personnes désireuses de quitter la municipalité de Prijedor, on n’aurait pu y voir la preuve d’une intention génocidaire1148. 542. S’agissant des conclusions et des ordres émanant de la cellule de crise, la Défense affirme qu’ils participent des tentatives de restaurer l’ordre public, et qu’ils ne portent pas irrésistiblement à conclure au génocide1149. 543. Enfin, la Défense met en avant les témoignages qui donnent de Milomir Stakic l’image d’un homme au tempérament doux qui ne manifestait aucune haine ni aucune volonté de discrimination envers les autres habitants de la municipalité de Prijedor, et elle avance qu’il n’a pas été informé des agissements criminels qui avaient cours dans les camps ou qu’il a été trompé à ce sujet1150. b) Examen et conclusions concernant les chefs 1 et 2 544. Des crimes ont été perpétrés de manière massive dans toute la municipalité de Prijedor pendant la période couverte par le quatrième acte d’accusation modifié, c’est-à-dire du 30 avril 1992 au 30 septembre 1992. Comme il ressort des constatations de la Chambre, les meurtres étaient fréquents aux camps d’Omarska, de Keraterm et de Trnopolje ainsi que dans d’autres centres de détention. De même, nombre de personnes ont été tuées au cours des attaques menées par l’armée des Serbes de Bosnie contre des villes et des villages majoritairement non serbes dans toute la municipalité de Prijedor, et plusieurs massacres de Musulmans ont eu lieu. Les milliers de personnes détenues dans les camps se sont vu infliger des traitements inhumains et dégradants, incluant régulièrement des sévices. En outre, des viols et des violences sexuelles ont été commis dans certains de ces camps. Les détenus recevaient juste assez de nourriture pour survivre. De plus, des Musulmans de Bosnie qui avaient vécu toute leur vie dans la municipalité de Prijedor ont été chassés de leurs maisons. Les Musulmans de Bosnie étaient victimes de discrimination dans le travail, notamment de licenciements arbitraires, leurs maisons étaient marquées pour être détruites, et nombre d’entre elles ont effectivement été détruites, tout comme des mosquées et des églises catholiques. L’Accusation considère que tous ces événements, dont la municipalité de Prijedor a été le théâtre en 1992, constituent l’élément matériel du génocide au sens des articles 4 2) a) à c) du Statut. 545. La Chambre de première instance identifiera tout d’abord le ou les groupes pris pour cible, pour les besoins de la définition du génocide. La Chambre constate que la majorité des victimes d’actes susceptibles de tomber sous le coup des articles 4 2) a) à c) du Statut sont des Musulmans de Bosnie. Des preuves de crimes similaires contre des Croates de Bosnie lui ont également été présentées. Toutefois, la municipalité de Prijedor ne comptait qu’un nombre réduit de Croates1151, et la Chambre de première instance estime que les preuves de crimes contre des Croates sont insuffisantes pour lui permettre de conclure que les Croates de Bosnie constituaient de leur côté un groupe pris pour cible. 546. La Chambre de première instance a passé ses constatations en revue dans la deuxième partie du présent jugement et il s’en dégage un ensemble d’atrocités dont les Musulmans de la municipalité de Prijedor ont été victimes en 1992, et qui ont été établies au-delà de tout doute raisonnable. Toutefois, pour pouvoir conclure que Milomir Stakic a pris part à ces actes en tant que coauteur d’un génocide, la Chambre de première instance doit être convaincue qu’il était animé de l’intention requise. Donc, la question capitale à laquelle la Chambre doit répondre est celle de savoir si l’accusé avait l’intention spécifique voulue, celle-ci étant l’élément constitutif essentiel de ce crime. 547. Milomir Stakic est accusé d’avoir pris part dans la municipalité de Prijedor à une campagne génocidaire, qui aurait été conçue au plus haut niveau de la République serbe et aurait été lancée aux alentours du 24 octobre 1991, date de la séance inaugurale de l’Assemblée du peuple serbe de Bosnie-Herzégovine. Il est accusé d’avoir agi de concert avec Milan Kovacevic et Simo Drljaca, de la cellule de crise de Prijedor ; avec Radoslav Brdanin, le général Momir Talic et Stojan Zupljanin, de la cellule de crise de la RAK ; et avec Radovan Karadzic, Momcilo Krajisnik et Biljana Plavsic, dirigeants de la République serbe et du SDS1152. Dans la Décision Stakic relative à la demande d’acquittement déposée en application de l’article 98 bis du Règlement, la Chambre de première instance a estimé que, sur la base des éléments de preuve présentés par l’Accusation, une Chambre de première instance « pourrait [raisonnablement] conclure que Stakic partageait les plans visant à créer un État serbe unifié en détruisant d’autres groupes ethniques 1153 ». À la lumière de tous les témoignages présentés, la Chambre de première instance estime qu’on ne lui a pas fourni les informations nécessaires sur l’état d’esprit des auteurs présumés qui se situaient au-dessus de Milomir Stakic dans la structure politique pour lui permettre de conclure que ces derniers étaient mus par l’intention spécifique au génocide. En conséquence, la Chambre de première instance ne peut tirer de la structure verticale la conclusion que Milomir Stakic partageait cette intention. 548. Pendant la période couverte par l’Acte d’Accusation, les activités de Milomir Stakic s’inscrivaient dans le cadre plus large de celles du SDS au plan national, et de celles de la RAK, association de municipalités de Bosnie-Herzégovine contrôlée par les Serbes, à laquelle l’assemblée serbe de Prijedor a décidé le 17 janvier 1992 d’adhérer1154. Les éléments de preuve indiquent que les dirigeants locaux et municipaux du SDS étaient en contact avec leurs homologues régionaux, voire nationaux, et prenaient d’ailleurs leurs instructions auprès de ceux-ci1155. Radovan Karadzic a présenté les six objectifs stratégiques du peuple serbe à la séance de l’Assemblée du peuple serbe de Bosnie-Herzégovine tenue le 12 mai 1992 à Banja Luka1156. Fait important, le premier de ces objectifs était la séparation d’avec les deux autres communautés nationales, à savoir les Musulmans et les Croates de Bosnie, « une séparation des États », une « [s]éparation d’avec ceux qui sont nos ennemis ». 549. Milomir Stakic a organisé la tenue d’une séance de l’Assemblée du peuple serbe de Bosnie-Herzégovine à l’hôtel Prijedor le 22 ou 23 octobre 1992, séance à laquelle a assisté Radovan Karadzic1157, et la Chambre de première instance est convaincue qu’à cette occasion au moins, l’Accusé a rencontré ce dernier. Toutefois, la Chambre de première instance ne sait pas sur quoi portait ce genre de réunion. De même, la Chambre de première instance ne peut se fonder sur le témoignage de Ranko Travar pour conclure que l’Accusé est resté au SDS et fidèle à Radovan Karadzic lorsque des dissensions sont apparues entre ce dernier et Biljana Plavsic en 19971158, fait qui, en tout état de cause, ne tombe pas pendant la période couverte par l’Acte d’accusation. Ainsi, les preuves manquent pour conclure qu’une campagne génocidaire avait été planifiée au plus haut niveau. 550. Les membres de la structure verticale hiérarchique sont soit décédés, soit indisponibles car faisant l’objet de poursuites, réserve faite de Biljana Plavsic, qui pouvait être citée à comparaître en qualité de témoin puisqu’elle a été jugée. Le 2 octobre 2002, suite à un accord confidentiel sur le plaidoyer, Biljana Plavsic a plaidé coupable du chef de persécutions. Le 8 janvier 2003, la Chambre de première instance a soulevé la question de son audition dans l’affaire Stakic1159, ce pour quoi la Défense a fait part de son intérêt1160. La Chambre a ordonné que l’on procède à l’audition de Biljana Plavsic dès que possible, après le prononcé de sa peine, et que l’Accusation lui communique, ainsi qu’à la Défense, une copie de ses déclarations ainsi que de l’accord sur le plaidoyer 1161, ce qu’elle a fait le 14 janvier 2003. Le 27 février 2003, Biljana Plavsic a été condamnée à une peine d’emprisonnement de 11 ans1162. Le 19 mars 2003, l’Accusation a, dans le cadre du contre-interrogatoire de Srdja Trifkovic, présenté l’exposé des faits sur la base duquel Biljana Plavsic a plaidé coupable1163. Le 25 mars 2003, la Défense a déclaré ne plus tenir à l’audition de Biljana Plavsic 1164 et l’Accusation a renoncé à faire appel sur ce point1165. À la suite de réunions confidentielles tenues avec les parties en vertu de l’article 65 ter I) du Règlement dans l’affaire Plavsic comme dans l’affaire Stakic1166, l’Accusation a, le 1er avril 2003, accepté de retirer l’exposé des faits sur la base duquel Biljana Plavsic avait plaidé coupable1167 et la Défense a assuré qu’elle s’abstiendrait d’entreprendre un recours au motif qu’elle n’avait pas eu la possibilité de procéder à son contre-interrogatoire1168. Enfin, la Chambre de première instance a décidé qu’il n’y avait pas lieu de repousser la clôture des débats en l’espèce pour entendre Biljana Plavsic dans la mesure où, sans préjuger de son témoignage, on ne pouvait raisonnablement s’attendre à ce qu’après avoir plaidé coupable du chef de persécutions et non de génocide, elle fasse ou soit en mesure de faire une déclaration permettant à la Chambre de première instance de conclure que l’une des personnes mentionnées au paragraphe 27 de l’Acte d’accusation était animée de l’intention spécifique1169. 551. La Chambre de première instance souligne que c’est sur la seule base des éléments de preuve présentés en l’espèce qu’elle est parvenue à la conclusion qu’une intention génocidaire au plus haut niveau n’avait pas été prouvée au-delà de tout doute raisonnable. Un certain nombre d’indices pouvaient pourtant porter à croire à l’existence de pareille intention, et la Chambre a essayé d’approfondir la question en citant d’office des témoins supplémentaires en vertu de l’article 98 du Règlement1170. 552. La Chambre de première instance observe que l’Accusation a explicitement déclaré ne pas avoir accusé Milomir Stakic de crimes pour lesquels il serait nécessaire d’établir l’existence d’une entreprise criminelle commune verticale débordant le cadre de Prijedor1171. Milomir Stakic est accusé de « crimes que l’on peut directement relier, au travers de l’entreprise criminelle commune horizontale de Prijedor, à leurs exécutants à Prijedor1172». 553. S’agissant du « meurtre de membres du groupe », la Chambre de première instance n’est pas convaincue que Milomir Stakic était animé de l’intention spécifique requise pour le génocide, mais laisse ouverte la question de l’existence d’un dol éventuel pour les meurtres, lequel pourrait suffire à établir l’intention requise pour d’autres crimes reprochés dans l’Acte d’accusation. Bien que la Chambre de première instance soit convaincue que le but commun des membres du SDS dans la municipalité de Prijedor, notamment de Milomir Stakic en qualité de Président de l’assemblée municipale, était d’instituer une municipalité serbe, les éléments de preuve présentés ne suffisent pas à établir l’intention d’y parvenir au prix d’une destruction partielle du groupe musulman. La Chambre de première instance pense que le but poursuivi était celui d’éliminer toute menace qu’ils voyaient planer sur le plan d’ensemble, en particulier celle que représentaient les Musulmans, et de forcer les non-Serbes à quitter la municipalité de Prijedor. La sécurité des Serbes et la défense de leurs droits semblent avoir été leurs premières préoccupations. Comme un membre de la délégation de l’ECMM qui s’est rendu dans la municipalité de Prijedor à la fin août 1992 l’a souligné, « la conclusion que nous tirons de ce que nous avons vu est que la population musulmane est indésirable et qu’elle est systématiquement chassée par tous les moyens possibles1173 ». Si l’objectif poursuivi avait bien été celui de tuer tous les Musulmans, les structures étaient déjà là pour le faire. La Chambre de première instance relève que, si l’on a enregistré le passage d’environ 23 000 personnes par le camp de Trnopolje à un moment ou à un autre de son existence et par d’autres camps installés à la périphérie1174, il n’y a au total probablement pas eu plus de 3 000 meurtres dans la municipalité de Prijedor1175. 554. Si Milomir Stakic a pris part à l’intense campagne de propagande menée contre les Musulmans, rien ne permet de penser qu’il a lui-même tenu des propos haineux qui permettraient de conduire à l’existence d’un dol spécial. Milomir Stakic n’a pas publiquement lancé d’appel au meurtre, et même si ses propos révèlent une intention de modifier la composition ethnique de Prijedor la Chambre de première instance ne saurait en déduire qu’il avait l’intention de détruire le groupe musulman, de même qu’elle ne saurait tirer pareille conclusion de la remarque de l’Accusé selon laquelle les Musulmans de Bosnie sont « une création artificielle1176 , et de l’interview qu’il a accordée à la télévision allemande en janvier 1993 au cours de laquelle il a fait montre d’intolérance envers les Musulmans, préconisant l’expulsion des Musulmans « ennemis » de Prijedor et non pas la destruction physique de tous les Musulmans. L’interview s’est terminée sur ces mots : « Ceux qui ont du sang sur les mains ne pourront revenir. Après la guerre, les autres le pourront, si tel est leur souhait1177. » L’intention de déplacer une population n’est pas assimilable à l’intention de la détruire. 555. La Chambre de première instance a examiné la question de savoir si quelqu’un d’autre situé sur le même plan dans la municipalité de Prijedor était animé de l’intention spécifique de commettre un génocide en tuant des membres du groupe musulman, mais elle a conclu qu’il n’y avait aucune preuve convaincante en ce sens. Simo Drljaca, chef du SJB de Prijedor, a clairement joué un rôle important dans la création et le fonctionnement des camps1178, et il a été décrit dans les témoignages présentés comme une personne difficile, voire brutale1179, mais la Chambre de première instance n’est pas convaincue qu’il ait entraîné la cellule de crise dans une campagne génocidaire1180. 556. S’agissant de l’« atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe », la Chambre de première instance ne saurait conclure, pour les raisons exposées au paragraphe précédent, que Milomir Stakic a commis des actes portant gravement atteinte à l’intégrité physique ou mentale de Musulmans avec l’intention de détruire le groupe musulman. 557. Pour les mêmes raisons, la Chambre de première instance conclut que le dol spécial n’a pas été établi s’agissant de la « soumission intentionnelle du groupe à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ». La Chambre rappelle dans ce contexte que l’expulsion d’un groupe ou d’une partie d’un groupe ne suffit pas si elle ne s’accompagne pas de la mise en œuvre de moyens visant à la destruction physique de celui-ci. 558. À propos de la troisième catégorie d’entreprise criminelle commune, la Chambre de première instance répète qu’au regard du droit applicable en la matière, le concept de génocide comme conséquence naturelle et prévisible d’une entreprise ne visant pas précisément au génocide n’est pas suffisant. 559. La Chambre de première instance rappelle que dès lors que l’accusé n’est pas tenu responsable d’un crime en vertu de l’article 7 1) du Statut, il faut envisager la possibilité qu’il le soit en vertu de l’article 7 3) du Statut. Dans la mesure où la Chambre de première instance n’est pas convaincue au-delà de tout doute raisonnable que quelqu’un et notamment les subordonnés de Milomir Stakic dans la municipalité de Prijedor étaient mus par l’intention spécifique, l’article 7 3) du Statut ne peut s’appliquer dans le cadre du chef 1. 560. Par ces motifs, Milomir Stakic est acquitté du chef de génocide (chef 1 de l’Acte d’accusation). 561. Pour que Milomir Stakic soit convaincu de complicité de génocide, il faut établir qu’il y a bien eu génocide. Vu les éléments de preuve présentés en l’espèce, la Chambre de première instance n’est pas convaincue au-delà de tout doute raisonnable qu’un génocide ait eu lieu à Prijedor en 1992. Milomir Stakic est donc acquitté du chef de complicité de génocide (chef 2 de l’Acte d’accusation).
562. Aux chefs 3 à 8 de l’Acte d’accusation, Milomir Stakic est accusé de violations des lois ou coutumes de la guerre (sanctionnées par l’article 3 du Statut) et de crimes contre l’humanité (sanctionnés par l’article 5 du Statut). Cette partie est consacrée aux conditions d’application communes à ces articles.
563. Les parties soutiennent que l’existence d’un conflit armé, interne ou international, est une condition nécessaire à l’application des articles 3 et 5 du Statut. 564. L’Accusation fait valoir que si l’article 3 du Statut exige un lien entre les crimes commis et le conflit armé, il n’est pas nécessaire, aux termes de l’article 5 du Statut, que ce lien soit « substantiel »1181. 565. La Défense affirme, à propos de l’article 3, que l’Accusation doit établir l’existence d’un lien entre le conflit armé et l’infraction reprochée1182. 566. Aux termes de l’article 3 du Statut, le Tribunal est compétent pour poursuivre les personnes qui commettent des violations des lois ou coutumes de la guerre, à condition qu’il existe un conflit armé sur le territoire où les crimes auraient été commis. Que le conflit soit international ou interne est sans importance pour l’application de l’article 3 du Statut1183. 567. Aux termes de l’article 5 du Statut, le Tribunal est habilité à juger les personnes présumées responsables de crimes contre l’humanité. Si la Chambre d’appel a jugé qu’« il se peut que le droit international coutumier n’exige pas du tout de lien entre les crimes contre l’humanité et un conflit quel qu’il soit1184 , l’article 5 limite la compétence du Tribunal aux crimes contre l’humanité « commis au cours d’un conflit armé, de caractère international ou interne ». 568. Un conflit armé existe « chaque fois qu’il y a recours à la force armée entre États ou un conflit armé prolongé entre les autorités gouvernementales et des groupes armés organisés ou entre de tels groupes au sein d’un État1185 .
569. S’agissant de l’article 3, l’Accusation doit également établir l’existence d’un lien entre les actes de l’Accusé qui constitueraient une violation des lois ou coutumes de la guerre et le conflit armé en question. Pour ce qui est de la nature exacte de ce lien, la Chambre d’appel a jugé qu’« il suffirait […] que les crimes allégués soient étroitement liés aux hostilités se déroulant dans d’autres parties des territoires contrôlés par les parties au conflit1186 . Autrement dit, il suffit d’établir que l’auteur du crime a agi dans le but de servir un conflit armé ou sous le couvert de celui-ci1187. Pour déterminer si un acte donné est suffisamment lié au conflit armé, la Chambre d’appel a indiqué que l’on pouvait tenir compte, entre autres, des indices suivants 1188 :
570. À l’inverse, la Chambre d’appel a affirmé que « l’exigence énoncée à l’article 5 du Statut n’est qu’une condition préalable à l’exercice de la compétence, et elle est satisfaite dès lors qu’est prouvée l’existence d’un conflit armé et qu’il est établi qu’il existait un lien objectif du point de vue géographique et temporel entre les actes de l’accusé et le conflit armé1189.
571. La Chambre de première instance est convaincue qu’un conflit armé a existé sur le territoire de la municipalité de Prijedor entre le 30 avril et le 30 septembre 1992. 572. Premièrement, l’expert militaire de la Défense a indiqué que, selon lui, un conflit armé existait dans la municipalité de Prijedor entre avril et septembre 19921190. Ewan Brown, l’expert militaire de l’Accusation, a déclaré qu’après les attaques contre Hambarine et Kozarac, les opérations de combat s’étaient poursuivies dans la municipalité de Prijedor tout au long de l’été 19921191. 573. En outre, les rapports de combat réguliers que le commandement du 1er corps de Krajina adressait au commandement du 5e corps tendent largement à prouver que des opérations de combat se déroulaient dans la municipalité de Prijedor durant la période couverte par l’Acte d’accusation1192. 574. Enfin, le fait que Kozarski Vjesnik parle des numéros parus durant cette période comme des « éditions de guerre » confirme que les opérations de combat se poursuivaient1193. 575. La Chambre de première instance est aussi convaincue qu’il existait un lien entre ce conflit armé et les actes de l’Accusé, et qu’il peut être établi tant par des éléments objectifs que subjectifs. 576. Il s’avère que la cellule de crise, dont Milomir Stakic était le Président, a lancé un ultimatum aux habitants de Hambarine, leur enjoignant de remettre leurs armes, faute de quoi ils en subiraient les conséquences1194. Un rapport du SJB indique que c’est la cellule de crise qui a décidé d’intervenir militairement dans le village de Hambarine1195. En outre, en sa qualité de Président de la cellule de crise, Milomir Stakic a déclaré dans une interview, à propos de l’attaque contre la ville de Kozarac : « [E]n fait, nous avons décidé d’envoyer l’armée et la police […]1196. » Il apparaît que pendant toute la durée du conflit armé, Milomir Stakic est resté en relation étroite avec l’armée1197.
577. Milomir Stakic est accusé de meurtre, crime reconnu par l’article 3 1) a) des Conventions de Genève de 1949 et sanctionné par l’article 3 du Statut. Il est de jurisprudence constante dans ce Tribunal que les violations de l’Article 3 commun aux Conventions de Genève de 1949 (« l’article 3 commun ») entrent dans le champ d’application de l’article 3 du Statut1198. 578. L’article 3 commun dispose notamment :
579. La Chambre de première instance rappelle qu’elle a déjà conclu à la présence de deux des conditions d’application de l’article 3 : l’existence d’un conflit armé et d’un lien entre les actes de l’Accusé et ce conflit. 580. Comme les parties l’ont affirmé1200, quatre conditions spécifiques à l’article 3 du Statut, en plus des conditions communes à l’article 3 et à l’article 5, doivent être remplies pour qu’il y ait un meurtre constitutif d’une violation des lois ou coutumes de la guerre :
581. La dernière condition d’application de l’article 3 est que la victime ne devait pas prendre une part active aux hostilités lorsque les crimes ont été commis. La Chambre de première instance va maintenant examiner les éléments spécifiques du meurtre. 582. L’Accusation soutient que, pour que soit constitué le meurtre en tant que violation des lois ou coutumes de la guerre, il faut que l’accusé ait, par un acte ou une omission, causé la mort d’une ou de plusieurs personnes. Selon l’Accusation, la participation de l’accusé au crime doit avoir été « substantielle », et le meurtre suppose l’intention « de tuer ou d’infliger de graves blessures dans un mépris total de la vie humaine1202 ». 583. La Défense affirme que les éléments constitutifs du meurtre au sens de l’article 3 sont : i) le décès de la victime résultant d’un acte ou une omission de l’accusé, et ii) le fait que, par cet acte ou cette omission, l’accusé avait l’intention de donner la mort1203. 584. La définition du meurtre constitutif d’une violation des lois ou coutumes de la guerre est désormais établie dans la jurisprudence du TPIR et du TPIY : le décès de la victime doit résulter d’un acte ou d’une omission de l’accusé alors qu’il était animé de l’intention de donner la mort à la victime ou de porter des atteintes graves à son intégrité physique, dont il ne pouvait que raisonnablement prévoir qu’elles étaient susceptibles d’entraîner la mort1204. 585. Cependant, cette définition peut prêter à confusion car dans la version anglaise des articles 3 et 5, « killings » et « murder » sont employés indifféremment. La Chambre de première instance note que la jurisprudence préexistante en la matière exigeait une « intent to kill » (autrement dit, une intention homicide), mais ne donnait aucune indication sur le sens de cette expression. Le Black’s Law Dictionary (7e édition) la définit ainsi :
En outre, la Chambre de première instance fait remarquer que le terme anglais « murder » employé à l’article 5 du Statut a été traduit dans la version en français par « assassinat ». 586. La Chambre de première instance est d’avis que dans le cadre de l’article 3 du Statut, le terme anglais « murder » désigne le fait d’ôter la vie à un être humain. Entendu au sens étroit d’homicide simple, le meurtre ne tombe pas sous le coup de cet article. Cependant, la Chambre de première instance pense que le terme anglais « murder » devrait être assimilé à celui de « killing », qui se traduit par meurtre en droit français et Mord en droit allemand. 587. Pour ce qui est de l’élément moral du crime, la Chambre de première instance conclut que tant un dol direct qu’un dol éventuel suffisent à établir le meurtre au sens de l’article 31205. En droit français comme en droit allemand, le meurtre (ou Totschlag) au sens courant se définit simplement comme le fait de donner volontairement la mort à autrui. En droit allemand, le dol éventuel suffit pour qu’il y ait meurtre. La définition technique du dol éventuel est la suivante : si l’agent adopte un comportement mettant en danger la vie d’autrui, il commet un meurtre dès lors qu’il « envisage » ou « accepte » la possibilité que son comportement cause la mort d’autrui. Par conséquent, si l’homicide est commis avec « une indifférence manifeste pour la valeur de la vie humaine », même un comportement faisant courir un risque infime peut être qualifié de meurtre. Les meurtres à grande échelle qui entreraient dans la catégorie des homicides par imprudence aux États-Unis d’Amérique satisferaient au critère continental du dol éventuel1206. La Chambre de première instance insiste sur le fait que le concept de dol éventuel n’inclut aucune condition de négligence ou de négligence grave1207.
a) Élément matériel (actus reus) 588. La Chambre de première instance est convaincue qu’il a été établi au-delà de tout doute raisonnable que tous les meurtres allégués aux paragraphes 44 et 47 de l’Acte d’accusation, à l’exception de ceux qui se seraient produits dans le village de Jaskici1208, ont été commis par les forces serbes armées.
589. La Chambre de première instance est convaincue que la grande majorité des victimes de ces crimes ne prenait pas une part active aux hostilités à l’époque des faits. En particulier, elle conclut que les personnes emprisonnées dans les camps d’Omarska, de Keraterm et de Trnopolje doivent automatiquement être considérées comme hors de combat puisqu’elles étaient en détention. Cela vaut aussi pour les personnes déplacées qui faisaient partie des nombreux convois organisés, ainsi que pour les civils innocents tués durant les attaques armées lancées de manière aveugle contre des établissements civils de la municipalité de Prijedor durant la période couverte par l’Acte d’accusation. S’agissant des femmes et des enfants qui ont été victimes de ces crimes, rien ne permet de penser qu’ils ont été engagés dans des combats.
590. La Chambre de première instance rappelle qu’elle est parvenue à la conclusion que les dirigeants du SDS de la municipalité de Prijedor, parmi lesquels Milomir Stakic, avaient un plan, celui de faire de Prijedor une municipalité serbe, c’est -à-dire une municipalité dont les Serbes auraient le contrôle et seraient assurés de le garder. Un des moyens envisagés pour parvenir à cet objectif était de lancer une campagne de nettoyage ethnique contre la population non serbe de la municipalité afin d’opérer un rééquilibrage ethnique, les Musulmans constituant alors la plus importante des communautés ethniques. Le plan s’est tout d’abord concrétisé à l’échelon de la municipalité de Prijedor, par la création le 7 janvier 1992 de l’Assemblée du peuple serbe et l’élection, au cours de cette même séance, de Milomir Stakic au poste de Président1209. 591. La Chambre de première instance conclut que les coauteurs du plan visant à consolider à tout prix l’emprise serbe sur la municipalité, parmi lesquels Milomir Stakic, premier magistrat de la municipalité, ont fait en sorte que les membres de la police, de l’armée et des forces irrégulières puissent agir en toute impunité. C’est ce qui ressort à l’évidence de la déposition du témoin B qui, lorsqu’on lui a demandé pourquoi il avait décidé de fuir Prijedor en 1992, a déclaré :
592. La mise en œuvre du projet de création d’une municipalité sous contrôle serbe a ensuite été précipitée par la prise de la municipalité sous l’impulsion du SDS le 30 avril 19921211. Milomir Stakic a immédiatement occupé les fonctions de président de l’assemblée municipale, et des dispositions ont été prises afin que Muhamed Cehajic, qui en était alors le Président régulièrement élu, se voie refuser l’accès au siège de l’assemblée municipale. Comme il a été démontré plus haut, Cehajic a ensuite été arrêté, détenu puis tué 1212. 593. Il apparaît que Stakic, figure de proue des autorités municipales1213, a, en coopération avec Simo Drljaca, le chef du SJB, le colonel Vladimir Arsic, le plus haut responsable militaire, et Milan Kovacevic, le président du comité exécutif, contribué à la réalisation du plan conçu par le SDS pour permettre aux Serbes d’asseoir leur pouvoir et leur autorité dans la municipalité. Comme il a été dit plus haut, la Chambre de première instance est convaincue que l’action conjointe et coordonnée des représentants susmentionnés des autorités civiles, de la police et de l’armée en vue de la réalisation du plan constitue une forme de coaction1214. 594. L’Accusation a présenté, sans que la Défense ne les réfute, de nombreux éléments tendant à prouver que dans les villes, hameaux, secteurs et centres de détention de la municipalité, la population civile non serbe et les personnes qui refusaient de faire allégeance aux autorités serbes ont été victimes de tueries de grande ampleur de la part des forces serbes1215. Selon la Chambre de première instance, ces tueries se rangent en trois catégories : 1) celles commises dans les centres de détention par les gardiens ou par des personnes extérieures au camp mais autorisées à y pénétrer ; 2) celles dont des personnes faisant partie de convois organisés ont été victimes de la part des unités de police et/ou de l’armée chargées d’assurer leur « protection », et 3) celles commises suite à une intervention armée de l’armée ou de la police dans les secteurs non serbes ou majoritairement non serbes de la municipalité1216. 595. S’agissant de la première catégorie de meurtres, ceux commis dans les camps, la Chambre de première instance est convaincue au-delà de tout doute raisonnable qu’en sa qualité de Président de la cellule de crise de Prijedor, Milomir Stakic a joué un rôle actif dans l’adoption de la décision de créer les camps tristement célèbres de Keraterm, Omarska et Trnopolje et qu’il lui a apporté le soutien sans réserve des autorités civiles1217. 596. Selon la Chambre de première instance, la création et la gestion de ces camps, qui ont nécessité la coopération de la police civile et des autorités militaires, ont mis en danger la vie de milliers de personnes, presque exclusivement non serbes, qui y étaient détenues. La Chambre a pris note des preuves établissant que l’Accusé avait clairement connaissance des conditions de vie dans les camps de détention similaires de Croatie et de Bosnie-Herzégovine dans lesquels étaient détenus des Serbes. Au cours d’une réunion tenue à Prijedor le 15 octobre 1992, à laquelle assistaient des membres du gouvernement de la Republika Srpska et de l’administration municipale placée sous l’autorité de l’Accusé, et le chef du CICR de Banja Luka, l’Accusé aurait demandé « pourquoi [le CICR] ne s’efforçait-il pas de faire libérer les Serbes détenus dans des camps en Croatie et en Bosnie-Herzégovine1218 . En outre, dans une interview publiée dans Kozarski Vjesnik du 26 juin 1992, l’Accusé est cité en ces termes : « Nous n’entendons pas faire subir aux Musulmans le traitement que les extrémistes musulmans ont infligé aux Serbes à Zenica, Konjic, Travnik, Jajce… et en tous lieux où ils sont majoritaires dans la Bosnie d’Alija. » La Chambre de première instance estime que ces déclarations montrent que l’Accusé était au courant des conditions de vie auxquelles certains groupes ethniques soumettaient les Serbes dans d’autres parties de l’ex-Yougoslavie. Il savait que les conditions de vie dans les camps établis dans la municipalité de Prijedor ne seraient pas différentes de celles existant dans d’autres parties de la Yougoslavie. 597. La Chambre de première instance a également pris note des déclarations faites par l’Accusé dans une interview accordée à British Channel 4, qui, lorsqu’on l’a interrogé au sujet de rumeurs faisant état de décès dans le camp d’Omarska, a déclaré :
598. En effet, on ne peut concevoir que Milomir Stakic, le plus haut dirigeant civil d’une municipalité de taille relativement modeste, ne s’est pas, à un moment donné, rendu compte que les meurtres et les mauvais traitements étaient monnaie courante dans les camps, en particulier à Omarska et à Keraterm. À ce propos, la Chambre de première instance rappelle aussi que plusieurs témoins ont déclaré avoir parlé directement à Milomir Stakic de membres de leur famille détenus dans les camps, et que presque tous ont affirmé que les meurtres et les mauvais traitements dans les camps étaient de notoriété publique1220. Milomir Stakic a néanmoins choisi de ne pas intervenir. Il a été l’un des coauteurs du plan visant à renforcer à tout prix l’emprise serbe sur la municipalité, quitte notamment à sacrifier des civils non serbes innocents détenus dans les camps. Il a tout simplement accepté que des non-Serbes périssent dans ces camps, et c’est ce qui s’est effectivement produit. 599. Par conséquent, la Chambre de première instance ne peut que parvenir à la conclusion que l’Accusé savait parfaitement que de nombreux meurtres étaient commis dans les camps qu’il avait contribué à créer. Les conditions de vie dans ces camps, où l’impunité était de règle, ce dont il était également informé, étaient de nature à causer le décès des détenus, qu’ils soient i) tués par les gardiens du camp, ii) tués par des personnes extérieures au camp (des militaires ou des forces irrégulières), ou iii) qu’ils décèdent en raison des conditions de vie déplorables et inhumaines qui y régnaient. 600. S’agissant de la deuxième catégorie de meurtres, la Chambre de première instance est convaincue que nombre d’entre eux ont été commis durant le transport pour les camps et les expulsions de la population civile non serbe de la municipalité. Ainsi, la Chambre de première instance a constaté que le 21 août 1992, quelque 200 hommes qui faisaient partie d’un convoi passant par le mont Vlasic avaient été massacrés par des hommes serbes armés1221. Les principaux auteurs de ce crime étaient des membres de la section d’intervention de Prijedor créée sur ordre de la cellule de crise1222. Cette section se composait de repris de justice et de personnes récemment libérées de prison. Son objectif était de terroriser la population non serbe à Prijedor, sans doute pour pousser les non-Serbes à l’exode. En confiant l’escorte d’un convoi de civils sans défense à de tels individus, comme ils l’ont fait à plusieurs reprises afin d’obtenir, conformément à leur plan, une municipalité purement serbe, Milomir Stakic et les autres coauteurs pouvaient raisonnablement s’attendre à ce que les personnes voyageant en convoi soient exposées à de graves souffrances, voire perdent la vie. Cela vaut aussi pour les meurtres mentionnés aux paragraphes 47 5) à 7) de l’Acte d’accusation, commis par les troupes armées qui escortaient les civils non serbes non armés vers les camps1223. 601. La connaissance que l’Accusé avait de ces crimes est également établie par les témoignages attestant qu’il a joué un rôle actif dans l’organisation du déplacement en masse de la population non serbe hors de la municipalité de Prijedor. Ainsi, le chef de bataillon Slobodan Kuruzovic, chef de l’état-major de la TO puis commandant du camp de Trnopolje, qui a assisté à la formation du convoi pour le mont Vlasic le 21 août 1992, a déclaré qu’il en avait peut-être discuté avec l’Accusé, bien que « de façon informelle1224 ». La Chambre de première instance est convaincue que l’Accusé n’a pu ignorer l’existence d’un crime aussi grave que le massacre perpétré à Koricanske Stijene sur le mont Vlasic, car il suivait à l’évidence le déplacement des habitants non serbes de Prijedor 1225. 602. Pour ces motifs, la Chambre de première instance conclut qu’en sa qualité de premier magistrat de la municipalité, Milomir Stakic est pénalement responsable pour avoir délibérément mis en danger les habitants de Prijedor qui faisaient partie de ce convoi ou d’autres alors qu’il savait que, selon toute probabilité, il leur arriverait malheur, voire qu’ils y perdraient la vie. 603. La Chambre de première instance va maintenant passer en revue les nombreux meurtres commis par l’armée et la police serbes dans la municipalité de Prijedor durant la période couverte par l’Acte d’accusation. 604. La Chambre de première instance dispose d’éléments prouvant que les unités militaires postées dans le secteur de Prijedor ont été largement renforcées au début de mai 1992. En particulier, un rapport de combat régulier en date du 3 mai 1992 rédigé par le commandement du 5e corps et adressé au commandement du 2e district militaire indique que
La Chambre de première instance prend note du repositionnement de ces unités et se dit convaincue qu’un fait aussi important a dû être discuté lors des premières séances du conseil pour la défense du peuple présidées par l’Accusé. En particulier, elle est convaincue que le sujet était à l’ordre du jour de la quatrième séance du conseil pour la défense du peuple qui s’est tenue le 15 mai 1992 et dont le compte rendu indique qu’il y a été question du « statut des forces déployées1227 . En outre, les éléments de preuve établissent aussi que le 15 mai 1992, le conseil pour la défense du peuple, après avoir débattu de la mobilisation dans la municipalité, a conclu que les conscrits qui restaient dans la municipalité devraient être affectés aux unités de guerre 4777 [la 43e brigade motorisée1228] et 8316 [la TO de Prijedor1229], ce qui renforçait de manière significative ces unités. 605. La Chambre de première instance est donc convaincue au-delà de tout doute raisonnable que l’Accusé était au courant de la nette supériorité des unités serbes armées. 606. Dans un entretien publié dans Kozarski Vjesnik du 28 avril 1994, l’Accusé déclarait :
607. Suite à l’affaire des tirs au poste de contrôle de Hambarine le 22 mai 1992, la cellule de crise a lancé un ultimatum aux forces paramilitaires musulmanes à Hambarine, leur enjoignant de remettre leurs armes le 23 mai 1992 à 12 heures au plus tard. L’ultimatum, publié sous forme de communiqué de presse de la cellule de crise dans Kozarski Vjesnik, était rédigé en ces termes :
608. Une autre preuve écrite de la participation de la cellule de crise à ces crimes est un rapport rédigé par Simo Drljaca, chef du SJB, concernant les « centres d’accueil » de la municipalité de Prijedor. Ce rapport indique, au sujet de l’attaque contre Hambarine :
609. La Chambre de première instance est d’avis que l’ultimatum lancé le 23 mai 1992, le rapport du SJB susmentionné et le fait que, comme il a été établi, l’Accusé connaissait les effectifs et était au courant du déploiement des unités militaires à Prijedor, montrent que l’Accusé savait que l’attaque qui allait être lancée contre Hambarine allait faire des victimes parmi les civils. Bien qu’au courant de cet état de fait, la cellule de crise a ordonné ces attaques, témoignant ainsi d’une indifférence totale pour les civils innocents et sans défense qui habitaient dans la région. 610. Comme il a été dit plus haut, la Chambre de première instance a constaté qu’un deuxième ultimatum avait été lancé, enjoignant à la TO et à la police du secteur de Kozarac de remettre leurs armes1233. Le texte de l’ultimatum a été lu sur Radio Prijedor par le chef de bataillon Radmilo Zeljaja, alors chef d’état-major de la 343e brigade motorisée, et des témoins ont affirmé qu’il avait menacé de raser la ville majoritairement musulmane de Kozarac si ses habitants refusaient d’obtempérer1234. Au cours des négociations infructueuses qui se sont ensuivies, le chef du CSB de Banja Luka, Stojan Zupljanin, qui était à la tête de la délégation serbe, a déclaré que s’il n’était pas satisfait aux conditions posées par les Serbes, l’armée prendrait Kozarac par la force1235. 611. La Chambre de première instance n’est pas convaincue que l’Accusé, qui était le membre du SDS le plus haut placé dans la municipalité de Prijedor, ait pu ne pas être au courant des déclarations hostiles du SDS et des représentants de l’armée ni des conséquences que le non-respect de l’ultimatum aurait pour la population civile non serbe, en particulier compte tenu de l’attaque armée dont Hambarine avait récemment été la cible. 612. La Chambre de première instance a pris acte de la déclaration du témoin à décharge DH qui a affirmé que lorsque le convoi militaire serbe à destination de Kozarac est entré dans le village de Jakupovici un soldat serbe a été abattu par un tireur isolé et deux chars serbes ont été détruits par des roquettes tirées à l’épaule1236. La Chambre de première instance reconnaît que l’on peut y voir une provocation et que les militaires serbes avaient le droit de se défendre. Cependant, on ne saurait justifier ainsi l’attaque qui a suivi, d’autant qu’un témoin oculaire a certifié que l’attaque était une opération militaire planifiée et coordonnée de très grande ampleur, faisant intervenir l’infanterie et des blindés appuyés par l’artillerie postée sur les collines alentour1237, qui ont ouvert le feu non seulement sur les maisons des villages mais aussi sur les civils non armés qui fuyaient en direction des forêts voisines1238. Dans ce contexte, le témoin R a déclaré qu’à un moment donné, il tombait un obus par seconde1239. Les forces serbes ont ensuite mis le feu aux maisons et ont poursuivi l’attaque jusqu’au 26 mai 1993, date à laquelle un très grand nombre d’habitants se sont rendus et ont été conduits dans les camps de Trnopolje, Omarska et Keraterm1240. La Chambre de première instance considère qu’il s’agit là d’une parfaite illustration de ce qu’est en réalité un « ciscenje1241 ». 613. Le rapport du 27 mai 1992 « concernant l’élimination des ‘Bérets verts’ dans le secteur du village de Kozarac » adressé par le commandement du 1er corps de Krajina à l’état-major général de l’armée de la République serbe de Bosnie-Herzégovine confirme la puissance de feu des unités serbes et la manière dont les attaquants avaient défini leurs objectifs. Ce rapport indique que « dans notre camp, ont pris part au conflit armé des membres de la 343e brigade motorisée (un bataillon motorisé renforcé) appuyés par des batteries d’obusiers de 105 mm et un escadron de chars M-841242 ». Il convient de noter qu’ont participé à cette opération militaire les unités mêmes que le commandement du 5e corps avait redéployées dans la municipalité le 3 mai 1992, ce qui montre que ces attaques avaient été préparées. Le rapport fait aussi état de 5 morts et 20 blessés dans le camp serbe. Il indique que le nombre des prétendus Bérets verts, nom qui, selon la Chambre de première instance, désigne clairement la population civile qui semble en fait avoir été la cible principale de cette opération militaire, était « [au] total […] de 1 500 à 2 000, qu’ils n’avaient pas d’armes lourdes , et que 80 à 100 d’entre eux ont été tués et environ 1 500 faits prisonniers1243. 614. Dans un bulletin d’information diffusé à la télévision le 24 mai 1992, pendant l’attaque militaire contre Kozarac et les régions alentour, le journaliste Rade Mutic a déclaré que les seules informations disponibles sur les combats à Hambarine, Kozarac, Kozarusa et Kamicani émanaient de la cellule de crise et de son secrétariat à l’information, dont les communiqués étaient diffusés heure après heure sur Radio Prijedor1244, ce qui montre que la cellule de crise contrôlait totalement la situation et qu’à l’instar de n’importe quel régime autoritaire, elle choisissait quelles informations rendre publiques. La Chambre de première instance remarque ainsi qu’en sa qualité de Président de la cellule de crise, l’Accusé a déclaré dans ce même bulletin que le « ciscenje » se poursuivait à Kozarac, « car ceux qui restent sont les plus extrémistes et les plus professionnels1245 ». La Chambre a indiqué plus haut que si les éléments de preuve montrent que certains individus dans les régions susmentionnées étaient armés, on ne pouvait les qualifier « d’extrémistes ou de professionnels1246 . En outre, la Chambre de première instance a constaté que l’Accusé ne faisait aucune différence entre d’une part les civils musulmans et croates, qu’il disait vouloir protéger, et d’autre part les soi-disant extrémistes qu’il s’efforçait d’éliminer 1247. 615. La Chambre de première instance est convaincue que l’instauration et le maintien du climat d’impunité évoqué précédemment, où la règle de droit n’était ni respectée ni appliquée mais qui dépendait de la coopération de tous les piliers des autorités civiles et militaires, ont mis en danger la vie de tous les habitants non serbes de la municipalité de Prijedor. 616. La Chambre de première instance ne pense pas qu’en participant à l’instauration et au maintien de ce climat d’impunité, Stakic entendait consciemment tuer les habitants non serbes de la municipalité de Prijedor. Cependant, elle est convaincue que, de par les diverses fonctions qu’il occupait, Stakic savait que selon toute probabilité, un tel climat favoriserait des meurtres, ce dont il s’accommodait. Il y a donc eu de la part de l’Accusé dol éventuel, et il est de ce fait pénalement responsable de tous les meurtres mentionnés aux paragraphes 44 et 47 de l’Acte d’accusation qui, selon la Chambre, ont été établis. L’Accusé est reconnu coupable de meurtre, une violation des lois ou coutumes de la guerre sanctionnée par l’article 3 du Statut, lu à la lumière de l’article 3 1) a) commun des Conventions de Genève.
617. Milomir Stakic est mis en accusation en vertu de l’article 5 du Statut pour les crimes suivants : assassinats, extermination, expulsions, persécutions pour des raisons politiques, raciales et religieuses (notamment meurtres, tortures, violences physiques, viols et violences sexuelles, humiliation et dégradation constantes, destruction et pillage d’habitations et de locaux commerciaux, destruction ou endommagement délibéré d’édifices religieux et culturels, expulsions, transferts forcés et refus de reconnaître des droits fondamentaux de l’homme), et autres actes inhumains (transferts forcés). L’article 5 dispose notamment :
618. La Chambre de première instance rappelle qu’il faut un conflit armé pour que l’article 5 du Statut soit applicable et le Tribunal compétent. 619. L’Accusation fait valoir que tous les crimes contre l’humanité ont en commun les quatre éléments suivants : i) l’existence d’un conflit armé ; ii) l’existence d’une attaque généralisée ou systématique dirigée contre une population civile ; iii) le fait que le comportement de l’accusé a un lien avec l’attaque généralisée ou systématique ; et iv) la connaissance par l’accusé du contexte général dans lequel ses actes s’inscrivaient1248. 620. La Défense avance que cinq éléments doivent être établis pour qu’un acte puisse être qualifié de crime contre l’humanité : i) il doit y avoir une attaque ; ii) les actes de l’accusé doivent s’inscrire dans le cadre de cette attaque ; iii) l’attaque doit être dirigée contre une population civile quelle qu’elle soit ; iv) l’attaque doit être généralisée ou systématique ; et v) l’auteur principal doit être informé du contexte général dans lequel s’inscrivent ses actes et savoir qu’ils constituent une participation à cette attaque1249. 621. La jurisprudence du Tribunal a établi que pour que les actes d’un accusé soient qualifiés de crimes contre l’humanité, cinq éléments doivent être réunis :
622. La Chambre de première instance se contentera de rappeler en les avalisant les précisions apportées sur ces conditions par la jurisprudence qui sont pertinentes en l’espèce. 623. Le concept d’« attaque » doit être distingué de celui de « conflit armé ». Une attaque peut « précéder un conflit armé, se poursuivre après qu’il a cessé ou continuer pendant celui-ci, sans forcément en faire partie1251 » ; elle « ne se limite pas au recours à la force armée et comprend également tous mauvais traitements infligés à la population civile1252 . 624. Il n’est pas nécessaire que toute la population de l’entité géographique dans laquelle s’est déroulée l’attaque y ait été soumise : « [i]l suffit de démontrer qu’un nombre suffisant d’individus ont été pris pour cible au cours de l’attaque, ou qu’ils l’ont été d’une manière telle que la Chambre est convaincue que l’attaque était effectivement dirigée contre une “population” civile, plutôt que contre un nombre limité d’individus choisis au hasard1253 . En outre, l’expression « dirigée contre » doit être interprétée comme signifiant que la population civile doit être la cible principale de l’attaque1254. 625. L’adjectif « généralisé » renvoie au fait que l’attaque a été menée sur une grande échelle et au nombre de victimes qu’elle a faites, tandis que l’adjectif « systématique » dénote « le caractère organisé des actes de violence et l’improbabilité de leur caractère fortuit1255 ». Les éléments qui peuvent être pris en compte pour déterminer si l’attaque satisfait à l’une de ces conditions (« généralisée » ou « systématique ») ou aux deux sont énumérés dans la jurisprudence ; on prend notamment en considération : i) les conséquences de l’attaque sur la population visée ; ii) le nombre des victimes ; iii) la nature des actes ; et iv) l’éventuelle participation de responsables ou d’autorités, ou tout scénario criminel identifiable1256. En outre, « il suffit que les actes de l’accusé s’inscrivent dans le cadre de cette attaque1257 ». 626. Il doit être établi que l’accusé savait que la population civile faisait l’objet d’une attaque et que ses actes s’inscrivaient dans le cadre de celle-ci, « ou du moins [qu’il a pris] le risque que son acte participe de cette attaque1258 . b) Conclusions de la Chambre de première instance
627. La Chambre de première instance est convaincue que les événements qui se sont déroulés dans la municipalité de Prijedor entre le 30 avril et le 30 septembre 1992 constituent une attaque dirigée contre une population civile. L’attaque a été d’une ampleur telle que l’on ne peut pas dire qu’elle était dirigée uniquement contre un groupe limité de personnes choisies au hasard. En fait, la majorité de la population non serbe de la municipalité de Prijedor a été directement touchée. De plus, les rapports de combat montrent clairement que les forces militaires serbes avaient une supériorité écrasante face aux modestes forces de résistance non serbes1259. Le général Wilmot, expert militaire de la Défense, a reconnu que l’attaque contre Hambarine avait été disproportionnée par rapport à la menace que représentaient les forces de résistance actives dans ces régions1260. Ces attaques, et celles qui ont suivi dans toute la région de Brdo, de même que les arrestations, incarcérations et expulsions ultérieures de citoyens, ont été dirigées principalement contre la population civile non serbe de la municipalité de Prijedor. ii) L’attaque doit être généralisée ou systématique 628. Rappelant que l’attaque doit être soit généralisée soit systématique, la Chambre de première instance se dit néanmoins convaincue au-delà de tout doute raisonnable que l’attaque doit en l’espèce être qualifiée à la fois de généralisée et de systématique. 629. La Chambre de première instance est convaincue que l’attaque dirigée contre la population civile a été préparée dès le 7 janvier 1992, date de la création de l’Assemblée du peuple serbe de Prijedor. La réalisation du projet qui avait été formé de débarrasser la municipalité de Prijedor des non-Serbes et de ceux qui avaient refusé de faire allégeance aux autorités serbes a été précipitée par la prise du pouvoir par les Serbes le 30 avril 1992. Puis, conformément au plan, l’attaque dirigée contre la population civile s’est ensuite intensifiée, atteignant son paroxysme avec les attaques contre Hambarine et Kozarac à la fin de mai 1992. D’autres attaques ont suivi contre les régions à majorité non serbe, celle de Brdo notamment, au cours desquelles des centaines de non-Serbes ont été tués et bien davantage arrêtés et détenus par les autorités serbes, notamment dans des camps de détention. 630. Le caractère systématique de l’attaque ayant été établi, il n’est pas strictement nécessaire d’examiner si elle était également généralisée. La Chambre de première instance considère néanmoins que l’attaque lancée contre la population non serbe de Prijedor a aussi été généralisée. Les attaques proprement dites ont eu lieu dans toute la municipalité de Prijedor, d’abord à Hambarine et Kozarac, puis elles ont été étendues à toute la région de Brdo. En outre, des milliers d’habitants de la municipalité de Prijedor ont été détenus dans l’un au moins des trois principaux camps de détention, Omarska, Keraterm et Trnopolje, créés respectivement dans les villes du même nom.
631. La Chambre de première instance est d’accord avec l’Accusation pour estimer que les éléments constitutifs de l’assassinat, en tant que crime contre l’humanité sanctionné par l’article 5 du Statut, sont les mêmes que ceux du meurtre, en tant que violation des lois ou coutumes de la guerre sanctionnée par l’article 3 du Statut. b) Les conclusions de la Chambre de première instance 632. La Chambre est convaincue que Milomir Stakic est également pénalement responsable, au regard de l’article 5 du Statut, des meurtres dont elle l’a reconnu pénalement responsable en application de l’article 3, puisqu’elle a conclu que ces meurtres s’inscrivaient dans le cadre d’une attaque généralisée et systématique dirigée contre la population civile de la municipalité de Prijedor et que l’Accusé savait que ses actes participaient de cette attaque.
633. Dans l’Acte d’accusation, Milomir Stakic est mis en cause pour extermination, un crime contre l’humanité sanctionné par l’article 5 b) du Statut1261. 634. L’Accusation soutient que l’élément matériel de l’extermination visée à l’article 5 b) du Statut est le suivant : « L’accusé ou son subordonné ont participé à la mise à mort de certaines personnes nommément désignées ou précisément décrites1262. » Elle affirme que l’extermination peut s’analyser comme le meurtre perpétré sur une très grande échelle et qu’elle suppose non seulement un massacre ou la soumission à des conditions d’existence devant entraîner la mort d’un grand nombre de personnes, mais aussi une planification. L’Accusation fait valoir que l’élément matériel peut être constitué à la fois par des actes ou des omissions et qu’il recouvre différents modes de perpétration des meurtres ou différentes façons de donner la mort directement ou non, y compris par la privation de nourriture, le manque de protection contre des conditions climatiques extrêmes et le refus d’accès à des soins médicaux. S’agissant de l’élément moral de l’extermination, l’Accusation soutient que l’acte ou l’omission en cause doit avoir été commis intentionnellement, par imprudence (recklessness) et/ou suite à une négligence grave1263. 635. La Défense avance, pour sa part, que les éléments constitutifs du crime d’extermination sont les suivants :
636. Elle soutient que l’Accusation doit d’abord prouver que les meurtres ont été commis « sur une grande échelle1265. À ce propos, la Défense note que, dans le Jugement Vasiljevic, la Chambre de première instance a indiqué que, même si, dans la plupart des affaires jugées au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, les victimes se comptaient par milliers, « [e]lle ne [voulait] pas dire […] que si le nombre de victimes était moins élevé, les faits ne pourraient être qualifiés d’“extermination” […]1266. La Défense conteste cette approche car elle porterait, selon elle, à conclure que « l’extermination se ramènerait ou pourrait se ramener au meurtre […] ce que n’envisageaient certainement pas les auteurs du Statut ». La Défense affirme qu’ « il faut fixer un nombre minimum de victimes, intermédiaire entre celui requis pour le génocide et celui exigé pour les massacres », et que ce nombre « devrait, en tout état de cause, être de l’ordre de plusieurs milliers »1267. La Défense avance également que l’Accusation doit prouver que l’extermination revêtait « un caractère collectif et ne visait pas des personnes en particulier ». Elle soutient que cela suppose que les meurtres aient été « commis sur une très grande échelle, pendant une période et dans une zone géographique limitées » et que tel était le point de vue de la Chambre de première instance dans le Jugement Krstic1268. À propos de l’élément matériel, la Défense ajoute que l’extermination suppose l’existence d’un « vaste projet de meurtres collectifs », c’est-à-dire d’un « plan criminel » visant à commettre l’extermination, condition qui découle du Jugement Krstic1269. 637. S’agissant de l’élément moral de l’extermination, la Défense avance que l’Accusation doit prouver que trois conditions sont réunies : i) l’accusé doit avoir eu « l’intention générale de tuer un grand nombre de personnes1270 » ; ii) l’accusé doit avoir eu connaissance de l’existence du « vaste projet de meurtres collectifs » ou du « plan criminel » (la Défense soutient sur ce point que « le critère “aurait dû savoir” qui suppose la négligence, ne s’applique pas et ne saurait se substituer à un autre critère dans le but d’élargir la définition de l’extermination en tant que crime contre l’humanité1271 ») ; et iii) l’auteur doit avoir « délibérément pris part » au vaste projet de meurtres collectifs et sa participation doit avoir été « importante et substantielle »1272. 638. La Chambre de première instance convient avec les parties que l’élément essentiel de l’extermination est le meurtre perpétré sur une très grande échelle. Dans le Jugement Krstic, la Chambre de première instance a examiné la définition commune du verbe « exterminer » en français (exterminate en anglais) et son sens ordinaire, et elle a conclu que, comparé au meurtre perpétré sur une très grande échelle, ce terme a « une connotation beaucoup plus destructive […] puisqu’il se définit comme l’annihilation d’un grand nombre de personnes ». La Chambre Krstic cite le commentaire de la CDI du projet de code des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité (le « Projet de code »), d’où il ressort que
La Chambre Krstic a également déclaré que
639. L’extermination doit s’inscrire dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique dirigée contre une population civile. Comme l’a précisé la Chambre de première instance dans le Jugement Vasiljevic, un acte d’extermination doit revêtir un caractère collectif plutôt que viser des personnes en particulier. Toutefois, à la différence du génocide, il n’est pas nécessaire que l’auteur ait eu l’intention de détruire en tout ou en partie le groupe auquel appartiennent les victimes1275 et il n’est pas nécessaire que les victimes aient en commun certaines caractéristiques nationales, ethniques, raciales ou religieuses1276. À ce propos, il convient de souligner que le terme d’extermination peut s’appliquer à des situations dans lesquelles certains membres d’un groupe seraient tués tandis que d’autres seraient épargnés1277. Il suffit que les victimes soient définies par leur appartenance politique, leurs caractéristiques physiques ou par le simple fait qu’elles se trouvaient dans une zone géographique donnée. Elles peuvent, en outre, être définies négativement, c’est -à-dire par le fait qu’elles n’appartiennent pas au même groupe que l’auteur du crime, qu’elles n’ont aucun lien avec lui ou avec son groupe, ou encore qu’elles n’ont pas fait allégeance à l’auteur ni au groupe auquel il appartient. 640. La Chambre de première instance estime que rien dans la jurisprudence ne permet à la Défense de soutenir que les meurtres doivent avoir été commis sur une très grande échelle, pendant une période et dans une zone géographique limitées. On ne saurait tirer pareil argument de ce que les meurtres doivent avoir été commis d’une manière massive. La Chambre n’estime pas davantage qu’il soit nécessaire de fixer un nombre minimal de victimes. Comme l’a observé la Chambre de première instance dans le Jugement Vasiljevic, le nombre le plus bas pour lequel les tribunaux de la Deuxième Guerre mondiale ont employé le mot extermination était celui de 733 victimes au total. La Chambre Vasiljevic a précisé dans une note de bas de page qu’elle n’entendait pas signifier par là que « si le nombre de victimes était moins élevé, les faits ne pourraient être qualifiés d’“extermination” en tant que crime contre l’humanité, pas plus qu’elle ne di[sait] qu’il [convenait] de fixer un certain seuil à cet effet1278 . La Chambre de première instance en l’espèce est d’avis qu’il convient d’apprécier au cas par cas en tenant compte de tous les éléments pertinents si le crime revêt un caractère massif. Comme l’a déclaré la Chambre de première instance dans le Jugement Krstic, ce caractère massif implique nécessairement un haut degré de préparation et d’organisation, lequel peut à son tour laisser présumer l’existence d’un « plan » ou d’un « projet » meurtrier, mais non, comme le suggère la Défense, celle d’un « vaste projet de meurtres collectifs », élément constitutif distinct du crime. 641. S’intéressant à présent à l’élément moral de l’extermination, la Chambre de première instance conclut que l’auteur doit avoir eu l’intention de tuer en masse des personnes ou de créer des conditions d’existence devant entraîner la mort d’un grand nombre d’individus et cette intention doit porter sur tous les éléments objectifs du crime, et singulièrement sur l’annihilation d’un grand nombre de personnes. 642. Se fondant sur le Jugement Kayishema et Ruzindana, l’Accusation soutient qu’un accusé peut être reconnu pénalement responsable de ses actes ou omissions lorsqu’ils ont été commis « intentionnellement, par [imprudence (recklessness )] ou suite à une négligence grave1279 . La Chambre de première instance en l’espèce ne partage pas ce point de vue et elle conclut qu’il y aurait méconnaissance de la nature de l’extermination, ainsi que du système de l’interprétation de l’article 5 du Statut, s’il suffisait d’établir l’imprudence ou la négligence grave pour reconnaître un accusé pénalement responsable d’un tel crime. Elle considère donc que le degré d’intention requis ne saurait être inférieur à celui exigé pour l’assassinat en tant que crime contre l’humanité (à savoir le dol direct ou le dol éventuel). b) Les conclusions de la Chambre de première instance
643. Selon l’Accusation, les éléments de preuve montrent au-delà de tout doute raisonnable que les forces de l’armée et de la police placées sous le contrôle effectif de Milomir Stakic et de la cellule de crise ont causé la mort de milliers de personnes dans toute la municipalité et, en particulier, dans les camps1280, et que l’Accusé, du fait de son autorité et des actes accomplis dans l’exercice de celle-ci, est par conséquent responsable de la mort d’environ 3 000 personnes à Prijedor en 19921281. 644. L’Accusation fait valoir que la quasi-totalité des victimes de ces meurtres étaient des Musulmans et des Croates de la municipalité de Prijedor, et elle soutient que les éléments de preuve montrent que ces victimes ont été choisies en raison de leur appartenance à ces groupes1282. En outre, prenant le cas de personnes venues d’horizons divers et exerçant des professions différentes, l’Accusation affirme que les meurtriers ont choisi « d’exterminer les dirigeants politiques, religieux et communautaires dans le but de faciliter l’élimination des populations musulmane et croate de Prijedor1283 . 645. À propos de la mens rea, l’Accusation non seulement met en avant des arguments concernant l’intention homicide générale1284, mais avance aussi que l’intention qu’avait l’Accusé de tuer 3 000 personnes, au moins, peut être déduite « de son autorité, des actes accomplis dans l’exercice de celle-ci et du manquement à l’obligation de prévenir ou de punir les meurtres une fois connus1285 ». Elle fait valoir, en particulier, que l’existence d’une étroite coopération entre l’Accusé et, d’une part, le chef de la police, Simo Drljaca, de l’autre, le chef militaire, le colonel Vladimir Arsic, « donne largement à penser que [l’Accusé] envisageait les mesures qui ont été prises par ces forces, y compris les meurtres commis entre le 30 avril et le 30 septembre 1992 qui lui sont reprochés1286 . L’Accusation soutient, en outre, que l’intention qu’avait l’Accusé de tuer un grand nombre de personnes peut s’inférer du fait qu’il n’a jamais pris la moindre mesure pour punir les auteurs des crimes dont on connaissait l’ampleur et la gravité dans la municipalité1287. À ce propos, elle précise que « les crimes et les dommages qui s’en sont suivis pour les communautés musulmane et croate de Bosnie dans la municipalité de Prijedor au printemps et durant l’été de 1992 étaient si flagrants, si terribles et d’une telle ampleur que tous ceux qui habitaient dans la municipalité de Prijedor en avaient connaissance » et que même les personnes qui ne faisaient que passer à Prijedor « étaient choquées par la destruction des maisons et des lieux de culte, les conditions de vie régnant dans des lieux comme Trnopolje, ainsi que par la volonté farouche des Musulmans et des Croates de fuir Prijedor1288 . 646. L’Accusation conclut que l’Accusé savait que des crimes étaient commis dans la municipalité. Elle se fonde pour cela sur les statistiques indiquant que, sur les 3 010 personnes identifiées que Mme Ewa Tabeau, expert de l’Accusation, a répertoriées dans son rapport comme étant décédées ou portées disparues dans les 19 municipalités de la RAK, 1 747 personnes étaient originaires de Prijedor, municipalité dont les habitants ne représentaient qu’un neuvième de la population totale de la RAK. En conséquence, et puisque, selon les propres mots de l’Accusation, les crimes « se sont produits fréquemment et sans discontinuer pendant un court laps de temps, qu’ils ont été bien préparés et que leurs auteurs ont bénéficié d’une assistance matérielle , ils ne pouvaient qu’être le résultat d’une « politique délibérée »1289. Évoquant dans cet ordre d’idées le massacre de la pièce 3 perpétré à Keraterm et celui de 125 hommes pendant leur transfèrement du camp de Keraterm au camp d’Omarska le 5 août 1992, l’Accusation soutient qu’il apparaît clairement que les massacres ont été commis au su des autorités1290, ce que confirme la disparition d’un très grand nombre de hautes personnalités, que l’Accusé, selon elle, n’aurait pu ignorer1291. 647. L’Accusation soutient que Milomir Stakic avait les moyens d’identifier les auteurs des crimes et le pouvoir de les faire traduire en justice, et que, malgré cela, il a choisi de « justifier publiquement les crimes commis par la police et l’armée, et d’en rejeter la responsabilité sur des civils innocents, créant par là même un climat d’impunité pour ceux qui s’en prenaient aux non-Serbes1292 . En conséquence, l’Accusation affirme que l’Accusé avait l’intention de tuer ces personnes et elle en veut pour preuve son « refus absolu de prévenir les crimes, de faire diligenter des enquêtes ou de punir ceux qui les avaient commis1293 . 648. La Défense soutient que les meurtres commis à Prijedor en 1992 étaient des actes « isolés, aveugles et incontrôlables, qui étaient le fait de soldats en état d’ébriété, de criminels se livrant à des actes de vengeance personnelle1294. Elle insiste sur le fait que l’Accusé n’a personnellement commis aucun des crimes perpétrés dans la municipalité1295. S’agissant des crimes recensés aux paragraphes 44 et 47 de l’Acte d’accusation, la Défense affirme que l’Accusation n’est pas parvenue à prouver au-delà de tout doute raisonnable les meurtres énumérés aux paragraphes 44 7), 47 5), 47 6), 47 7), 47 8) et 47 10), mais elle ne se livre à aucune analyse précise des éléments de preuve1296. 649. Concernant l’intention coupable présumée de l’Accusé en tant qu’auteur direct, la Défense se contente d’affirmer qu’aucun des éléments de preuve ne permet de conclure qu’il avait l’intention voulue pour être reconnu coupable d’extermination 1297. Elle ajoute qu’aucun des meurtres commis n’était une conséquence naturelle et prévisible des actes ou du comportement de l’Accusé1298. 650. S’agissant des conclusions relatives aux conditions générales d’application de l’article 5 du Statut, la Chambre de première instance renvoie à l’analyse qu’elle en a faite plus haut1299. 651. Aux paragraphes 44 et 47 de l’Acte d’accusation, l’Accusé est mis en cause pour un certain nombre de meurtres commis dans la municipalité de Prijedor entre le 30 avril et le 30 septembre 1992. 652. Comme il a été observé plus haut au sujet des chefs 3 et 51300, les tueries de grande ampleur, qui ont été établies, se rangent en trois catégories : 1) celles commises dans les camps ou dans d’autres centres de détention ; 2) celles perpétrées par des unités de police et/ou de l’armée lors de convois organisés et 3) celles, enfin, commises suite à une intervention armée militaire et/ou policière dans les secteurs non serbes ou majoritairement non serbes de la municipalité1301. 653. Les éléments de preuve montrent que les tueries établies, dont la plupart, prises isolément, présenteraient le caractère massif exigé pour être considérées à la lumière de l’article 5 b) du Statut, étaient dirigées contre le groupe auquel appartenaient les individus pris pour cible, et non contre les victimes personnellement. Cette conclusion vaut, entre autres, pour :
654. Même si le nombre total des victimes des meurtres visés aux paragraphes 44 et 47 de l’Acte d’accusation, et pour lesquels la responsabilité pénale de Milomir Stakic est mise en cause, ne pourra jamais être établi avec précision, la Chambre de première instance constate, sur la base d’une estimation prudente, que plus de 1 500 personnes ont été tuées. Compte tenu de l’ampleur des crimes, et pour ne pas perdre de vue que les victimes étaient des individus, la Chambre a inclus dans ce Jugement une liste de victimes dont le nom est connu dans laquelle sont recensées toutes les personnes identifiées comme ayant été tuées dans la municipalité de Prijedor en 1992. Cette liste comporte au total 486 noms. 655. La Chambre de première instance considère donc que les meurtres commis dans la municipalité de Prijedor en 1992 durant la période en question s’inscrivaient dans le cadre d’une campagne dont l’objectif était l’annihilation de la population non serbe par les forces serbes de la police et de l’armée, et qu’ils revêtaient un caractère massif, condition d’application de l’article 5 b) du Statut. En conséquence, il a été établi que des actes d’extermination ont été commis par l’Accusé. 656. La Chambre de première instance est convaincue que l’Accusé était animé de l’intention requise de donner la mort, ou de porter des atteintes graves à l’intégrité physique des victimes, dont il ne pouvait que raisonnablement prévoir qu’elles étaient susceptibles d’entraîner la mort de ces personnes1304. Cependant, il doit également avoir eu l’intention de tuer un grand nombre de personnes appartenant au groupe pris pour cible. La Chambre de première instance va à présent examiner les éléments de preuve présentés à ce sujet. 657. La Chambre rappelle tout d’abord qu’elle estime que l’hebdomadaire Kozarski Vjesnik était l’organe des autorités serbes et que l’on peut dès lors considérer que les opinions exprimées dans ses colonnes, en particulier celles émises par la cellule de crise ou d’autres autorités municipales serbes, étaient connues de l’Accusé et des autres membres des organes qu’il présidait1305. La Chambre de première instance rappelle le constat qu’elle a fait précédemment, à savoir que les autorités serbes, sous la direction de l’Accusé, entretenaient un climat de terreur et d’impunité dans la municipalité de Prijedor où des crimes de grande ampleur sont non seulement restés impunis, mais étaient également tacitement tolérés par les autorités pour peu que leurs auteurs se soient montrés dévoués à la cause serbe1306. 658. Les préparatifs de la prise de pouvoir montrent à quel point les autorités civiles, policières et militaires serbes, étaient étroitement imbriquées1307. Les éléments de preuve montrent également qu’en sa qualité de Président du conseil pour la défense nationale, l’Accusé a joué un rôle-clé dans la coordination de ces autorités, et que sous sa présidence, le conseil pour la défense nationale a pris de nombreuses décisions portant sur des questions primordiales pour la défense de la municipalité serbe, telles que le renforcement et la mobilisation de la TO et de la 343e brigade motorisée. Comme la Chambre l’a constaté précédemment, l’Accusé était parfaitement conscient du rôle qu’il jouait dans les événements et il avait une opinion très tranchée1308 sur ceux que lui-même et ses semblables serbes combattaient1309. Il n’est pas inutile de citer à nouveau les propos de l’Accusé qui montrent clairement qu’il était convaincu que tous les non-Serbes qui refusaient de faire allégeance aux autorités serbes devaient être considérés comme des « extrémistes » :
La Chambre de première instance rappelle dans cet ordre d’idées les déclarations de l’Accusé à la chaîne britannique Channel 4. Sachant parfaitement qu’il accordait une interview à une chaîne de télévision internationale, l’Accusé a déclaré qu’il avait été informé par le chef du SJB, Simo Drljaca, des décès survenus dans le camp d’Omarska1311. 659. L’action conjointe et étroitement coordonnée des différentes autorités serbes a en outre été démontrée par une interview de Radmilo Zeljaja, devenu colonel et chef de la 43e brigade motorisée basée à Prijedor, publiée dans Kozarski Vjesnik en mai 19941312 :
660. La Chambre de première instance a déjà examiné l’action conjointe et coordonnée des dirigeants politiques, de la police et de l’armée, qui sont donc tous responsables de l’ensemble des crimes prévisibles commis dans leur sphère d’action. 661. La population non serbe de la municipalité de Prijedor a été victime de massacres. La vie des non-Serbes n’avait qu’une valeur dérisoire, voire inexistante, aux yeux des Serbes qui en furent les auteurs. La Chambre de première instance a constaté qu’en raison de ses responsabilités politiques et de son rôle dans la réalisation du projet et de la création d’une municipalité entièrement serbe, l’Accusé avait connaissance des détails et du déroulement de la campagne menée pour annihiler la population non serbe. Milomir Stakic savait que les non-Serbes étaient victimes de massacres. En conséquence, la Chambre de première instance est donc convaincue que l’Accusé agissait avec l’intention requise, au moins le dol éventuel, pour exterminer la population non serbe de la municipalité de Prijedor en 1992, et le déclare donc coupable de ce crime qui tombe sous le coup de l’article 5 b) du Statut.
a) Le droit applicable au crime d’expulsion allégué au chef 7 662. Dans l’Acte d’accusation, Milomir Stakic est mis en cause pour expulsion et pour transfert forcé qualifié d’acte inhumain, un crime contre l’humanité sanctionné par l’article 5 i) du Statut1313. 663. L’Accusation soutient que les éléments constitutifs du crime d’expulsion sont les suivants :
664. L’Accusation fait valoir que le Statut du Tribunal a été formulé de façon à sanctionner spécifiquement le « nettoyage ethnique » qui s’analyse pour l’essentiel comme « le déplacement de milliers de personnes à l’intérieur de la Bosnie1315 . En outre, maintient-elle, « il semble inconcevable que le Statut ait eu pour objet de ne sanctionner que “l’expulsion” prise au sens étroit de transfert par delà les frontières ». Elle ajoute à cela qu’« il peut s’avérer difficile de déterminer […] le tracé exact des frontières d’un pays, tout particulièrement dans le cas d’un conflit armé » et qu’un « déplacement interne est souvent le prélude à un autre transfert, celui-là hors du pays »1316. 665. Enfin, l’Accusation avance que, pour ce qui est de l’auteur des expulsions, peu importe le temps que les victimes passent loin de la région où elles se trouvaient légalement car, affirme-t-elle, « [e]n juger autrement aboutirait à une injustice, en particulier si le retour des victimes dans leur région d’origine (par exemple, après la reprise de ce territoire par des forces alliées) s’expliquait par des raisons indépendantes de la volonté première de l’[a]ccusé1317 . L’Accusation ajoute que le retour des victimes organisé par l’auteur de l’expulsion n’exonère pas celui-ci de toute responsabilité pénale1318. 666. La Défense soutient, pour sa part, que l’Accusé n’a pas commis le crime d’expulsion car 1 ) le déplacement de la population « ne s’est pas faite contre la volonté de celle-ci » ; 2 ) il « était admis en droit international » ; 3 ) il « ne s’est pas prolongé après la fin des hostilités » et 4 ) « les “victimes” ont finalement été ramenées dans leur lieu de résidence d’origine »1319. 667. La Défense fait valoir que, dans chacune des zones de la municipalité de Prijedor où il y a eu expulsions, « l’armée a riposté aux provocations de combattants armés et a procédé à un déplacement licite de la population pour des raisons de sécurité et d’impérieuses nécessités militaires1320 . Renvoyant sur ce point à l’article 49 2) de la IVe Convention de Genève, la Défense affirme qu’« [u]ne puissance occupante peut être autorisée à procéder à un déplacement de la population “si la sécurité de [celle-ci] ou d’impérieuses raisons militaires l’exigent”1321 ». Elle soutient en outre que la population peut être évacuée si la région dans laquelle elle se trouve est menacée par les effets des opérations militaires ou risque d’être l’objet de bombardements intenses ou si la présence de personnes protégées risque d’entraver les opérations militaires1322. 668. La Défense avance également que le droit international n’interdit pas de manière absolue toute espèce de transferts, en particulier dans le cas de personnes protégées par la IVe Convention de Genève qui, en raison de leur appartenance à des minorités ethniques ou politiques, auraient fait l’objet de mesures discriminatoires ou de persécutions et qui souhaiteraient pour cette raison quitter le pays1323. Dans cette perspective, la Défense soutient que l’expulsion suppose le transfert des victimes au-delà d’une frontière internationale1324. 669. La Défense est d’avis que le droit applicable à l’expulsion devrait également exiger le transfert d’« une partie importante et substantielle de la population » pour engager la responsabilité pénale1325 ; elle ajoute que les expulsions qui auraient eu lieu dans la municipalité de Prijedor étaient « autorisées par la communauté internationale1326 . 670. La Défense avance en dernier lieu que le rapatriement ultérieur des victimes devrait être « reconnu en droit compte tenu des circonstances des crimes et ce, malgré leur gravité1327 ». 671. La jurisprudence du TPIY opère une distinction entre l’expulsion sanctionnée par l’article 5 d) du Statut et le transfert forcé réprimé par l’article 5 i) du Statut sous la qualification « autres actes inhumains ». Cette distinction a été établie par le Jugement Krstic, dans lequel la Chambre de première instance a déclaré : « L’expulsion (encore appelée déportation) et le transfert forcé impliquent l’un et l’autre l’évacuation illégale d’individus hors de leur territoire de résidence, contre leur volonté. Ces deux termes ne sont cependant pas synonymes en droit international coutumier. Le premier suppose, en effet, le transfert hors du territoire national alors que dans le second cas, celui-ci s’opère à l’intérieur des frontières d’un État1328. » 672. Dans le Jugement Krnojelac, la Chambre de première instance a observé que la déportation était clairement et explicitement interdite en droit et reconnue, depuis longtemps, comme un crime contre l’humanité1329, et qu’elle se définissait comme « le déplacement forcé de personnes de la région où elles se trouvent légalement, par l’expulsion ou d’autres moyens coercitifs, et sans motif admis en droit international ». Elle a conclu que la déportation supposait également que les personnes déplacées soient transférées au-delà des frontières nationales afin de la distinguer du « transfert forcé, qui peut s’effectuer à l’intérieur des frontières d’un pays ». Sur ce point, la Chambre Krnojelac a renvoyé aux affaires de la Deuxième Guerre mondiale1330. 673. La présente Chambre n’est pas sans ignorer les décisions des autres Chambres de première instance, mais elle doit également examiner le bien-fondé de l’argument mis en avant par l’Accusation, argument sur lequel elle s’est déjà prononcée en cours d’instance à l’occasion de l’examen d’une demande présentée en application de l’article 98 bis du Règlement, concluant que le terme « expulsion » ne devrait pas être interprété comme se limitant aux transferts de population s’effectuant par delà des frontières internationalement reconnues1331. Ce faisant, elle a pris en compte le fait que les déplacements forcés de population devaient être punissables à l’époque des faits. 674. Le Statut, dans sa version anglaise, emploie le terme deportation. D’après le Black’s Law Dictionary, ce terme désigne « l’acte ou le fait de chasser une personne vers un autre pays, plus spécialement d’expulser ou de transférer un étranger d’un pays1332 ». La Chambre note en outre que le Black’s Law Dictionary renvoie au terme deportatio qui désignait en droit romain le fait « d’éloigner » une personne de la région où elle avait vécu jusqu’alors en sécurité. Le terme deportatio est ensuite défini comme « le bannissement perpétuel d’une personne reconnue coupable de crime. Il s’agissait de la forme la plus grave de bannissement puisqu’elle emportait à titre de peine complémentaire, notamment la confiscation des biens du condamné, sa dégradation civique et son assignation à résidence dans un lieu déterminé […]. Les lieux d’exil étaient des îles (in insulam) situées au large de l’Italie […]1333 ». En droit romain, le terme deportatio désignait donc le déplacement de personnes d’une région à l’autre également sous contrôle de l'Empire romain. Aucun élément transfrontalier n’était en conséquence exigé. Exprimée en ces termes, la déportation semble désigner le fait de chasser une personne du territoire sur lequel les auteurs du déplacement exercent une autorité (souveraine), ou celui de chasser quelqu’un du territoire où il pourrait bénéficier de la « protection » de ladite autorité. La déportation s’analyse essentiellement d’une part comme 1) le fait d’éloigner une personne de l’endroit où elle se trouve légalement, et d’autre part comme 2) le fait de priver cette personne de la protection des autorités concernées. 675. Dans sa version française, le Statut emploie le terme « expulsion », au sens de « chasser une personne par la force »1334. 676. Dans son rapport établi en application de la résolution 808 du Conseil de sécurité, le Secrétaire général a observé que :
Le rapport continue ainsi :
Le Statut, et partant le Tribunal, a été établi pour que les auteurs de cette pratique en ex-Yougoslavie répondent pénalement de leurs actes. Si l’on tient compte du fait que de nombreux conflits – pour ne pas dire la plupart – sont liés à des revendications territoriales, il s’avère souvent difficile, en particulier plusieurs années après la fin des hostilités, de déterminer précisément, ou même approximativement, le tracé d’une frontière au moment des faits. Dans ce contexte, la Chambre note qu’au troisième paragraphe du préambule de la résolution 827 (1993), le Conseil de sécurité s’était déjà déclaré « gravement alarmé par les informations qui continu[aient] de faire état de violations flagrantes et généralisées du droit humanitaire international sur le territoire de l’ex-Yougoslavie et spécialement dans la République de Bosnie -Herzégovine, particulièrement celles qui [faisaient] état de […] la poursuite de la pratique du “nettoyage ethnique”, notamment pour acquérir et conserver un territoire1336 ». 677. Les intérêts protégés par la prohibition de la déportation sont le droit et l’aspiration des individus à demeurer dans leurs foyers et dans leur communauté sans ingérence de la part d’un agresseur venu de leur propre État ou d’un État étranger. La Chambre de première instance estime donc que c’est l’élément matériel du déplacement forcé ou plutôt du déracinement d’individus du territoire et de l’environnement où ils se trouvent légalement, souvent depuis des décennies, voire des générations, qui est source de responsabilité pénale, et non la destination vers laquelle ils sont envoyés. La Chambre considère que s’il était exigé que le déplacement ait une destination précise, il serait souvent difficile d’établir qu’il y a eu déportation et à quel moment, car il peut arriver que le transfert se soit déroulé en plusieurs étapes et que les victimes aient traversé plusieurs territoires dont les frontières ont pu changer de jour en jour. Exiger que le déplacement s’effectue vers une destination précise pourrait en conséquence affaiblir l’interdiction de la déportation. 678. La Chambre de première instance insiste sur la nécessité de resituer, pour le comprendre et le définir, un terme juridique dans son contexte. Si l’on tient compte des intérêts protégés par la prohibition de la déportation et par le mandat du Tribunal, il est absurde d’interdire, d’une part, des crimes constituant des déportations « qu’ils aient ou non été commis au cours d’un conflit armé de caractère international ou de caractère interne », comme l’a précisé le Conseil de sécurité, et, d’autre part, de ne sanctionner que ceux impliquant le franchissement de frontières internationalement reconnues. 679. Aux fins de la présente espèce, la Chambre de première instance conclut que l’article 5 d) du Statut doit être interprété comme s’appliquant à des déplacements forcés de population, tant au-delà de frontières internationalement reconnues que de frontières de facto, telles que les lignes de front toujours changeantes, non reconnues internationalement. Dans ce contexte, il convient de définir la déportation comme le fait de déplacer des personnes en les expulsant ou en recourant à d’autres moyens de coercition, pour des motifs non admis en droit international, d’une région où elles se trouvent légalement vers une région contrôlée par une autre partie. 680. Il est intéressant de voir comment la déportation est régie par le Statut de la CPI. Le Statut de la CPI ne prévoit qu’une seule catégorie appelée « déportation ou transfert forcé de population », définie comme le « fait de déplacer des personnes, en les expulsant ou par d’autres moyens coercitifs, de la région où elles se trouvent légalement, sans motifs admis en droit international1337 . Les Éléments des crimes de la CPI, quant à eux, définissent ainsi le premier élément de ce crime contre l’humanité : « L’auteur a déporté ou transféré de force, sans motif admis en droit international, une ou plusieurs personnes dans un autre État ou un autre lieu, en les expulsant ou par d’autres moyens coercitifs 1338. » Même si l’emploi simultané des vocables « déportation » et « transfert forcé » risque de créer une confusion dans les termes en droit, il est clair que le Statut de la CPI n’exige pas la preuve qu’il y ait eu franchissement d’une frontière internationale, mais seulement qu’une population civile ait été déplacée. La Chambre de première instance est consciente qu’une telle comparaison n’a que peu d’intérêt si l’on envisage des actes commis avant la création de la CPI. Cependant, le fait que les déplacements forcés de population sont depuis longtemps sanctionnés par le droit international coutumier et que le Statut de la CPI regroupe les termes déportation et transfert forcé dans une seule et même catégorie ne font qu’accréditer l’idée que ces infractions, considérées jusque-là par la jurisprudence comme des infractions distinctes, ne constituent en réalité qu’un seul et même crime. 681. Tout déplacement forcé implique l’abandon du foyer, la perte de biens et le fait d’être déplacé sous la contrainte en un autre lieu1339. L’interdiction de la déportation vise par essence à garantir légalement les civils contre les déplacements forcés lors d’un conflit armé et contre le déracinement et la destruction de leur communauté par un agresseur ou une puissance occupant le territoire dans lequel ils habitent. 682. La définition de la déportation exige que le déplacement soit « forcé » ou opéré « de force »1340. En conséquence, les transferts librement consentis sont licites. Dans la jurisprudence, le « déplacement forcé » s’entend aussi bien d’actes de violence physique que d’autres formes de coercition1341. Dans le Jugement Krstic, la Chambre de première instance cite les Éléments des crimes de la CPI prévoyant que le terme « de force »
683. La présente Chambre de première instance souligne, à propos de la qualification à donner au comportement d’une partie belligérante, que l’assistance apportée par des organisations humanitaires ne rend pas licite le déplacement de la population. 684. En conclusion, la Chambre de première instance adopte une définition de la déportation qui inclut les éléments susmentionnés. Elle indique toutefois que, dans le cadre du Statut, la question de savoir si une frontière est internationalement reconnue ou simplement de fait est sans importance. En juger autrement aboutirait à faire trop peu de cas de l’acception générale de ce terme, de la notion d’origine, du but des rédacteurs du Statut, ainsi que du sens et de l’esprit de la norme qu’il consacre. La Chambre de première instance souligne que l’acte sous-jacent — qu’il y ait eu déplacement par delà une frontière internationalement reconnue ou non — était déjà punissable en droit international public à l’époque des faits. Elle indique que le Tribunal militaire international de Nuremberg a appliqué de fait l’article 6 c)1343 du Statut de Nuremberg qualifiant les « déportations » de crimes contre l’humanité dans des affaires où les victimes avaient été déplacées à l’intérieur de frontières internationalement reconnues1344. La Chambre note en outre que, dans l’affaire Attorney General v. Adolf Eichmann, le Tribunal de district de Jérusalem a reconnu l’accusé Adolf Eichmann coupable de déportation à raison de déplacements internes de la population1345. 685. En dernier lieu, la Chambre de première instance rejette l’argument de la Défense selon lequel un nombre minimal d’individus doivent avoir été transférés de force pour engager la responsabilité pénale. Cet argument ne trouve aucun fondement dans la jurisprudence du Tribunal et aboutit à remettre en cause l’effet protecteur de l’interdiction de la déportation. 686. La Chambre de première instance observe à propos de l’élément moral de la déportation que les conditions qui s’y attachent n’ont jamais fait l’objet d’une analyse exhaustive au Tribunal. Qu’elle prenne la forme du dol spécial requis pour le génocide ou celle du dol général exigé pour les autres crimes relevant de la compétence du Tribunal, l’intention est généralement difficile à établir et il faut s’appuyer, pour ce faire, sur l’ensemble des faits et circonstances établis. La Chambre de première instance est d’avis que l’intention de l’auteur de la déportation doit porter sur l’ensemble des éléments objectifs définis plus haut. Cette approche cadre pleinement avec le but de l’interdiction de la pratique du nettoyage ethnique. 687. La Chambre est d’accord avec la Chambre de première instance saisie de l’affaire Naletilic et Martinovic pour estimer que l’auteur de la déportation doit avoir eu « l’intention de transférer la [victime], ce qui implique l’idée d’un non -retour [de celle-ci]1346 ». Autrement dit, un éventuel retour de la victime n’aurait pas d’incidence sur la responsabilité pénale de l’auteur de la déportation. b) Les conclusions de la Chambre de première instance relatives à l’expulsion/déportation (chef 7) 688. Les tensions politiques ont nourri un climat de méfiance, de peur et de haine dans la municipalité pendant la seconde moitié de 1991 jusqu’à la prise de pouvoir le 30 avril 1992. Par sa propagande, le SDS maintenait la population non serbe de la municipalité de Prijedor dans un état de peur et d’incertitude constant1347. 689. Des articles parus dans Kozarski Vjesnik ont régulièrement fait état d’une montée de la tension dans la municipalité en 1991 et 19921348. Dans un article daté du 24 avril 1992, moins d’une semaine avant la prise de pouvoir programmée par les Serbes, il est ainsi rapporté : « La peur et la méfiance ont manifestement gagné jusqu’à cette ville où les relations entre les Musulmans et les Serbes sont on ne peut plus mauvaises car, même si aucune des deux communautés ne l’avoue, chacune pense le pire de l’autre. » Le journal fait état de « départs temporaires » de la municipalité et indique : « Plus de 3 000 personnes, essentiellement des femmes et des enfants, ont quitté la ville ces deux dernières semaines. Ce sont principalement des Musulmans1349. » 690. Sur ce point, la Chambre de première instance rappelle qu’elle a constaté qu’après la prise de pouvoir du 30 avril 1992, le Journal officiel de la municipalité avait été renuméroté en partant de la « Première Année ». La Chambre de première instance considère que cela prouve que de l’avis des autorités serbes, une nouvelle ère s’ouvrait pour les Serbes dans la municipalité de Prijedor. 691. Tout indique que ceux qui ont quitté la municipalité l’ont fait parce qu’ils étaient soumis à des pressions considérables. Le témoin B a expliqué :
Ce témoignage est corroboré par un rapport sur les activités de la Croix-Rouge à Prijedor entre le 5 mai et le 30 septembre 1992, rapport indiquant qu’« [o]n a fait pression sur les habitants musulmans ou croates pour qu’ils quittent la Région autonome de Krajina1351 ». 692. La Chambre de première instance a entendu de nombreux témoins qui ont fui le territoire de la municipalité de Prijedor en 1992. La plupart se sont rendus à Travnik ou en Croatie pour fuir les territoires sous contrôle serbe. L’exode des habitants majoritairement non serbes de Prijedor a commencé dès 1991, et s’est considérablement accéléré à la veille de la prise de pouvoir. Il a atteint son paroxysme au cours des mois qui ont suivi la prise de pouvoir. La plupart des gens sont partis avec l’un des convois de camions ou d’autocars qui quittaient le territoire chaque jour. Ces convois partaient de certains points précis de la municipalité de Prijedor. Des convois étaient également régulièrement organisés au départ du camp de Trnopolje. 693. Le témoin A a quitté le camp d’Omarska le 6 août 1992 avec un convoi de 1 360 passagers1352. Le témoin B a expliqué qu’avec sa famille, il avait dû partir pour Travnik avec un convoi organisé par les autorités serbes, seul moyen pour les non-Serbes d’être autorisés à partir1353. Il a ainsi déclaré : « [Partir] était la seule solution, le seul moyen de s’en sortir ; il fallait partir aussi loin que possible, coûte que coûte1354. » Selon lui, il y avait des « milliers » de personnes ce jour-là, quand le convoi s’est formé sous la surveillance de la police de réserve de Prijedor1355. Le témoin Z a quitté Prijedor pour Travnik le 21 août 1992 avec l’un des convois qui partaient chaque jour du stade de Tukovi. Plus d’une centaine de personnes étaient entassées dans le camion à bord duquel voyageait le témoin, et selon ses estimations, le convoi comptait de 1 000 à 1 500 personnes au total1356. Plusieurs autres témoins ont, en outre, déclaré être partis avec des convois à destination de Karlovac en Croatie1357. 694. D’après le témoignage du commandant du camp de Trnopolje, Slobodan Kuruzovic, les autorités civiles de Prijedor étaient chargées de coordonner les convois qui quittaient le camp en direction de Travnik :
695. Slobodan Kuruzovic a rappelé qu’une fois l’Accusé avait aidé à l’organisation d’un convoi au départ du camp de Trnopolje, Milan Kovacevic, Président du comité exécutif, n’étant pas disponible ce jour-là1359. Il a ajouté qu’à deux ou trois reprises, un transport en train avait été organisé au départ du camp de Trnopolje situé à 200 mètres d’une gare ferroviaire. Le témoin a affirmé que ces convois étaient organisés par le comité exécutif de l’assemblée municipale1360. 696. Le 29 septembre 1992, le conseil pour la défense du peuple de Prijedor, présidé par l’Accusé, s’est réuni pour discuter des futures activités du « centre d’accueil de Trnopolje ». Le conseil a adopté des conclusions concernant le départ des personnes présentes dans le camp et a décidé que le SJB de Prijedor fournirait des hommes pour escorter le convoi. Il a en outre décidé de recommander à « la Croix-Rouge municipale de fermer le centre d’accueil de Trnopolje puisque le départ de toutes les personnes qui y étaient enregistrées rendait celui-ci inutile1361 . Suite à ces conclusions, le CICR a escorté, le même jour, 1 561 personnes du camp de Trnopolje jusqu’à Karlovac, en Croatie1362. 697. La Chambre de première instance a reçu de multiples éléments prouvant que la plupart des convois routiers, voire leur totalité, avaient été organisés à l’aide d’autocars appartenant à des compagnies de transport locales, dont Autotransport Prijedor et Rudnik Ljubija1363. Il existe, en particulier, des documents écrits établissant que Autotransport Prijedor a assuré en juillet 1992 l’acheminement de personnes à Trnopolje, Omarska, Keraterm, Banja Luka, etc., pour le compte de la cellule de crise, de l’armée et de la police1364. Il apparaît que l’entreprise Autotransport Prijedor a demandé au comité exécutif d’autoriser le remboursement des transports effectués pour le compte de la cellule de crise au mois de juillet 1992 et que 31 autocars avaient parcouru 1 300 kilomètres au total pour transporter des réfugiés1365. 698. Lors d’une interview accordée à la chaîne de télévision britannique Channel 4 à la fin de 1992, l’Accusé a expliqué qu’un « grand nombre de [détenus du camp de Trnopolje] ont exprimé le désir de quitter la région1366. Il a ajouté :
699. Les convois ont été organisés par la police et par l’armée. Un rapport du SJB adressé au CSB de Banja Luka indique que le 18 juillet 1992, un convoi de cinq autocars partant de Trnopolje, transportant des femmes et des enfants, a été organisé conjointement par le colonel Arsic de la garnison de Prijedor et par la 122e brigade. Le rapport précise que la sécurité du convoi a été assurée par un fourgon et des policiers de Prijedor1368. 700. À propos de ces convois, la Chambre de première instance renvoie également à ses constatations précédentes1369. Le témoin Z, qui faisait partie du convoi ayant quitté le 21 août le stade de Tukovi à destination du mont Vlasic, a déclaré que pendant le voyage, les passagers avaient été maltraités et dépouillés de leur argent et de leurs objets précieux. Elle a ainsi raconté :
701. S’agissant des éléments de preuve établissant que les habitants de Prijedor devaient obtenir certains certificats ou permis, la Chambre de première instance renvoie à ses constatations précédentes1371. 702. Slavko Budimir et le secrétariat de la défense du peuple étaient chargés de délivrer des certificats autorisant les habitants à sortir de la municipalité de Prijedor. À l’audience, Slavko Budimir a déclaré qu’un grand nombre de personnes s’étaient adressées au secrétariat pour demander l’autorisation de quitter la municipalité 1372 et que toutes les demandes avaient été acceptées. Selon lui, la situation des Musulmans et des Croates à cette époque était pire que celle des Serbes. 703. La Chambre de première instance a précédemment constaté que, selon les résultats du recensement de 1991, la municipalité de Prijedor comptait, au 1er avril 1991, 112 543 habitants, dont 49 351 Musulmans (43,9 %), 47 581 Serbes (42,3 %) et 6 316 Croates (5,6 %)1373. 704. Comme elle l’a indiqué dans ses constatations, la Chambre de première instance a entendu Ljubica Kovacevic, veuve de Milan Kovacevic, qui a déclaré que sur l’ensemble des 1 414 réfugiés arrivés dans la municipalité de Prijedor pendant la période visée par l’Acte d’accusation, 1 389 étaient serbes, soit 98,2 %1374. Son témoignage révèle également qu’au cours des derniers mois de 1992, le nombre des réfugiés serbes s’est élevé à 1 564 (soit 98, 4 % de la totalité des réfugiés) et qu’entre 1993 et 1999, sur les 27 009 réfugiés qui se sont installés dans la municipalité, 26 856 étaient d’origine serbe (soit 99,4 %)1375. Pendant la même période, 47 Musulmans et 97 Croates sont revenus à Prijedor1376. 705. Les rapports officiels du SJB indiquent qu’entre 4 000 et 5 000 personnes, des Musulmans pour l’essentiel, ont quitté la municipalité de Prijedor avant l’éclatement du conflit armé dans cette région1377. D’après ces rapports, le 16 août 1992, 13 180 habitants avaient été avisés par le SJB qu’ils n’avaient plus l’autorisation de résider dans la municipalité1378 et le 29 septembre 1992, ce nombre était passé à 15 2801379. Ces rapports indiquent également :
Ces informations sont corroborées par les déclarations de Simo Drljaca, ancien chef du SJB, rapportées le 9 avril 1993 dans Kozarski Vjesnik :
706. Le 2 juillet 1993, dans un article intitulé « Qui sommes-nous ? Combien sommes -nous ? », Kozarski Vjesnik a publié, concernant la municipalité de Prijedor, les résultats non officiels d’un recensement réalisé dans l’ensemble des municipalités de la Republika Srpska. L’article révèle qu’à cette époque, sur l’ensemble des 65 551 habitants que comptait la municipalité, 53 637 étaient orthodoxes, 6 124 musulmans et 3 169 catholiques1382. La Chambre de première instance estime que ces résultats, qui n’ont pas été contestés par la Défense, montrent la redoutable efficacité de la campagne lancée par le SDS, dont l’objectif était l’expulsion de la population non serbe. À l’issue de cette campagne, la municipalité a non seulement enregistré une baisse de près de 60 % de sa population totale, mais une diminution considérable des communautés musulmane et croate, en recul respectivement de 87,6 % et de 49,8 %. Le nouveau recensement indiquait qu’avec 96,3 % de Serbes dans sa population, la municipalité de Prijedor était quasiment devenue une municipalité purement serbe. Le but commun consistant à créer une municipalité serbe avait finalement été atteint. 707. La Chambre de première instance conclut qu’il régnait dans la municipalité de Prijedor à l’époque des faits, un climat à ce point coercitif qu’il est exclu que les personnes ayant quitté la municipalité aient pu de leur plein gré décider d’abandonner leurs foyers. La Chambre refuse, contrairement à la Défense, de voir dans la publicité faite dans Kozarski Vjesnik, en mars 1992 notamment, par la compagnie Santours de Prijedor pour ses voyages en autocar à l’étranger le signe qu’il s’agissait de départs volontaires1383. Même si la période en question n’est pas couverte par l’Acte d’accusation, la Chambre estime que ces voyages marquaient le début de la campagne d’expulsion. 708. Le 26 juin 1992, Milomir Stakic a, en sa qualité de Président de la cellule de crise, évoqué ces déplacements de population. Interrogé sur les mesures prises par la cellule de crise pour assurer la sécurité des réfugiés et des habitants, l’Accusé a ainsi déclaré :
709. D’autres éléments de preuve confirment le fait que la cellule de crise a pris des mesures afin de faciliter l’expulsion des habitants non serbes de la municipalité de Prijedor. À ce propos, un article du Kozarski Vjesnik daté du 10 juillet 1992 rapporte qu’après avoir examiné la question des habitants « demandant de leur plein gré à quitter la municipalité », la cellule de crise « a accepté de faire preuve de diligence pour mener à bien ce processus de façon méthodique »1385. 710. Les éléments de preuve ont établi l’existence d’une étroite coopération entre les autorités civiles dirigées par l’Accusé, le SJB et les autorités militaires. Cela prouve que la participation de l’Accusé, qui avait en charge le volet politique de cette coopération, était une condition sine qua non au bon déroulement des expulsions. La Chambre de première instance est convaincue que la création d’un État purement serbe passait au premier chef par l’expulsion de la population non serbe du territoire de la municipalité, conformément aux deux premiers des six objectifs stratégiques du peuple serbe exposés par Radovan Karadzic le 12 mai 19921386. 711. Après s’être rendu dans la municipalité de Prijedor, notamment au camp de Trnopolje, un membre de l’ECMM, qui accompagnait le rapporteur de la mission de la Conférence pour la sécurité et la coopération en Europe, a écrit dans ses notes personnelles : « [L]es habitants musulmans sont indésirables et […] sont systématiquement chassés par tous les moyens possibles. » Le caractère massif de ces expulsions, notamment depuis le centre même de Prijedor, non loin des bureaux de l’Accusé au siège de l’assemblée municipale, confirme clairement que l’Accusé a joué un rôle dans l’expulsion de la population non serbe. 712. En conclusion, la Chambre de première instance est convaincue que l’Accusé avait l’intention d’expulser la population non serbe de la municipalité de Prijedor et qu’il a ainsi non seulement commis le crime d’expulsion en tant que coauteur, mais l’a également planifié et ordonné. La Chambre de première instance déclare donc l’Accusé coupable d’expulsions, un crime contre l’humanité sanctionné par l’article 5 d) du Statut. c) Le droit applicable aux autres actes inhumains allégués au chef 8 713. S’agissant des éléments constitutifs d’un transfert forcé assimilable à un acte inhumain tombant sous le coup de l’article 5 i) du Statut, l’Accusation soutient que les victimes doivent avoir été transférées « de leur lieu de résidence “vers un autre lieu” ». Elle affirme qu’il n’est pas nécessaire de déterminer si le lieu de destination est placé sous le contrôle de la partie qui procède au transfert forcé ou d’une partie adverse, ni s’il se situe à l’intérieur ou à l’extérieur des frontières d’un État1387. Selon l’Accusation, il suffit d’établir que ces personnes ont été transférées « de leur lieu de résidence vers un lieu qu’elles n’ont pas choisi1388». S’agissant de l’élément moral, l’Accusation soutient que l’expulsion ou les autres mesures de coercition ont été délibérées, que la destination finale des victimes ait été ou non située à l’intérieur ou à l’extérieur des frontières de la Bosnie -Herzégovine1389. 714. En raison de l’incertitude entourant la « portée précise » du crime d’expulsion /déportation visé à l'article 5 d) du Statut, l’Accusation fait valoir subsidiairement que le transfert forcé a eu lieu à Prijedor durant la période couverte par l’Acte d’accusation1390. Elle soutient que les éléments constitutifs de ce crime sont les suivants :
715. Pour l’Accusation, « illégalement » signifie « sans motifs admis en droit international 1392 ». 716. Partant, l’Accusation formule trois observations liminaires et soutient que :
717. S’agissant des autres actes inhumains (transfert forcé) tombant sous le coup de l’article 5 i) du Statut, la Défense affirme que Milomir Stakic est poursuivi de plusieurs chefs à raison du même crime1394. À son avis, le transfert forcé ne suppose pas un transfert des victimes par delà les frontières nationales1395. Elle avance que le transfert forcé est constitué lorsque les deux éléments suivants sont réunis :
718. Cela étant, la Défense indique que « [d]ans la mesure où les deux éléments constitutifs du transfert forcé sont inclus dans le crime d’expulsion », les arguments avancés par elle concernant l’expulsion sont inclus également1397. 719. La Chambre de première instance rappelle que « [l]e recours à la qualification d’“autres actes inhumains”, crime contre l’humanité sanctionné par l’article 5 i ) du Statut, pour engager la responsabilité pénale pour les transferts forcés, qui ne sont pas à eux seuls punissables en tant qu’expulsion, soulève bien des problèmes 1398 ». Ayant observé que « toute loi ne peut être d’une précision absolue et [que] c’est à la jurisprudence qu’il revient d’interpréter et d’appliquer des dispositions juridiques qui doivent, en partie, être formulées de manière générale », la Chambre a déclaré que « la définition d’une infraction pénale outrepasse les limites de l’acceptable lorsque le comportement spécifique prohibé ne peut être identifié »1399. Elle a donc conclu que « [l]e crime qualifié d’“autres actes inhumains” englob[ant ] en puissance un large éventail de comportements criminels au point qu’il risque de paraître insuffisamment clair, précis et certain » pourrait violer le principe nullum crimen sine lege certa, principe fondamental du droit pénal1400. 720. Examinant ce point de droit dans le Jugement Kupreskic, la Chambre de première instance a conclu que
Après s’être reportée à plusieurs instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme, comme la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 et les deux Pactes des Nations Unies relatifs aux droits de l’homme de 1966, la Chambre de première instance a conclu dans cette affaire qu’il était possible de trouver dans ces textes « des paramètres plus précis pour l’interprétation de l’expression “autres actes inhumains” » et « d’identifier un groupe de droits fondamentaux de la personne, dont la violation peut, en fonction des circonstances de l’espèce, constituer un crime contre l’humanité »1402. 721. La présente Chambre de première instance ne souscrit pas à cette approche et observe que les instruments internationaux évoqués dans le Jugement Kupreskic fournissent des définitions des droits de l’homme quelque peu différentes. Cependant, quel que soit le statut de ces textes au regard du droit international coutumier, les droits qu’ils consacrent ne sont pas nécessairement reconnus comme des normes de droit pénal international. La Chambre de première instance renvoie au rapport du Secrétaire général, selon lequel « l’application du principe nullum crimen sine lege exige que le Tribunal international applique des règles du droit international coutumier qui font partie sans aucun doute possible du droit coutumier1403. En conséquence, la Chambre de première instance hésite à utiliser systématiquement des textes relatifs aux droits de l’homme comme fondement d’une norme de droit pénal, du genre de celle énoncée à l’article 5 i) du Statut. Elle y est d’autant moins encline qu’il n’est pas besoin, comme en l’espèce, de se livrer à pareil exercice. Une norme de droit pénal doit fournir à une Chambre de première instance des critères permettant de juger du comportement criminel allégué aux fins d’application de l’article 5 i) du Statut, et ce afin que chacun sache quel comportement est punissable et quel autre ne l’est pas. 722. La Chambre de première instance n’est pas convaincue par l’argument de l’Accusation selon lequel dans certaines circonstances précises, le principe de sécurité juridique n’exige pas la description d’un comportement prohibé. En l’espèce, le Statut permet déjà de sanctionner les transferts illégaux de population constitutifs du crime contre l’humanité qu’est l’expulsion. Pour une interprétation cohérente du droit, il est donc préférable d’adopter une définition de l’expulsion adaptée au contexte. d) Les conclusions de la Chambre de première instance 723. La Chambre de première instance a adopté une définition de l’expulsion applicable à différentes formes de transferts forcés. L’Accusation a fait valoir que diverses formes de transferts forcés devraient tomber sous le coup de l’article 5 i) du Statut. La Chambre a conclu que la plupart de ces transferts entrent dans le cadre de la définition de l’expulsion visée à l’article 5 d) du Statut. Pour ce qui est des autres exemples de transferts donnés par l’Accusation (comme le transfert d’individus vers des centres de détention), la Chambre de première instance n’est pas convaincue a) que ces actes présentent le même degré de gravité que d’autres crimes énumérés à l'article 5 du Statut, b) qu’ils sont suffisants pour prononcer des déclarations de culpabilité cumulatives sur la base de l’article 5 i) et c) qu’ils pourraient constituer en l’espèce une violation du principe nullum crimen sine lege certa. 724. Le chef 8 (transfert forcé en tant qu’autre acte inhumain) est en conséquence rejeté.
725. Milomir Stakic est mis en cause pour persécutions, un crime contre l’humanité sanctionné par l’article 5 h) du Statut, à raison de plusieurs actes différents1404. Certains de ces actes ont donné lieu à un cumul de qualifications comme on peut le voir aux chefs 3 et 5 (« assassinat » et « meurtre ») et aux chefs 7 et 8 (« expulsion » et « transferts forcés »). La Chambre de première instance a exposé dans les parties III. E. et III. F. 2. et 4. les conclusions auxquelles elle est parvenue au sujet de ces chefs. 726. La Chambre de première instance constate que les parties semblent avoir une conception analogue des éléments constitutifs du crime de persécutions et, en conséquence, elle se contentera de résumer brièvement leurs arguments. 727. Selon l’Accusation, les éléments constitutifs du crime de persécutions visé à l’article 5 h) du Statut sont les suivants : « 1) l’accusé, par ses actes ou omissions, a violé un droit fondamental d’une personne ou d’une population ; 2) l’accusé était animé de l’intention de commettre cette violation ; 3) le comportement de l’accusé se fondait sur des motifs politiques, raciaux ou religieux ; et 4) l’acte a été commis avec l’intention discriminatoire requise1405. » 728. L’Accusation rappelle que « la jurisprudence du Tribunal donne une interprétation large du terme “persécutions” » et que « même des actes qui ne seraient pas en soi des crimes peuvent être considérés comme tels et constituer des persécutions s’ils ont été commis avec une intention discriminatoire1406. L’Accusation souligne qu’il ne faut pas prendre les actes isolément mais dans leur ensemble afin de mesurer leur effet cumulé ; elle ajoute qu’il n’y a persécutions que si l’effet cumulé de ces actes est assimilable à une violation flagrante des droits fondamentaux de l’homme1407. En somme, « pris ensemble, ces actes doivent atteindre le même degré de gravité que les autres crimes contre l’humanité énumérés à l’article 5 du Statut1408. 729. Définissant l’élément moral des persécutions, l’Accusation rappelle que c’est « l’intention spéciale d’attenter à l’intégrité d’un être humain parce qu’appartenant à telle ou telle communauté ou groupe, et non pas les moyens employés pour y parvenir, qui lui donne sa spécificité et sa gravité1409. 730. La Défense allègue qu’afin d’établir des persécutions, l’Accusation doit prouver au-delà de tout doute raisonnable que « a) l’accusé a, par ses actes ou omissions, violé un droit élémentaire ou fondamental d’une personne ou d’une population ; b) le comportement de l’accusé se fondait sur des motifs politiques, raciaux ou religieux ; et c) l’acte a été commis avec l’intention discriminatoire requise1410 . 731. La Défense soutient également que les actes de persécution doivent atteindre le même degré de gravité que les autres actes constituant des crimes contre l’humanité1411 et que l’acte doit être « discriminatoire dans les faits1412 ». Le comportement en cause doit obéir à des motifs raciaux, religieux ou politiques1413. 732. La Chambre de première instance fait sienne la définition établie par la jurisprudence du Tribunal et reconnaît que les éléments constitutifs de la persécution sont les suivants : le crime de persécutions consiste en un acte ou une omission qui
Chacune des trois raisons énumérées dans l’article 5 h) du Statut suffit en soi pour parler de persécutions, nonobstant la conjonction de coordination « et » figurant dans le texte de la disposition1415. 733. La Chambre de première instance admet que « l’acte de persécution doit viser à refuser à une personne l’exercice d’un droit fondamental et se traduire par ce déni1416 ». Bien que le Statut n’exige pas expressément que la discrimination s’exerce à l’encontre d’un membre du groupe visé, l’acte ou omission doit avoir des conséquences discriminatoires dans les faits, et non être commis avec une simple intention discriminatoire1417. 734. Peuvent également être visées des personnes « définies par l’auteur des crimes comme appartenant au groupe visé en raison de leurs liens étroits ou de leur sympathie pour ce groupe », « puisque c’est l’auteur des crimes qui définit le groupe visé, tandis que les victimes n’ont aucune influence sur la détermination de leur statut1418 ». 735. L’acte ou l’omission constitutif du crime de persécutions peut revêtir des formes diverses, et il n’existe pas de liste exhaustive d’actes assimilables à des persécutions1419. Peuvent être qualifiés de persécutions aussi bien des actes prévus dans le Statut que d’autres qui n’y figurent pas1420. Si elle retient contre l’accusé le chef de persécutions, l’Accusation doit exposer très précisément les actes constitutifs de persécutions1421. 736. Afin de respecter le principe nullum crimen sine lege certa, il faut « définir clairement les limites des types d’actes retenus au titre de la persécution1422 ». Les actes de persécution qui ne sont visés ni à l’article 5 ni ailleurs dans le Statut doivent présenter le même degré de gravité que les autres actes énumérés à l’article 51423. Pour déterminer si les actes ou omissions atteignent un degré de gravité suffisant, il convient de ne pas les considérer isolément, mais de les envisager dans leur contexte et de prendre en compte leur effet cumulé1424. Un acte qui n’est pas en apparence comparable aux autres actes visés à l’article 5 peut atteindre le degré de gravité requis si, en raison du contexte dans lequel il s’est inscrit, il a eu, ou était susceptible d’avoir, un effet analogue à celui de ces autres actes1425. La Chambre de première instance ne rappellera pas ces éléments supplémentaires du crime pour chacun des actes décrits ci-après. 737. La Chambre de première instance estime que l’expression « intention discriminatoire » correspond au dol spécial exigé. 738. La Chambre de première instance rappelle que, outre la connaissance exigée pour tous les crimes contre l’humanité visés à l’article 5 du Statut, l’élément moral du crime de persécutions comprend :
739. Si l’intention discriminatoire est nécessaire, point n’est besoin d’établir l’existence d’une politique discriminatoire1426. 740. Dans l’affaire Vasiljevic, la Chambre de première instance a conclu que
À ce propos, la Chambre de première instance Vasiljevic s’est élevée contre le fait que dans d’autres affaires portées devant le Tribunal, il a été jugé qu’ « une attaque discriminatoire était suffisante pour conclure à l’intention discriminatoire de l’auteur des actes accomplis dans le cadre de cette attaque1428 . La Chambre Vasiljevic a ajouté :
741. La présente Chambre estime toutefois que le rôle joué par un accusé donné a une incidence importante sur la question de savoir s’il est nécessaire de rapporter la preuve d’une intention discriminatoire pour chaque acte particulier incriminé ou si la preuve de l’existence d’une attaque discriminatoire suffit pour conclure à l’intention discriminatoire pour les actes commis dans le cadre de cette attaque. Dans les deux affaires Vasiljevic et Krnojelac, les accusés étaient étroitement associés à l’exécution des crimes. En pareil cas, la présente Chambre peut admettre qu’il faille apporter la preuve que l’auteur direct du crime en cause a agi avec une intention discriminatoire. En l’espèce toutefois, il n’est pas reproché à l’Accusé d’avoir été l’auteur direct des crimes. Premier magistrat de la municipalité de Prijedor, il est en fait accusé d’avoir été un auteur derrière l’auteur/acteur direct ; l’Accusé est considéré comme étant le coauteur de ces crimes au même titre que les autres individus avec lesquels il a coopéré au sein des nombreuses instances dirigeantes de la municipalité. La Chambre de première instance emploie à dessein les deux termes « auteur » et « acteur », car, pour juger de l’intention de l’auteur indirect, peu importe que l’acteur ait été ou non animé d’une intention discriminatoire ; l’acteur peut n’avoir été qu’un instrument innocent1430. 742. En conséquence, exiger la preuve de l’intention discriminatoire à la fois chez l’accusé et les exécutants pour l’ensemble des actes commis assurerait aux supérieurs une protection injustifiée et serait contraire au sens, à l’esprit et au but du Statut du Tribunal international. La Chambre estime donc que la preuve du caractère discriminatoire d’une attaque dirigée contre une population civile est suffisante pour conclure à l’intention discriminatoire d’un accusé pour des actes accomplis dans le cadre de cette attaque à laquelle il a participé en tant que (co)auteur. 743. Dans le cas d’une perpétration indirecte, il n’est exigé que la preuve de l’intention discriminatoire générale de l’auteur indirect pour l’attaque lancée par les auteurs /acteurs directs. Le fait que l’auteur/acteur direct n’ait pas agi avec une intention discriminatoire n’exclut pas en soi que ses agissements puissent être considérés comme s’inscrivant dans le cadre d’une attaque discriminatoire dès lors que l’auteur indirect était animé d’une intention discriminatoire. 744. Pour conclure, ce qu’il faut prouver en l’espèce c’est le caractère discriminatoire de l’attaque dirigée contre la population non serbe. La Chambre de première instance va à présent examiner la question de la responsabilité pénale de Milomir Stakic pour les divers actes incriminés en tant qu’actes de persécution. b) Actes qualifiés de persécutions 745. La Chambre de première instance examinera les différents actes allégués par l’Accusation dans l’ordre où ils apparaissent dans l’Acte d’accusation1431. La Chambre exposera tout d’abord les éléments juridiques requis pour chaque acte qualifié de persécution puis s’attachera aux faits établis en relation avec les différentes accusations. 746. Lors de la présentation dans le présent Jugement de ces actes déjà établis, la Chambre de première instance s’attachera à des exemples concrets d’actes de persécution dans lesquels l’intention discriminatoire de l’auteur direct peut également être discernée. De tels exemples ne constituent qu’un moyen de dresser pars pro toto le tableau de la campagne de persécutions alléguée. Pour résumer, peu importe, dans ce contexte, que l’auteur direct ait ou non connu ou même partagé l’intention de l’auteur indirect, qui œuvrait à un échelon supérieur. Ce qui compte, c’est l’intention discriminatoire qui animait l’auteur indirect. 747. Les éléments constitutifs de l’« assassinat » visé à l’article 5 a) ont déjà été examinés précédemment1432. 748. La torture est un crime contre l’humanité sanctionné par l’article 5 f) du Statut. 749. La Convention contre la torture adoptée le 10 décembre 1984 définit ainsi ce crime :
750. La Chambre de première instance souscrit à la définition de la torture donnée par la Chambre d’appel dans l’Arrêt Kunarac et consorts :
751. La « violence physique » ne fait pas partie des crimes énumérés à l’article 5 pas plus qu’elle ne constitue une infraction spécifique sanctionnée par d’autres articles du Statut. 752. La Chambre de première instance considère que la « violence physique » est une expression générale qui s’applique pour l’essentiel aux conditions de vie imposées aux détenus, telles que le surpeuplement des locaux, la privation de nourriture et d’eau et le manque d’air, l’exposition à une chaleur ou à un froid extrême, les sévices infligés arbitrairement aux détenus à titre de mesure générale visant à instiller la terreur parmi eux, ainsi que d’autres formes similaires d’agressions physiques qui ne répondent pas à la définition de la torture donnée plus haut. 753. En conséquence, la Chambre de première instance estime que, alors même que la violence physique ne figure pas au nombre des crimes énumérés à l’article 5 du Statut et que les actes allégués ne remplissent pas les conditions pour être qualifiés de tortures, ils peuvent être assimilés à des persécutions1435. 754. Le viol constitue un crime contre l’humanité sanctionné par l’article 5 g) du Statut. 755. La Chambre de première instance souscrit à la définition du viol adoptée par la Chambre d’appel Kunarac et consorts1436. 756. Ainsi, « [l]’emploi de la force ou la menace de son emploi constitue certes une preuve incontestable de l’absence de consentement, mais l’emploi de la force n’est pas en soi un élément constitutif du viol. [...] Une définition restrictive fondée sur l’emploi de la force ou sur la menace de son emploi pourrait permettre aux auteurs de viols de se soustraire à leur responsabilité pour des actes sexuels qu’ils auraient imposés à des victimes non consentantes à la faveur de circonstances coercitives, mais sans pour autant recourir à la force physique1437 . 757. La présente Chambre estime que le droit international pénal réprime non seulement le viol mais aussi toute autre violence sexuelle qui ne s’accompagne pas d’une véritable pénétration. Cette infraction englobe toutes les agressions sexuelles graves qui, au prix d’un recours à la contrainte, à la menace de l’emploi de la force ou à l’intimidation, attentent à l’intégrité de la personne d’une façon qui humilie et dégrade la victime1438. 758. Les actes constituant « une humiliation et une dégradation constantes » ne sont pas expressément énumérés à l’article 5 et ne figurent comme infractions particulières dans aucun autre article du Statut. 759. Examinant les accusations de « harcèlement, humiliations et violences psychologiques » et décrivant les conditions de détention dans un camp, la Chambre de première instance saisie de l’affaire Kvocka et consorts a jugé que « les traitements humiliants qui s’inscrivent dans le cadre d’une attaque discriminatoire dirigée contre une population civile peuvent, de concert avec d’autres crimes ou, dans certains cas extrêmes, à eux seuls, être également constitutifs de persécutions1439 . 760. La présente Chambre conclut que les humiliations et/ou les dégradations constantes alléguées peuvent constituer des persécutions1440.
761. L’article 3 b) du Statut sanctionne « la destruction sans motif des villes et des villages ou la dévastation que ne justifient pas les exigences militaires . En plein accord avec la définition établie dans la jurisprudence du Tribunal, la présente Chambre considère que le crime est constitué en tous ses éléments lorsque :
762. L’article 3 e) du Statut sanctionne « le pillage de biens publics ou privés. Le terme « pillage » (plunder) couvre « toutes les formes d’appropriation illégale de biens lors d’un conflit armé qui, en droit international, font naître la responsabilité pénale, y compris les actes traditionnellement décrits comme des actes de “pillage” (pillage)1442 . Ces actes d’appropriation s’étendent « à la fois aux actes généralisés et systématiques, de confiscation et d’acquisition de biens en violation des droits des propriétaires et aux actes isolés de vol ou de pillage commis par des individus œuvrant dans leur propre intérêt1443 ». 763. La Chambre de première instance relève que dans ses décisions antérieures le Tribunal a conclu que « [d]ans le contexte d’une campagne de persécution générale, priver des personnes de leur maison et de tout moyen de subsistance peut être un moyen de “contraindre, d’intimider, de terroriser [...] des civils [...]”1444 . Lorsque de telles destructions de biens ont pour effet cumulé de chasser les civils de leurs maisons pour des motifs discriminatoires, les « actes de destruction arbitraire et massive et/ou pillage de domiciles, de bâtiments, d’entreprises, de biens privés et du bétail appartenant à des civils musulmans de Bosnie » peuvent constituer des persécutions1445. 764. En conséquence, la Chambre de première instance conclut que « la destruction, l’endommagement délibéré et le pillage d’habitations et de locaux commerciaux , même s’ils ne sont pas énumérés à l’article 5 du Statut, peuvent constituer des persécutions1446.
765. L’article 3 d) du Statut sanctionne « la saisie, la destruction ou l’endommagement délibéré d’édifices consacrés à la religion, à la bienfaisance et à l’enseignement, aux arts et aux sciences, à des monuments historiques, à des œuvres d’art et à des œuvres de caractère scientifique », en tant qu’ils constituent une violation des lois ou coutumes de la guerre. 766. Le Tribunal de Nuremberg1447 et le Rapport de la CDI de 19911448, entre autres, ont considéré que la destruction d’édifices religieux constituait un cas manifeste de persécutions assimilables à un crime contre l’humanité1449. 767. La présente Chambre souscrit à l’opinion selon laquelle « [c]et acte, lorsqu’il est perpétré avec l’intention discriminatoire requise, équivaut à une attaque contre l’identité religieuse même d’un peuple1450 . 768. En conséquence, la Chambre de première instance estime que « la destruction ou l’endommagement délibéré d’édifices religieux et culturels », même s’ils ne sont pas mentionnés à l’article 5 du Statut, peuvent constituer des persécutions1451. 769. L’« expulsion » et le « transfert forcé » ont déjà fait l’objet d’un examen1452.
770. En l’espèce, Milomir Stakic est accusé de persécutions à l’encontre de la population non serbe de la municipalité de Prijedor pour lui avoir notamment dénié des droits fondamentaux tels que i) le droit à l’emploi, ii) la liberté de circulation, iii) le droit à une procédure régulière, et iv) le droit aux soins médicaux. L’Accusation fait valoir que ces droits sont fondamentaux et que leur violation est assimilable à des persécutions1453. 771. Pour ce qui est de la précision des accusations portées, la Chambre de première instance rappelle l’Arrêt Kupreskic et consorts dans lequel il est dit que l’Accusation doit faire état d’actes de persécution précis. La Chambre d’appel a estimé que le fait que le crime de persécutions « recouvre tout un ensemble de crimes ne dispense pas le Procureur d’exposer dans l’acte d’accusation les points essentiels de son dossier avec la même précision que celle requise pour les autres crimes. L’accusation de persécutions ne saurait être, du fait de son caractère vague, utilisée comme une accusation fourre-tout1454 . La présente Chambre refuse toute tentative de l’Accusation d’agir de la sorte en employant un terme aussi général que « notamment ». 772. C’est pourquoi la Chambre de première instance n’entend prendre en considération aucun autre refus de reconnaître des droits fondamentaux que ceux mentionnés expressément dans l’Acte d’accusation. L’Accusé n’est pas suffisamment informé des accusations autres que celles portées explicitement dans l’Acte d’accusation pour être à même d’y répondre. 773. La Chambre de première instance admet que s’agissant de persécutions, peu importe quels droits peuvent être qualifiés de fondamentaux. La persécution peut consister en une privation d’un large éventail de droits, qu’ils soient fondamentaux ou non, intangibles ou non1455. c) Conclusions de la Chambre de première instance relatives à l’élément matériel des différents actes de persécutions 774. Comme elle l’a dit précédemment, la Chambre de première instance estime que, s’agissant d’un acte de persécution, il faut apporter la preuve d’une intention discriminatoire qui varie en fonction du rôle de l’auteur des faits. Dans le cas d’une attaque ayant le caractère de persécutions, il faut prouver que l’auteur ou le coauteur indirect derrière l’auteur/acteur était animé d’une intention discriminatoire. Toutefois, la preuve de crimes commis par les auteurs directs animés d’une intention discriminatoire peut se révéler utile. Dans cette optique, la Chambre de première instance va présenter des exemples de ce genre afin de dresser pars pro toto un tableau aussi complet que possible de la campagne de persécutions menée dans la municipalité de Prijedor. 775. La Chambre de première instance a déjà jugé Milomir Stakic responsable des homicides allégués au paragraphe 44 de l’Acte d’accusation sous la qualification d’assassinats en vertu de l’article 5, et de meurtres en vertu de l’article 31456. 776. La Chambre de première instance doit à présent déterminer si ces homicides constituent des persécutions, c’est-à-dire s’ils ont été commis avec l’intention d’exercer une discrimination à l’encontre de la population non serbe de la municipalité de Prijedor. 777. Dans le hameau de Cemernica, le témoin S a vu un soldat demander à Muhamed Hadzic quelle était son appartenance ethnique puis l’abattre à bout portant1457. Le 23 juillet 1992, le témoin S et une dizaine d’autres Musulmans ont reçu l’ordre d’aller aider à l’enlèvement des corps sur le territoire de la communauté locale de Biscani. Il estime qu’au total, en l’espace de deux jours, lui et d’autres ont enlevé entre 300 et 350 corps. Toutes les victimes étaient des Musulmans vivant sur le territoire de la communauté locale de Biscani. Le témoin S a présenté une liste définitive de 37 personnes de Biscani qu’il a personnellement identifiées et qui ont été tuées vers le 20 juillet 19921458. 778. En outre, des détenus du camp de Trnopolje qui faisaient partie d’un convoi de civils non serbes ont été tués au Mont Vlasic le 21 août 1992. Comme l’a déjà constaté la Chambre de première instance, environ 200 personnes ont alors été abattues 1459. 779. Au camp de Trnopolje, un homme du nom de Tupe Topala tenait un couteau et criait : « Où êtes-vous, balija ? Je veux vous égorger. » Les soldats criaient et juraient. Ensuite, ils ont emmené 11 hommes hors du camp, tête baissée et mains sur la tête. Les soldats ont conduit ces hommes dans un champ de maïs. Des coups de feu et des cris ont ensuite été entendus1460. La Chambre de première instance est convaincue que le meurtre de ces personnes a été commis avec une intention discriminatoire. 780. La Chambre de première instance a déjà constaté que de nombreux détenus des camps d’Omarska, de Keraterm et de Trnopolje avaient subi des mauvais traitements et des sévices graves constitutifs d’actes de torture1461. Les détenus étaient violemment battus, souvent à l’aide d’objets tels que des câbles, des matraques et des chaînes. À Omarska et à Keraterm, ces sévices étaient le lot quotidien des détenus. Certains ont été ainsi grièvement blessés1462. La Chambre de première instance est convaincue que des sévices graves ont été également infligés au centre communautaire de Miska Glava1463, au stade de football de Ljubija1464, au siège du SUP1465 et à l’extérieur des camps1466. 781. Au camp d’Omarska, de nombreux détenus ont été brutalisés au cours d’interrogatoires 1467. Les cris, les hurlements et les gémissements des détenus battus étaient audibles même à l’extérieur de la salle d’interrogatoire1468. Ainsi, Dzemel Deomic a été interrogé à deux reprises et grièvement blessé du fait des mauvais traitements qui lui ont été alors infligés. Lors du premier interrogatoire, on lui a demandé s’il savait où l’un de ses codétenus avait caché une arme. Lorsqu’il a répondu par la négative, il a été frappé aux jambes, au dos et à la tête. L’un des gardiens a placé un pistolet dans sa bouche et a appuyé sur la gâchette. Pendant le second interrogatoire, il a été frappé avec une barre de fer, un câble et à coups de brodequins1469. 782. Au camp de Keraterm, par exemple, Jusuf Arifagic et d’autres détenus ont dû sortir une nuit et on leur a ordonné de se coucher sur l’asphalte pendant que les soldats les battaient et les interrogeaient. On a demandé à Jusuf Arifagic d’avouer qu’il était un Béret vert, et il a subi, du fait des coups qui lui ont été portés, de graves blessures à la tête, aux bras et aux genoux1470. 783. En ce qui concerne le stade de football de Ljubija, Nermin Karagic a déclaré que des prisonniers y avaient été contraints de se mettre en rang et de se pencher en avant. Puis, ils ont reçu des coups de pied entre les yeux. Les prisonniers ont dû placer leurs mains au sommet du mur. Un homme leur a piétiné les doigts tout en les forçant à entonner des chants à la gloire de la grande Serbie cependant qu’ils étaient frappés. Un prisonnier a dit que sa mère était serbe et on l’a séparé du groupe1471. 784. Dans le bâtiment du SUP de Prijedor, un homme appelé Nihad Basic a été emmené dans la cour par des membres du groupe d’intervention. Ils lui ont dit : « Viens ici, le Turc » et, après l’avoir battu, ils l’ont ramené dans sa cellule, couvert de sang1472. 785. Ces exemples de sévices graves amènent la Chambre de première instance à une double conclusion. Premièrement, tous ces sévices étaient si graves qu’ils étaient assimilables à des actes ayant causé une douleur ou des souffrances aiguës. Deuxièmement, ces exemples montrent que les auteurs directs avaient l’intention d’infliger une telle douleur ou de telles souffrances dans l’un des buts énumérés dans la définition de la torture. Certains exemples montrent que l’auteur direct avait l’intention d’obtenir des renseignements de sa victime. D’autres indiquent que l’auteur direct a infligé cette douleur ou ces souffrances avec l’intention d’exercer une discrimination à l’encontre de la victime. 786. La Chambre de première instance estime que les conditions dans lesquelles les détenus des camps étaient contraints de vivre constituent des actes de « violence physique ». 787. La Chambre de première instance a déjà constaté que les prisonniers des camps d’Omarska, de Keraterm et de Trnopolje étaient détenus dans des conditions inhumaines 1473 et soumis à des agressions physiques et verbales1474. Plusieurs témoins ont déclaré que non seulement les détenus étaient contraints de vivre dans des conditions effroyables mais qu’au cours de leur détention, ils avaient été, à diverses reprises et plus particulièrement pendant les séances de sévices, injuriés, insultés et traités d’oustachis, de balija ou de Bérets verts1475. De nombreux détenus ont été physiquement agressés et battus dans les camps1476. 788. Ainsi, Muharem Murselovic a déclaré qu’un jour au camp d’Omarska, il avait été frappé dans les toilettes du hangar. Des gardiens ont enfoncé la porte et lui ont dit : « Toi, t’es un balija, un Turc. » Puis, ils se sont mis à le frapper. Le témoin a eu des côtes cassées1477. 789. Un autre exemple révélateur de la violence physique dont les non-Serbes ont été victimes a été fourni par le docteur Merdzanic qui, après l’attaque de Kozarac, a tenté d’organiser l’évacuation de deux enfants blessés, dont l’un souffrait de multiples fractures aux jambes. Le docteur Merdzanic n’a pas été autorisé à les évacuer ; on lui a dit en revanche que tous les balija devraient mourir là puisque de toute manière, ils seraient tués1478. 790. La Chambre de première instance conclut que les conditions de vie inhumaines constitutives d’un traitement cruel et inhumain infligé aux détenus non serbes ont été maintenues par leurs auteurs directs avec l’intention de causer de grandes souffrances physiques aux victimes et d’attenter à leur dignité humaine. Les auteurs directs ont infligé ces souffrances physiques parce que leurs victimes n’étaient pas serbes. La Chambre de première instance est convaincue que ces actes de violence physique sont assimilables à des crimes contre l’humanité1479. 791. La Chambre de première instance constate que des viols ont été commis dans le camp de Trnopolje1480. À présent, elle tient à examiner en détail un cas précis de viol, celui qui aurait été commis sur la personne du témoin Q, et dans lequel l’intention discriminatoire de l’auteur direct a joué un rôle important. La Chambre de première instance se trouve en présence de deux versions contradictoires de ce viol : la première est le récit qu’en a fait le témoin Q elle-même, la seconde est la déclaration faite par le violeur présumé, également entendu comme témoin en l’espèce, et qui a nié les faits. 792. Le témoin Q a été arrêtée vers le 26 juillet 1992 et emmenée au camp de Trnopolje où elle est restée jusqu’au 4 septembre 1992. Après neuf jours passés dans le camp, elle a appris que le commandant voulait la voir. Elle a été conduite auprès de Slobodan Kuruzovic, qu’elle connaissait parce qu’il avait été le professeur de son frère. Il a commencé à l’interroger et lui a dit qu’elle devait emménager chez lui. Elle est retournée chercher ses enfants puis s’est installée chez Kuruzovic1481. 793. Le témoin Q a déclaré que la première nuit, Kuruzovic était entré, arborant des lunettes de soleil. Il a enlevé sa chemise et sorti son pistolet. Il s’est assis, en maillot de corps, et a dit au témoin Q : « Allez, debout, embrasse-moi. » Le témoin Q a baissé les yeux et a refusé de s’exécuter. Il l’a saisi au visage et lui a ordonné d’enlever ses vêtements. Il a dit : « Je veux voir comment baisent les femmes musulmanes. » Il s’est entièrement déshabillé et lui a ordonné de faire de même. Il s’est mis à lui arracher sa chemise et le témoin Q a dit : « Vous feriez mieux de me tuer. » Il a répondu : « Je ne vais pas tuer une jolie femme comme toi. » Elle lui a demandé de lui épargner cela. Il l’a embrassée et s’est mis à la mordre et à la frapper. Elle a hurlé et il a dit : « Inutile de crier. Personne ici ne peut venir à ton secours. » Il a sorti son pénis, le lui a mis dans la bouche puis l’a violée. Elle a crié mais il a dit : « Il vaut mieux pour toi que tu te tiennes tranquille, ou tous les soldats qui sont dehors viendront chacun à leur tour ». Le témoin Q était dans l’impossibilité de résister. Slobodan Kuruzovic l’a violée et a éjaculé en elle. Puis il est parti en disant : « À demain. » Le témoin Q a pu trouver des vêtements dans la maison pour remplacer les siens, qui étaient en loques1482. 794. Kuruzovic est retourné voir le témoin Q la nuit suivante et lui a demandé : « Qui t’a fait ça ? » « Un imbécile », a répondu le témoin, et Kuruzovic s’est mis à rire. Cette nuit-là, il l’a insultée et lui a dit : « Tu sais ce que les Musulmans font à nos femmes. » Brandissant son couteau, il a recommencé à violer le témoin. Elle a crié et l’a saisi à la gorge, manquant de l’étrangler. Il l’a poignardée à l’épaule gauche puis il l’a violée. Il est parti en disant : « À demain, ma chérie 1483. » Le témoin Q a déclaré qu’elle souffrait encore de sa blessure à l’épaule gauche et qu’elle ne pouvait pas garder longtemps la main tendue au-dessus de son épaule1484. 795. Lorsque Kuruzovic est retourné voir le témoin une troisième fois, elle l’a supplié de relâcher son frère, qui se trouvait également dans le camp. Elle voulait se donner la mort et confier à son frère le soin de s’occuper de ses enfants. Le lendemain, le frère du témoin Q a été amené dans la maison, et à peine a-t-il vu sa sœur qu’il s’est mis à pleurer. Il lui a dit qu’il savait ce qui lui était arrivé 1485. Kuruzovic est encore revenu la nuit suivante. Il a déshabillé le témoin et l’a projetée au sol. Elle n’a opposé aucune résistance. Lorsqu’il l’a violée cette nuit-là, elle était tenaillée par la douleur. Pendant son séjour dans cette maison, il n’y a eu que deux nuits où Kuruzovic n’est pas venu la voir1486. 796. La Chambre avait émis des réserves quant à l’exactitude du récit fait par le témoin Q, car elle avait mentionné un détail qui ne semblait pas très crédible. En effet, elle a déclaré à la Chambre que la première nuit, Kuruzovic avait déchiré ses vêtements à l’aide d’un couteau et qu’elle avait trouvé d’autres vêtements dans la maison pour les remplacer. Cependant, elle a déclaré que la scène s’était répétée les nuits suivantes. La Chambre de première instance a du mal à croire qu’elle ait eu autant de vêtements à sa disposition pendant sa détention. 797. Interrogé par l’Accusation au sujet des personnes installées dans la maison qu’il utilisait, Kuruzovic a d’abord déclaré qu’il n’y avait pas habité, si ce n’est quelques jours pour regarder la télévision quand personne n’était là. Il a ensuite fourni une liste de diverses personnes qui avaient séjourné dans la maison et s’est souvenu notamment d’un groupe de Brdo, de Hambarine, où se trouvait l’une de ses étudiantes, une jeune fille accompagnée de sa mère et de quelques autres enfants 1487. 798. Quand on lui a demandé pourquoi, parmi les milliers de personnes présentes dans le camp, il avait choisi d’installer précisément cette jeune fille dans la maison, Kuruzovic est revenu sur sa déclaration précédente et a affirmé qu’il ne s’agissait pas d’une jeune fille, mais d’une femme d’environ 30-35 ans qui y demeurait avec sa mère et ses sœurs. Il n’était pas en mesure d’expliquer pourquoi il l’avait installée dans la maison. Il voulait convaincre la Chambre de première instance qu’elle lui avait demandé la permission d’y loger parce qu’il avait été son professeur 1488. 799. Lorsqu’on lui a montré une photographie du témoin Q, Kuruzovic a déclaré qu’il ne se souvenait pas d’elle : « Je ne crois pas... il s’agit là d’une personne un peu plus âgée. » Lorsqu’on lui a demandé si elle ressemblait, même avec dix ans de plus, à l’étudiante dont il parlait, il a répondu : « Elle semble un peu plus forte. Peut-être qu’elle a pris du poids1489. » 800. Slobodan Kuruzovic a pu voir l’enregistrement vidéo de la déposition du témoin Q. À la fin de la cassette, passant outre aux recommandations qui lui avaient été faites et sans qu’aucune question ne lui ait été posée, il a fait une longue déclaration 1490. Il a clamé son innocence et s’est montré surpris et indigné d’être accusé d’un tel acte. Il a tenté d’en rejeter la responsabilité sur d’autres (« Peut-être que c’est l’un des Musulmans qui a fait ça ») ou sur le témoin Q elle-même (« Est-ce qu’elle cherche à dénigrer le peuple serbe en tant que tel ? [...] Elle a simplement saisi l’occasion, ou peut-être était -elle de connivence avec son frère. »). Slobodan Kuruzovic a déclaré à la Chambre de première instance qu’il n’avait nul besoin d’en venir à de telles extrémités parce qu’il était « plutôt bel homme ». Il a ajouté que le récit du témoin Q était invraisemblable, que tous les gens dans le coin l’auraient su, qu’elle n’avait logé dans la maison que pendant quelques jours et qu’il ne lui aurait pas été possible de quitter le camp avec ses blessures (« On ne peut pas les faire disparaître en quelques jours. Ce sont des blessures graves. »). Il a souligné que ces blessures n’auraient pas pu être dissimulées. 801. Après avoir écouté les dénégations et les contradictions de Slobodan Kuruzovic, la Chambre de première instance n’a pas été convaincue par ses protestations d’innocence. La surprise et l’indignation qu’il affichait étaient feintes, car il était déjà au courant de l’accusation portée contre lui, ayant été interrogé à ce propos par le Bureau du Procureur à Banja Luka. 802. En outre, il a insisté sur l’impossibilité de dissimuler les conséquences du viol (les blessures du témoin Q). Or, cette dernière a été détenue à Trnopolje pendant plus d’un mois (du 26 juillet au 4 septembre 1992) et personne n’était autorisé à pénétrer dans la maison où il avait installé son quartier général. Kuruzovic a formulé d’autres allégations qui ne sont absolument pas convaincantes, comme le fait qu’étant « plutôt bel homme », il n’avait pas besoin de faire violence à une femme. 803. Pour une femme, le viol constitue de loin le crime suprême, parfois pire encore que la mort, car il la couvre de honte. 804. En parler devant des inconnus, tels que les juges, les conseils des parties et toutes les autres personnes présentes dans le prétoire est, à n’en pas douter, difficile et éprouvant. Nul ne pouvait s’attendre à ce que le témoin Q soit calme et détachée. 805. La Chambre de première instance est parvenue à la conclusion que le récit répété de la façon dont le témoin Q avait été déshabillée traduisait son refus d’admettre qu’elle avait été déshabillée de force. Revivant toutes les nuits comme un cauchemar l’atteinte à sa dignité, le témoin Q a associé les détails du premier viol aux viols suivants. Son témoignage est fiable et la Chambre de première instance considère qu’il a été prouvé au-delà de tout doute raisonnable qu’elle avait été violée à de multiples reprises dans le camp de Trnopolje. 806. En conséquence, la Chambre de première instance est convaincue que des viols ont été commis dans le camp de Trnopolje avec une intention discriminatoire. La Chambre de première instance a déjà constaté que d’autres viols et violences sexuelles avaient été commis dans les camps de Keraterm et d’Omarska1491. Comme il a été dit plus haut, ces crimes ont été commis avec une intention discriminatoire. 807. La Chambre de première instance est convaincue au-delà de tout doute raisonnable que des milliers de non-Serbes détenus dans les camps d’Omarska, de Keraterm et de Trnopolje ont été soumis à une humiliation et une dégradation constantes. Plusieurs témoins musulmans et croates ont déclaré que non seulement les détenus étaient contraints de vivre dans les camps dans des conditions effroyables, qui étaient en elles-mêmes humiliantes et dégradantes ainsi qu’il a été établi, mais qu’au cours de leur détention, ils avaient été aussi, à plusieurs reprises, forcés de faire le salut serbe (trois doigts levés) et d’entonner des chants « tchetniks »1492. Ces chants étaient offensants et humiliants pour tous les non-Serbes1493. En outre, les détenus étaient injuriés, insultés et traités d’oustachis, de balija ou de Bérets verts. Un témoin a déclaré qu’au siège du SUP de Prijedor, les prisonniers étaient régulièrement menacés et insultés1494. 808. La Chambre de première instance est convaincue que ces crimes ont été commis par leurs auteurs directs avec l’intention de soumettre leurs victimes à un traitement humiliant et dégradant. La Chambre de première instance est également convaincue que ces actes constituent des crimes contre l’humanité1495.
809. La Chambre de première instance a déjà constaté qu’un grand nombre d’habitations et de locaux commerciaux avaient été pillés et détruits dans les quartiers des villes, les villages et les autres secteurs de la municipalité de Prijedor peuplés majoritairement de Musulmans et de Croates de Bosnie1496. 810. La Chambre de première instance est convaincue que ces actes constituent des crimes contre l’humanité1497.
811. La Chambre de première instance a déjà constaté que, dans un certain nombre de villages, les édifices religieux des Musulmans et des Croates de Bosnie avaient été détruits ou délibérément endommagés, tandis que les églises orthodoxes serbes étaient restées intactes1498. 812. Ainsi, un groupe de soldats et de policiers a fait sauter l’église catholique de Prijedor le 28 août 19921499. 813. La Chambre de première instance est convaincue que ces actes constituent des crimes contre l’humanité1500 et qu’ils ont été commis par leurs auteurs directs dans le but discriminatoire de détruire des édifices religieux non serbes. 814. L’« expulsion » sanctionnée par l’article 5 d) du Statut a déjà été établie au-delà de tout doute raisonnable1501. La Chambre de première instance est convaincue que l’expulsion de la population non serbe de la municipalité de Prijedor s’est poursuivie tout au long de la période couverte par l’Acte d’accusation. 815. Un exemple montre comment s’effectuaient ces expulsions. La Chambre de première instance a entendu le témoignage d’Edward Vulliamy, journaliste britannique, qui, le 17 août 1992, s’est joint à un important convoi de voitures, d’autocars et de camions transportant des non-Serbes et se dirigeant vers Travnik via Banja Luka et Skender Vakuf. Le convoi était escorté par des policiers armés et l’atmosphère gagnait en agressivité à mesure que le convoi progressait à travers les collines. Edward Vulliamy a déclaré : « Il y avait partout des camions, des gens qui faisaient le salut serbe à l’adresse de notre convoi, et qui crachaient et criaient. Puis nous sommes parvenus à un endroit appelé Vitovlje, et je me souviens de tous ces gens courant à travers les champs et les jardins du village, vociférant une phrase qui [m’a-t-on appris] signifiait : “Massacrez-les, massacrez-les.” Ils employaient un terme que je ne connais pas, parce que je ne parle pas cette langue [...], un terme censé s’appliquer à des animaux, et non à des êtres humains1502. » 816. Les auteurs directs de ces expulsions ont agi avec l’intention d’opérer une discrimination à l’encontre des non-Serbes. 817. La Chambre de première instance constate que l’Accusation a fait état d’un grand nombre d’actes de persécution qui ont été prouvés, et qui donnent une vue d’ensemble des persécutions. La Chambre de première instance estime que les violations d’autres droits en font partie intégrante mais n’exigent pas une analyse séparée. d) Milomir Stakic possédait la mens rea requise pour la persécution 818. Les constatations faites plus haut amènent la Chambre de première instance à conclure que divers crimes tels que des meurtres, des tortures, des violences physiques, des viols et des violences sexuelles ont été commis par leurs auteurs directs avec une intention discriminatoire. Fait crucial, ces crimes s’inscrivaient dans le cadre d’une campagne de persécutions dirigée, entre autres, par Milomir Stakic en tant que (co)auteur agissant derrière les auteurs directs. Il est pénalement responsable de tous ces crimes et il était pour chacun d’eux animé de l’intention discriminatoire, que ceux-ci aient été commis ou non avec une intention discriminatoire par leur auteur/acteur direct. 819. La Chambre de première instance est convaincue qu’une campagne de persécutions a été menée avec une intention d’exercer une discrimination à l’encontre de tous les non-Serbes ou de tous ceux qui n’adhéraient pas au plan susmentionné, plan conçu pour renforcer le contrôle et l’emprise serbes sur la municipalité de Prijedor. Les éléments de preuve présentés à la Chambre de première instance montrent incontestablement que les victimes des crimes examinés plus haut étaient des non-Serbes, des personnes qui leur étaient liées ou des sympathisants. La Chambre de première instance estime que cette campagne a débuté le 7 janvier 1992 avec la création de l’Assemblée autoproclamée des Serbes de la municipalité de Prijedor1503. La décision prise par cette Assemblée le 17 janvier 1992 d’adhérer à la RAK a conforté le projet de créer dans la municipalité un territoire dominé et contrôlé par les Serbes1504. La Chambre a déjà rappelé le premier des six objectifs stratégiques des dirigeants serbes de Bosnie en Bosnie -Herzégovine, définis par Radovan Karadzic, à savoir la séparation des Serbes d’avec « les deux autres communautés nationales », c’est-à-dire les Musulmans et les Croates de Bosnie, « la scission des États », une séparation d’avec « ceux qui sont nos ennemis », comme elle a rappelé les préparatifs et les actions entrepris pour réaliser ces objectifs dans la municipalité de Prijedor1505. 820. La Chambre de première instance a constaté précédemment que plus de 1 500 non -Serbes avaient été tués, et que le nombre des personnes arrêtées et détenues par les autorités serbes était bien plus important encore. 821. Dans les centres de détention, les Musulmans et les Croates étaient les seuls ou presque à être privés de leur liberté1506. Les détenus étaient tués, torturés, violés, soumis à des violences sexuelles, à d’autres formes de violence physique et à des humiliations et des dégradations constantes. Milomir Stakic lui-même a reconnu que les camps avaient été créés conformément à une décision des autorités civiles de Prijedor et a affirmé qu’ils étaient « une nécessité à ce moment-là1507 ». 822. En outre, la Chambre de première instance a déjà conclu qu’en sa qualité de plus haut représentant des autorités civiles, Milomir Stakic avait joué un rôle crucial dans l’action menée conjointement et de façon coordonnée par la police et l’armée au service du projet de création d’une municipalité serbe à Prijedor. 823. Milomir Stakic a donc été l’un des principaux acteurs de la campagne de persécutions. Ainsi, dans un entretien accordé à Kozarski Vjesnik le 26 juin 1992, l’Accusé est cité en ces termes : « Nous n’entendons pas faire subir aux Musulmans le traitement que les extrémistes musulmans ont infligé aux Serbes à Zenica, Konjic, Travnik, Jajce […] et en tous lieux où ils sont majoritaires dans la Bosnie d’Alija1508. » La Chambre de première instance estime que ces déclarations montrent que l’Accusé était au courant des conditions de vie auxquelles certains groupes ethniques soumettaient les Serbes dans d’autres parties de l’ex-Yougoslavie, que ce soit dans des camps de détention ou ailleurs. La Chambre de première instance rappelle également les déclarations faites par l’Accusé à la chaîne britannique Channel 4, dans lesquelles il indiquait qu’il était informé des décès par « le chef de service [...] le responsable à l’époque1509 », c’est-à-dire par Simo Drljaca, chef du SJB, que l’Accusé rencontrait quotidiennement. La Chambre de première instance ne peut que conclure, en conséquence, que l’Accusé savait parfaitement que des massacres étaient commis dans les camps de détention qu’il avait lui-même contribué à créer, et que les conditions de détention dans ces camps, dont il avait également connaissance, entraîneraient très vraisemblablement la mort de détenus, des tortures et d’autres formes de violences physiques et mentales à leur encontre. À cet égard, la Chambre de première instance souligne que le fait bien établi que des Serbes étaient détenus et maltraités dans d’autres parties de l’ex-Yougoslavie ne constitue pas un moyen de défense valable ni ne justifie le comportement criminel de Milomir Stakic. 824. En outre, la Chambre de première instance est convaincue au-delà de tout doute raisonnable que ces mêmes conclusions valent pour les massacres et autres actes de persécution commis par des membres de la police et de l’armée serbes lors de l’acheminement de détenus organisé par les autorités civiles de Prijedor. 825. Le 7 août 1992, Milomir Stakic a déclaré : « [...] nous sommes à présent dans une phase où les Serbes décident seuls des frontières de leur nouvel État. Ces frontières sont une fois encore en train d’être tracées par le sang des plus vaillants de nos fils. Nous avons été floués à plusieurs reprises dans le passé [...] car nos anciens amis, les Croates et les Musulmans, n’étaient nos amis que lorsqu’ils avaient besoin de justifier leurs errements passés. En conséquence, nous ne créerons plus d’État commun1510. » Une autre fois, Milomir Stakic a fait une remarque insultante et discriminatoire à l’endroit des Musulmans, disant qu’ils étaient « une création artificielle1511 . 826. La Chambre de première instance est convaincue au-delà de tout doute raisonnable qu’en 1992, à l’époque des faits, l’Accusé avait l’intention d’exercer une discrimination, pour des motifs politiques ou religieux, à l’encontre des non-Serbes, de leurs sympathisants et de ceux qui leur étaient liés dans la municipalité de Prijedor. La Chambre de première instance déclare en conséquence l’Accusé coupable en tant que coauteur des actes incriminés sous la qualification de persécutions et prouvés, un crime contre l’humanité sanctionné par l’article 5 h) du Statut. La Chambre de première instance rappelle que cette responsabilité pénale couvre non seulement les divers actes décrits précédemment pour lesquels la Chambre a également établi l’intention discriminatoire de l’auteur direct, mais aussi le caractère massif des autres actes décrits plus haut, pour lesquels l’intention discriminatoire de l’Accusé lui-même a été établie.
827. Les persécutions constituant le crime principal en l’espèce, la Chambre de première instance va maintenant, en épilogue, évoquer le sort particulier1512 de deux personnes qui ont été victimes de presque tous les crimes établis dans ce jugement.
828. Nermin Karagic est un Bosniaque. Il n’avait pas encore 18 ans lors du printemps et de l’été 1992. Il vivait à Rizvanovici, dans la région de Brdo, à moins de 4 km de Hambarine. Il n’était pas très instruit. Il travaillait aux champs avec son père et vendait sa production au marché de Prijedor1513. 829. Sa première expérience de la guerre, il l’a eue à Hambarine, lorsqu’il a entendu des coups de feu au poste de contrôle, puis le soir, lorsqu’il a entendu parler de l’ultimatum demandant de livrer Aziz Aliskovic et Sikiric, tenus pour responsables de ces tirs. Le lendemain à midi, échéance de l’ultimatum, des obus ont commencé à être tirés de tous côtés, du quartier d’Urije à Prijedor, de Topicko Brdo et de Karana. Nermin Karagic a tout vu1514. Peu après l’attaque du poste de contrôle de Hambarine, un véhicule blindé de transport de troupes a ouvert le feu et il s’est abrité. Un char d’assaut est ensuite arrivé et il l’a vu ouvrir le feu, tirant une vingtaine d’obus1515. 830. Il y avait un poste de contrôle musulman entre Rizvanovici et Tukovi. Nermin Karagic en était l’un des gardes. Il a dit qu’il devait y avoir là une dizaine d’hommes et un seul fusil, un M481516. Après l’attaque de Hambarine, Nermin Karagic a passé le plus clair de son temps à l’extérieur, avec la patrouille, dans le village. Il a dormi à la belle étoile à plusieurs reprises1517. 831. Une nuit qu’il ne peut dater avec précision, en juin ou juillet 1992, le bombardement du village de Rizvanovici a commencé1518. Le lendemain, lorsque des hommes en armes sont entrés dans Rizvanovici, il se trouvait à la carrière de Sljunkura. Les soldats portaient des uniformes militaires gris olive. Ils tiraient des coups de feu et lançaient des grenades à main. Nermin Karagic s’est enfui et a rejoint d’autres fugitifs sur une éminence d’où ils pouvaient voir toute la région de Prijedor1519. Par la suite, tout le monde a appelé cette opération le « nettoyage »1520. 832. Après le « nettoyage », Nermin Karagic a continué à travailler en se cachant dans la cave de son logement1521. Il a affirmé dans son témoignage que tous les habitants du village étaient musulmans, à l’exception d’un seul qui était croate. Il y avait également des réfugiés venant de Bosanska Dubica à cause de la guerre en Croatie. Cette ville avait également été bombardée et tous les réfugiés étaient musulmans1522. 833. Un homme dont il n’a pas pu préciser l’identité est venu un jour et a dit à ceux qui se cachaient qu’un groupe avait décidé de partir en direction de Bihac pour tenter de gagner un territoire libre. Trois cent personnes ou davantage sont parties à pied. Karagic n’a vu aucune femme dans ce groupe mais il y avait quelques enfants. Selon lui, les membres du groupe devaient avoir entre 4 et 9 fusils1523. 834. Ils ont marché à travers bois et collines découvertes. Ils ont fait halte dans un village appelé Kalavejo, dans la municipalité de Prijedor. À ce moment-là, il y a eu des coups de feu et ils ont commencé à fuir. Le groupe s’est dispersé. Nermin Karagic a rejoint un petit groupe de fugitifs avec son père. Ils ont couru jusqu’à un bois et ont entendu crier qu’ils étaient encerclés. Ils ont levé les mains et sont sortis du bois1524. 835. Ils ont été disposés en colonne et Karagic a compté qu’ils étaient 117. Ceux qui les ont capturés portaient des uniformes de la JNA et de la police de réserve. Ils leur ont dit de vider leurs poches. Ensuite, ils ont tiré des coups de feu en l’air. Ils ont découvert un pistolet sur l’un des prisonniers et ont menacé de lui trancher la gorge. Ils ont conduit les prisonniers en file indienne jusqu’à la route pour qu’un véhicule puisse les prendre. Une camionnette est venue et a fait plusieurs voyages1525. 836. Les prisonniers ont été emmenés au dom (centre culturel) de Miska Glava. Le secrétaire de la communauté locale y avait son bureau et l’immeuble était utilisé pour les manifestations et les réunions1526. 837. Les prisonniers ont été enfermés dans le café. Cent quatorze personnes ont été entassées dans une pièce grande comme la moitié de la salle d’audience II (50 m²). Ils ont passé trois jours et deux nuits au dom. Leurs noms et dates de naissance ont été consignés. Durant ces trois jours, leurs gardiens ne leur ont donné pour eux tous qu’un pain et un sachet de bonbons. La défense territoriale de Miska Glava était là, en uniforme gris olive de la JNA. 838. C’était l’été et la chaleur était indescriptible. Ils avaient soif. On leur a donné de l’eau mais il leur a fallu pour cela entonner des chants à la gloire de la grande Serbie1527. Ils étaient recroquevillés sur un sol carrelé, les genoux serrés contre la poitrine, entre leurs bras. 839. Des prisonniers étaient continuellement emmenés dehors pour être battus. On entendait des coups à l’étage. Le père de Nermin Karagic a été battu à l’extérieur et est revenu couvert de bleus. Nermin Karagic a demandé à son père ce qu’il devait dire si on l’emmenait dehors et il lui a répondu : « Dis-leur tout ce que tu sais. » Pendant un moment, les gardiens ont fait sortir les prisonniers en les appelant par leur nom, puis ils ont juste demandé des « volontaires ». Ces personnes ne sont jamais revenues1528. Nermin Karagic a vu que l’on battait Islam Hopovac, le frère de sa belle-sœur, et qu’on le faisait rouler comme une « roue de bicyclette »1529. 840. Un homme est venu, dont le fils aurait été tué à Rizvanovici. Il a demandé dix volontaires. Un autre homme en uniforme gris olive et gants noirs a pris trois hommes. Il avait un couteau et lorsqu’il est revenu, son couteau et ses gants étaient tachés de sang. Nermin Karagic s’est levé lorsque l’homme est venu demander dix volontaires, pensant qu’il valait mieux en finir. On lui a ordonné de s’asseoir. Lorsque les dix hommes sont sortis, les prisonniers ont entendu l’un deux être tué juste de l’autre côté de la porte, cela a fait un bruit comme si on écrasait sa tête. Douze hommes ont en fait quitté la pièce, dont un venant de Cazin et un de Visegrad. C’étaient des réfugiés. Aucun d’eux n’est revenu1530. 841. Après quelques jours passés au dom, il y a eu des bombardements et les geôliers ont paniqué. Les prisonniers ont été embarqués dans des autocars. Deux d’entre eux sont allés enterrer un cadavre avant de monter dans le car. Les autocars sont allés à Ljubija. Ils ont traversé le centre de la ville mais les prisonniers ont dû garder la tête baissée. Karagic a cependant vu que les rues grouillaient de soldats de la 6e brigade de la Krajina en tenue camouflée1531. 842. Le stade de Ljubija était bordé d’un côté par un mur1532. Les prisonniers ont reçu l’ordre de descendre des autocars et ont reçu un coup alors qu’ils entraient dans le stade en courant1533. Ils ont été disposés sur deux rangs1534. Karagic se rappelle qu’il y avait là un chef de bataillon, un soldat en uniforme gris olive et un policier (de la police militaire) portant une tenue camouflée avec une ceinture blanche. Il n’y avait qu’un seul homme en civil, un vojvoda, c’est-à-dire une sorte de chef1535. 843. Les prisonniers ont reçu l’ordre de se pencher en avant. Ils ont reçu des coups de pied sur le nez, entre les yeux ; le sang ruisselait sur le terrain. Ils se sont relevés et un homme, un Croate ou un Musulman, a été amené et les hommes en uniforme lui ont demandé de désigner ceux qui se trouvaient avec lui dans les bois. Il a désigné Ismet Avdic et Ferid Kadiric ou Kadic, dont le fils avait également été tué1536. Certains hommes ont été séparés du groupe et emmenés de l’autre côté de la clôture. Les autres prisonniers ont reçu l’ordre de ne pas regarder mais Nermin Karagic a vu l’homme à la ceinture blanche tirer à trois reprises sur l’un de ces hommes. Le vojvoda lui a dit de cesser de tirer pour ne pas attirer l’attention des habitants de la ville. 844. Les enfants ont été séparés du groupe et emmenés au vestiaire1537. Le chef de bataillon a demandé Mirza Mujadzic – il cherchait les personnes riches ou éminentes. Nermin Karagic a entendu que l’on battait son père. Les prisonniers ont dû placer leurs mains au sommet du mur. Un homme leur a piétiné les doigts tout en les forçant à entonner des chants à la gloire de la grande Serbie cependant qu’ils étaient frappés1538. 845. Nermin Karagic a reçu un coup dans le dos et est tombé. Tous les prisonniers étaient frappés. Nermin Karagic a vu tuer l’homme à côté de lui. Plus tard, il a transporté le corps décapité de cet homme. Il a pensé que c’était son père parce qu’il reconnaissait le chandail bleu clair qu’il portait mais il n’en est toujours pas certain à ce jour parce qu’il pouvait l’avoir prêté à quelqu’un1539. 846. Un prisonnier a dit que sa mère était serbe et on l’a séparé du groupe. Il est toujours en vie. Les prisonniers ont été battus pendant plusieurs heures. Beaucoup en sont morts1540. Ceux qui étaient encore en vie ont reçu l’ordre d’enlever les cadavres de les charger à l’arrière de l’autocar. Ensuite, ils ont dû monter dans le car. Nermin Karagic a gardé la tête baissée. Un autre homme, qui avait levé la tête, a été abattu. Les soldats les traitaient d’« Oustachi »1541. 847. Aucun autocar militaire n’a été utilisé. Nermin Karagic a entendu que le chauffeur était de Volar1542. Les prisonniers ont été emmenés dans un endroit appelé « Kipe »1543. On a demandé à trois volontaires de descendre. Ils ont probablement déchargé les cadavres. Ensuite, des rafales ont été tirées et on a dit aux prisonniers de descendre de l’autocar trois par trois1544. L’autocar était bondé, jusque dans le couloir central. Il y avait 50 sièges. À la fin, il ne restait que cinq ou six prisonniers. Quelqu’un a brisé une fenêtre. Un homme a sauté de l’autocar et a été abattu. Nermin Karagic a sauté pendant que le gardien changeait de chargeur. Il a couru et est tombé dans un trou à 50 ou 100 mètres de là. Deux autres, qui étaient parmi les cinq ou six derniers prisonniers dans l’autocar, sont passés en courant. Il est sorti de son trou et a couru1545. 848. Nermin Karagic n’a cessé de courir et de tomber. Ensuite, il s’est endormi ou évanoui. Il a été réveillé par le froid et était complètement désorienté. Il a crié : « Abattez-moi. Je n’en peux plus1546. » Il a couru dans les bois et quelqu’un a crié : « Pas un geste ! ». C’étaient deux Croates de Brisevo, en civil, qui lui ont montré le chemin de Carakovo. Il s’est retrouvé à Raljas Suljevica, une grande région avec beaucoup de hameaux1547. Son visage était méconnaissable. Un Croate lui a donné un peu de nourriture. Il voulait aller à Carakovo puis à Hambarine1548. 849. Le témoin est arrivé à Rakovcani, où il y avait quelques survivants, et on lui a donné un peu de nourriture, mais un soldat en uniforme gris olive l’a repéré et a pointé son fusil vers sa tête, puis a abattu un chien qui aboyait1549. Il a posé à Nermin Karagic des questions sur ses blessures puis, aidé d’un autre soldat, l’a emmené au centre communautaire de Rakovcani1550. Comme ses deux gardiens parlaient de carburant, il leur a dit qu’il en avait un peu, dissimulé chez lui, espérant pouvoir ainsi s’échapper d’une façon ou d’une autre. Ils l’ont fait monter sur un tracteur et l’ont emmené chez lui, à environ 1 km de là, sans jamais cesser de le tenir en joue1551. 850. Lorsqu’ils sont revenus au dom, les soldats lui ont enlevé sa ceinture, l’ont battu, lui ont passé la ceinture autour du cou et ont essayé de l’étrangler pendant que leur commandant était assis là, en train de lire un roman. Cet homme lui a dit de l’appeler commandant1552. Sur ce, ils l’ont emmené au café Bosna pour l’interroger. Un soldat ne cessait de lui piquer les reins avec son couteau en lui disant : « Regardez, la JNA a de quoi manger et vous refusez d’y servir. » Le commandant lui a demandé de faire le fossoyeur. On l’a emmené derrière la maison de Smail Karagic, où il y avait deux corps et six autres un peu plus loin, dont certains de femmes. Il a creusé une fosse1553. Il a dû supplier pour avoir de l’eau. Un soldat a tiré à côté de ses pieds pour le faire danser. Karagic lui a dit de viser la pelle, ce qu’il a fait, tirant toute une rafale. Nermin Karagic a détaché les cadavres et les a tirés dans la fosse1554. Quelqu’un avait taillé un morceau de bois en pointe pour en faire un pieu, l’a menacé et l’a frappé. Le commandant a trébuché et il en a profité pour s’enfuir. Ils ont lancé dans sa direction une grenade qui a explosé, le blessant au bras et à l’oreille. Il a couru jusqu’à la lisière du bois et s’est jeté dans un fossé. Les hommes sont passés en courant. Il s’est échappé dans la direction opposée, a trouvé une maison isolée mais n’a pas osé y rester. Il a été repéré une nouvelle fois et ils ont ouvert le feu, cette fois avec des balles traçantes, mais il leur a encore échappé 1555. 851. Nermin Karagic a fui pendant plusieurs jours. Il a eu le sentiment que les soldats le cherchaient dans la forêt et s’est caché dans un arbre1556. Après avoir traversé un cimetière en rampant, il a trouvé un trou que lui et son frère avaient creusé avant le nettoyage et a pleuré pour la première fois quand il a vu qu’il ne restait personne. Il est parti dans la direction qu’avait prise initialement le groupe après le nettoyage et a trouvé son frère avec un groupe de personnes. Ils sont restés ensemble jusqu’au 21 août1557. 852. Nermin Karagic a entendu dire qu’un convoi avait traversé Travnik et que tout s’était bien passé. Il a rejoint un convoi le 21 août 1992 à Tukovi. Il y avait beaucoup de gens avec toutes sortes d’uniformes sur la route de Tukovi, mais personne ne l’a arrêté1558. À Tukovi, ils ont été pris en charge par un camion à remorque. On l’a frappé avec un fusil mais ensuite des femmes l’ont caché. Ils se sont arrêtés à de nombreuses reprises pour prendre des gens à bord. Le chauffeur a ordonné à son frère de demander à tous de lui remettre leur argent. Plus tard, ils ont demandé tous les objets de valeur. Ils sont arrivés dans un village et plusieurs personnes ont été emmenées. Ensuite, ils sont arrivés à Smetovi. On a demandé à Nermin Karagic et à son frère de transporter sur une civière une personne qui avait été à Keraterm et dont le corps était décharné 1559. 853. Nermin Karagic a également déclaré dans son témoignage que les mosquées de Hambarine et de Rajkovac avaient été détruites lorsque le nettoyage avait commencé. Il a mentionné les massacres qui s’étaient produits dans d’autres villages et dont il avait entendu parler : plusieurs personnes avaient dû descendre d’un autocar à Dubica ; l’un de ses oncles avait été tué à Duratovici et un homme lui avait dit qu’il n’y avait pas beaucoup de survivants dans ce village. Un autre de ses oncles avait été tué derrière la maison de Munib Karagic1560. Il y avait vingt à trente cadavres près du magasin de Ferid1561. Lorsqu’il était en fuite, Nermin Karagic a vu des cadavres à Vodicno. Tous étaient des civils1562. 854. Après son arrivée à Smetovi, Nermin Karagic a servi durant deux mois dans l’armée de la BiH, puis est parti pour la Croatie1563. Un an et demi plus tard, des corps exhumés ont été amenés à Sanski Most et Nermin Karagic y a reconnu son père, Islam Hopovac et le cadavre à l’œil pendant. L’identification de son père a été confirmée par un test ADN1564. Outre son père, Nermin Karagic a perdu deux oncles, trois cousins du côté de son père et deux cousins du frère de sa mère1565. 855. Il est clair que Nermin Karagic souffre encore des traumatismes subis au cours de ces mésaventures. Il se peut qu’il confonde certains faits mais, pour l’essentiel, son histoire est claire. Il a été torturé, sévèrement brutalisé, maltraité, emprisonné, battu et traqué comme une bête sauvage lorsqu’il est parvenu à s’échapper. Il a assisté à la destruction de son village et d’autres hameaux et villages de la région. Il a vu détruire les édifices religieux symboles de sa foi. On lui a dit que tous les villages auparavant musulmans étaient désormais serbes. Il a été soumis à des actes dégradants et humiliants et vu tuer plusieurs personnes. 856. Même s’il savait que l’un des cadavres qu’il transportait était celui de son père, il n’a pas voulu l’admettre (« il pouvait avoir prêté [son chandail] à quelqu’un »). 857. Nermin Karagic n’était qu’un adolescent en 1992. Il n’était qu’un simple paysan qui travaillait et vivait avec sa famille et n’avait jamais imaginé qu’il puisse passer par de telles épreuves. Ses souffrances l’ont profondément marqué. 858. Il n’a jamais rencontré Milomir Stakic et ce dernier n’avait probablement jamais entendu parler de lui avant qu’il ne vienne déposer au procès, mais il est clair pour la Chambre de première instance que Karagic, et d’autres comme lui, ont été les victimes des persécutions généralisées dont la municipalité de Prijedor a été le théâtre à partir de la prise de pouvoir par les Serbes le 30 avril 1992 et des crimes qui ont suivi. Un des artisans de cette politique qui visait à faire de Prijedor une municipalité « purement serbe », Milomir Stakic doit être considéré comme responsable du destin tragique de Nermin Karagic.
859. En 1992, le témoin X était un jeune homme de 22 ans vivant à Biscani, un village majoritairement musulman de la région de Brdo, situé un peu au nord de Hambarine et des bois de Kurevo, où il vivait avec ses parents et sa sœur. 860. Bien qu’il ait été membre du parti communiste, où il avait été admis alors qu’il effectuait son service militaire obligatoire, il n’avait jamais pris une part active à la vie politique et n’avait adhéré à aucun des partis nationalistes créés dans les années 1990 parce qu’il avait été élevé dans l’idée qu’il n’y avait pas de différences entre toutes les ethnies de son pays1566. 861. Le 20 juillet 1992, le nettoyage ethnique de la région de Brdo a commencé1567. Des soldats sont venus au village et ont ordonné à tous les hommes de Biscani de se rassembler dans un café sur la route de Prijedor. Ayant, comme son père, obtempéré, le témoin X a pu voir du café les soldats nettoyer et piller le village, torturer et battre les prisonniers et en tuer certains. Le témoin X a donné le nom de cinq hommes qui ont ainsi été tués1568. 862. À un moment donné, un autocar de la compagnie Autotransport de Prijedor s’est arrêté devant le café et tous les prisonniers ont reçu l’ordre d’y monter. Ils ont été emmenés à Prijedor, où on leur a fait prendre un autre autocar pour aller d’abord à Omarska et ensuite à Trnopolje1569. En chemin, le témoin X a vu des morts le long de la route et des maisons en flammes dans les villages et les hameaux1570. Il a affirmé que personne ne s’était rendu [à Trnopolje] de son propre gré. C’étaient les soldats qui effectuaient le nettoyage qui décidaient de leur destination. 863. Le témoin X a décrit les conditions de détention au camp, qui étaient effroyables. Les détenus ne pouvaient pas se laver et les toilettes étaient dans un état repoussant. Il faisait chaud, il y avait des nuées de mouches et des détritus répandus partout dans le camp. Beaucoup étaient malades à cause de l’insalubrité ambiante1571. Lorsque le camp d’Omarska a été fermé, tous les détenus ont été transférés à Trnopolje1572. 864. Le 21 août 1992, quatre autocars ont emmené des détenus de Trnopolje, soi-disant en vue d’un échange à Travnik. Ils ont été rejoints plus tard par quatre autres autocars venant de Tukovi. Ils étaient escortés par huit camions, un véhicule de dépannage et des véhicules de la police de Prijedor1573. La route qui grimpait dans la montagne était très difficile et le convoi a progressé lentement jusqu’à un endroit où se trouvait une gorge ou un fossé énorme entre une route et une colline1574. Sur l’ordre du policier qui commandait l’escorte, la colonne s’est arrêtée et les détenus de deux des autocars ont reçu l’ordre de descendre et de marcher jusqu’au bord du précipice. Ils ont été forcés de s’agenouiller face à l’abîme, et le commandant, qui pourrait être Dragan Mrda, a dit : « Ici, nous échangeons les morts contre les morts1575. » 865. Le père du témoin X, qui était à genoux à côté de lui, l’a poussé dans le ravin lorsque les tirs ont commencé. Il a perdu connaissance et lorsqu’il est revenu à lui, il a vu de nombreux cadavres éparpillés au fond de la gorge et quelques hommes en uniforme tirant à bout portant sur certains de ceux qui étaient encore en vie. Il ne s’explique pas pourquoi il n’a pas été tué. Sa situation était de toute façon critique : il avait la cheville cassée1576 et ne pouvait marcher. Un autre survivant rencontré quelque temps après a tenté de l’aider à se déplacer à cloche-pied mais il était trop faible pour y parvenir. 866. Lorsqu’il s’est retrouvé seul à nouveau, il a tenté de traverser la rivière en rampant parce que le niveau d’eau était si bas qu’il ne pouvait se laisser flotter vers l’aval. Il a tenté, toute la journée du samedi et du dimanche, de s’éloigner autant que possible du lieu de l’exécution malgré son état pitoyable. Il a dormi dans un vieux moulin où il a été découvert par quelques soldats en uniforme de toile olive, qui l’ont aidé et emmené à Skender Vakuf, où il a reçu les premiers soins pour ses blessures1577. Il a ensuite été transféré dans un hôpital de Banja Luka, où on lui a amputé la jambe 15 cm sous le genou1578. Comme prisonnier, il a été brutalisé et torturé1579. 867. Ce jeune homme dont les épreuves ont été succinctement décrites est retourné dans sa ville natale quelques années après la guerre. Il a retrouvé sa maison détruite, sans portes, sans fenêtres, sans plafonds, avec des traces d’incendie1580. Il n’a pas pu terminer ses études. La pire de ses pertes est celle de son père. Il a dit : « Je n’ai plus jamais revu mon père, ni mort ni vivant… Je l’aimais et le respectais. Et il a disparu… Je me sentirais mieux si je pouvais un jour savoir où il repose et lui ériger un monument, simplement pour lui témoigner ma gratitude 1581. » 868. Le témoin X est maintenant marié et a deux enfants. Il a perdu une partie d’une jambe, sa jeunesse et sa carrière. Il a dû vivre comme un exilé, tentant de s’adapter à un nouvel environnement. Mais les phrases précitées résument la pire difficulté que rencontrent tous les survivants : oublier les disparus et les morts.
869. La question de savoir si un accusé peut être déclaré plusieurs fois coupable à raison d’un même comportement sous-jacent et, si oui, dans quelles circonstances (« cumul des déclarations de culpabilité ») a été abordée dans plusieurs décisions du Tribunal, en particulier dans les arrêts Celebici et Kunarac et consorts. Le cumul des déclarations de culpabilité n’est possible que si chacune des dispositions du Statut comporte un élément nettement distinct qui fait défaut dans l’autre1582. Un élément est nettement distinct s’il exige la preuve d’un fait que n’exigent pas les autres1583. S’il existe effectivement un élément nettement distinct, la déclaration de culpabilité doit se fonder sur la disposition la plus spécifique1584. Les conditions juridiques énoncées dans le chapeau des articles en question, conditions qui décrivent les circonstances dans lesquelles les infractions considérées ont été commises, sont autant d’éléments à prendre en compte dans l’application de ce critère1585. 870. Tout en s’estimant liée par les décisions de la Chambre d’appel, la Chambre de première instance penche pour une approche encore plus restrictive du cumul des déclarations de culpabilité. La règle serait alors que la Chambre use de son pouvoir discrétionnaire pour déclarer l’accusé coupable uniquement du crime qui rend compte le plus exactement et le plus complètement de l’ensemble de son comportement criminel. 871. L’analyse juridique qui suit est distincte de la question de la fixation de la peine. Lorsque la Chambre fixera la peine, elle tiendra compte, le cas échéant, du fait que Milomir Stakic est tenu responsable de différents chefs d’accusation à raison d’un même comportement sous-jacent. 872. Il est dit précédemment que la responsabilité pénale individuelle de Milomir Stakic a été établie pour les chefs suivants :
873. La Chambre s’étant fondée sur les mêmes faits sous-jacents – meurtres et déplacement forcé de la population – pour juger l’Accusé individuellement pénalement responsable de certains de ces chefs, il lui faut maintenant déterminer si le cumul des qualifications est possible eu égard au critère défini précédemment, au paragraphe 869. a) Crimes sanctionnés par les articles 3 et 5 du Statut 874. En ce qui concerne les crimes visés aux articles 3 et 5 du Statut, la Chambre fait observer que l’article 3 exige un lien étroit entre les actes de l’accusé et le conflit armé, alors que l’article 5 exige que les faits s’inscrivent dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique dirigée contre une population civile. Il y a donc bien un élément nettement distinct et le cumul des déclarations de culpabilité est dès lors possible pour les chefs d’accusation retenus sur la base des articles 3 et 5 du Statut. En effet, partant de l’idée que le Conseil de sécurité entendait qu’un accusé puisse être déclaré coupable de plusieurs crimes sur la base de différents articles du Statut1586, la Chambre d’appel a récemment affirmé, dans l’affaire Kunarac et consorts, qu’il était possible de prononcer des déclarations de culpabilité sur la base à la fois des articles 3 et 5 du Statut à raison des mêmes faits1587. b) Meurtre sanctionné par l’article 3 et assassinat sanctionné par l’article 5 du Statut 875. Sur la base de ce qui précède, la Chambre de première instance conclut qu’il est en principe possible de déclarer l’Accusé coupable à la fois de meurtre sur la base de l’article 3 (chef 5) et d’assassinat sur la base de l’article 5 du Statut (chef 3). c) Extermination et assassinat sanctionnés par l’article 5 du Statut 876. L’extermination sanctionnée par l’article 5 du Statut se distingue de l’assassinat, lui-même visé par ce même article, avant tout par son ampleur. Alors que même un meurtre isolé, commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique contre une population civile, peut être qualifié d’assassinat en tant que crime contre l’humanité, l’extermination exige la preuve qu’un nombre important de personnes ont été tuées (bien qu’aucun seuil n’ait été fixé dans l’absolu). De plus, l’extermination suppose l’intention d’anéantir un nombre important de personnes. Comme la Chambre de première instance l’a fait observer dans l’affaire Rutaganda, l'assassinat est le fait de donner la mort à une ou plusieurs personnes, cependant que l'extermination est un crime perpétré contre un groupe d'individus1588. L’extermination se distingue de l’assassinat par le fait qu’elle est dirigée contre un ensemble de personnes et que l’assassinat, lui, est dirigé contre des personnes distinctes pouvant être identifiées séparément. Dans le Jugement Akayesu, il a été jugé que, pris dans leur ensemble, les assassinats dont avaient été victimes des personnes nommément désignées constituaient une extermination et Akayesu a été déclaré coupable à la fois d’assassinat et d’extermination1589. Ces déclarations de culpabilité ont été confirmées en appel1590. En revanche, dans l’affaire Rutaganda, la Chambre de première instance a conclu que l’allégation sur laquelle se fondait l’accusation d’assassinat constituait elle-même une allégation d’extermination, dans la mesure où était visé un groupe de personnes, et que le cumul des déclarations de culpabilité n’était donc pas possible 1591. La question n’a pas été soulevée en appel. 877. L’Acte d’accusation dressé contre Milomir Stakic fait état d’une série d’assassinats elle-même à l’origine de l’accusation d’extermination. Un grand nombre de personnes présentées par l’Accusation comme des victimes d’assassinats sont nommément désignées dans l’annexe à l’Acte d’accusation, et une liste définitive des victimes d’assassinats identifiées à partir des témoignages est jointe au présent jugement1592. Par conséquent, la Chambre de première instance estime qu’afin de rendre compte de l’ensemble du comportement criminel dont l’Accusé a fait montre tant vis-à-vis des victimes prises isolément que des groupes importants de victimes, elle peut en principe déclarer l’Accusé coupable à la fois d’extermination et d’assassinat sur la base de l’article 5 du Statut. d) Extermination sanctionnée par l’article 5 et meurtre sanctionné par l’article 3 du Statut 878. Pour les raisons exposées aux paragraphes précédents, la Chambre de première instance juge bon de déclarer l’Accusé coupable à la fois d’extermination sur la base de l’article 5 et de meurtre sur la base de l’article 3 du Statut. e) Persécutions et autres crimes sanctionnés par l’article 5 du Statut 879. Si les mêmes faits sous-tendent les accusations de persécutions et de crime contre l’humanité autre que des persécutions portées sur la base de l’article 5 du Statut, les persécutions constitueront toujours le plus spécifique de ces crimes, dans la mesure où elles exigent la preuve d’un élément supplémentaire que n’exigent pas les autres crimes visés par cet article, à savoir la preuve d’une intention discriminatoire1593. Par conséquent, les conditions ne sont pas remplies pour que l’on puisse déclarer un accusé coupable de persécutions et de crimes autres que des persécutions sur la base de l’article 5 du Statut. Si les persécutions sont constituées en tous leurs éléments, il convient de ne prononcer de déclaration de culpabilité que pour elles. 880. La Chambre considère que les persécutions constituent le crime principal en l’espèce. Elle considère en effet que ce sont les persécutions (chef 6) qui rendent compte le mieux du comportement criminel de l’Accusé, notamment sous les qualifications de :
881. Vu ce qui précède, la Chambre ne prononcera pas sur la base de l’article 5 du Statut de déclarations de culpabilité distinctes pour les crimes d’assassinat et d’expulsion visés respectivement aux chefs 3 et 7. Elle déclarera l’Accusé simplement coupable de persécutions sous les qualifications i) d’assassinats1594, ii) de tortures, iii) de violences physiques, iv) de viols et violences sexuelles, v) d’humiliation et dégradation constantes, vi) de destruction, endommagement délibéré et pillage d’habitations et de locaux commerciaux, vii) de destruction ou endommagement délibéré d’édifices religieux et culturels, et viii) d’expulsions. 882. La Chambre de première instance déclare dès lors l’Accusé coupable de meurtre au sens de l’article 3 du Statut (chef 5), d’extermination au sens de l’article 5 du Statut (chef 4) et de persécutions au sens de l’article 5 du Statut (chef 6 ), sous les qualifications de1595 1) assassinat (chef 3), 2) tortures, violences physiques, viols, violences sexuelles, humiliation et dégradation constantes, destruction, endommagement délibéré et pillage d’habitations et de locaux commerciaux et destruction ou endommagement délibéré d’édifices religieux et culturels, et 3) expulsion (chef 7). 883. Étant donné que les chefs 3 et 7 sont inclus dans la déclaration de culpabilité prononcée pour le chef 6, la Chambre de première instance estime qu’elle ne peut acquitter l’Accusé de ces chefs.
884. Ni le Statut ni le Règlement de procédure et de preuve du Tribunal n’indiquent quelles peines appliquer pour les infractions relevant de sa compétence. La peine qui convient est laissée à l’appréciation de la Chambre de première instance, bien que le Statut et le Règlement fournissent tous deux des indications quant aux éléments à prendre en considération. 885. L’article 24 du Statut dispose :
886. L’article 101 du Règlement de procédure et de preuve dispose en outre :
887. Il est de jurisprudence constante au Tribunal que, conformément à l’article 24 1) du Statut et à l’article 101 B) iii) du Règlement, la Chambre de première instance doive s’inspirer de la grille générale des peines appliquée dans l’ex-RSFY lorsqu’elle fixe une peine. Cette pratique sera donc respectée, bien qu’en elle- même elle ne soit pas contraignante1596. 888. Les dispositions pertinentes de la législation interne en vigueur à l’époque des faits sont à rechercher dans le Code pénal de la République socialiste fédérative de Yougoslavie (le « Code pénal de la RSFY »)1597. 889. Le chapitre seize du Code pénal de la RSFY punissait les crimes contre l’humanité et le droit international, son article 142 1) donnant effet à la IVe Convention de Genève1598 et aux deux Protocoles additionnels1599. Aucune disposition ne sanctionnait spécifiquement les crimes contre l’humanité, même si l’article 141 traitait du génocide comme d’un crime contre l’humanité. Chacune de ces infractions était punie d’au moins cinq années d’emprisonnement ou de la peine de mort. Les juges avaient également le pouvoir de prononcer une peine de 20 années d’emprisonnement au lieu de la peine capitale1600. 890. La peine maximale que peut infliger le Tribunal est l’emprisonnement à vie1601. Tant les Nations Unies que le Conseil de l’Europe, ou d’autres organisations internationales, œuvrent à l’abolition complète de la peine de mort. En 1989, l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté le Deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort1602. Le Conseil de l’Europe exige de tous les pays candidats à l’adhésion qu’ils adoptent un moratoire sur la peine de mort, ce qui signifie en fait qu’en Europe, elle est presque entièrement abolie1603. Pour cette raison, la peine de mort ne peut plus être prononcée dans les États de l’ex-Yougoslavie1604 ; elle a été remplacée, comme peine maximale, par l’emprisonnement à vie, à moins qu’une peine maximale inférieure ne soit prévue. Lorsqu’il y a allègement des peines, c’est la peine la plus légère qui doit être appliquée. Cela signifie que si l’on appliquait aujourd’hui le Code pénal de la RSFY, la peine maximale serait l’emprisonnement à vie. La Chambre de première instance fait observer que dans de nombreux pays une condamnation à la réclusion à perpétuité peut être revue sous certaines conditions 1605.
891. L’Accusation soutient que si la Chambre de première instance n’est pas tenue de suivre les règles de droit internes concernant la fixation de la peine, il existe certains principes fondamentaux auxquels souscrivent plusieurs pays de common law et de droit romano-germanique, et qui constituent les « principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées » énoncés à l’article 38 du Statut de la Cour internationale de Justice1606. L’Accusation met en avant en particulier les principes de rétribution et de dissuasion, la gravité du crime, ainsi que les circonstances aggravantes et atténuantes1607. Elle affirme en outre que les peines prononcées par le Tribunal ont une troisième finalité, le rétablissement de la paix et de la sécurité en Bosnie-Herzégovine, dans la mesure où
892. Vu les arrêts Celebici et Aleksovski, l’Accusation considère que la gravité de l’infraction est « l’élément de loin le plus important » à prendre en compte pour fixer une peine1609. Elle estime que la gravité particulière des crimes en l’espèce justifie une peine particulièrement sévère1610. 893. L’Accusation affirme que la gravité des crimes reprochés se mesure aux douleurs et aux souffrances infligées aux victimes, et notamment à leur nombre, à leur « statut », aux conséquences sociales et économiques pour le groupe visé, ainsi qu’à la durée et à la répétition de ces crimes. Elle souligne en outre le « rôle prééminent et essentiel [joué par Milomir Stakic] dans la coordination de la campagne de nettoyage ethnique menée par l’armée, la police et les autorités civiles à Prijedor »1611. 894. L’Accusation soutient que la seule circonstance atténuante que la Chambre de première instance est tenue de prendre en considération est le « sérieux et l’étendue de la coopération que l’accusé a fournie au Procureur » pour reprendre les termes de l’article 101 B) ii) du Règlement, et qu’en l’espèce, il n’y a pas eu de coopération de cet ordre. Elle fait valoir qu’il n’y a pas d’autres circonstances atténuantes en l’espèce1612. Elle met en revanche en avant plusieurs circonstances aggravantes, sur lesquelles on reviendra1613. 895. L’Accusation recommande une peine d’emprisonnement à vie « par égard pour les victimes de ces crimes et pour affirmer clairement la détermination de la communauté internationale à dissuader quiconque de se livrer à un nettoyage ethnique1614 . 896. La Défense affirme catégoriquement que la Chambre de première instance devrait acquitter Milomir Stakic parce que cela concourrait à la dissuasion, sur le plan tant général qu’individuel, et parce que, lorsque Milomir Stakic retournera en Bosnie -Herzégovine, il redeviendra le citoyen productif et respectueux des lois et le parent affectueux et responsable qu’il était avant la guerre1615. Elle met en avant cependant des arguments concernant la fixation de la peine au cas où la Chambre de première instance déclarerait Milomir Stakic coupable1616. 897. Vu la jurisprudence du Tribunal, la Défense estime que la dissuasion et la rétribution doivent être les principes fondamentaux qui sous-tendent la condamnation. Elle rappelle à nouveau les dispositions pertinentes du Statut, du Règlement et du Code pénal de la RSFY et souligne que, pour déterminer la gravité de l’infraction, il faut tenir compte « des circonstances particulières de l’espèce, ainsi que de la forme et du degré de participation de l’Accusé1617 . 898. La Défense met en avant plusieurs circonstances atténuantes sur lesquelles la Chambre de première instance reviendra.
899. La culpabilité d’un accusé détermine la fourchette des peines applicables. Les autres fonctions et finalités de la peine ne peuvent jouer que dans le cadre de cette fourchette. 900. Dans ce cadre, il est universellement admis — et les jugements de ce Tribunal et du Tribunal pour le Rwanda sont là pour en témoigner — que la dissuasion et la rétribution sont des éléments généraux à prendre en considération dans la sentence 1618. La dissuasion individuelle et collective est une fonction primordiale et constitue l’un des objectifs essentiels de la peine. Tout aussi importante est la fonction de rétribution de la peine. Il ne s’agit pas ici d’assouvir un désir de vengeance mais d’exprimer l’horreur de la communauté internationale face à des crimes odieux comme ceux dont connaît le Tribunal1619. 901. La Chambre de première instance rappelle que le Tribunal international a été créé dans le but de mettre fin à l’impunité et de garantir un procès équitable aux auteurs présumés des crimes relevant de sa compétence. Le Tribunal a été créé en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies, en application du principe selon lequel la recherche de la vérité est une condition indispensable pour rétablir la paix. Le Tribunal a pour mission de condamner comme il convient des personnes qui, bien souvent, n’auraient jamais songé qu’un jour elles seraient traduites en justice. Si l’un des objectifs de la peine est la mise en œuvre du principe d’égalité devant la loi, un autre de ses objectifs est de dissuader à l’avenir des personnes placées dans des situations identiques de commettre des crimes. La dissuasion générale est donc largement un élément à prendre en considération en l’espèce. 902. Dans le cadre de la lutte contre les crimes internationaux, la dissuasion constitue une tentative d’intégrer ou de réintégrer dans la société des personnes qui se croyaient hors de portée du droit international pénal. Ces personnes doivent être avisées qu’à moins de respecter les normes universelles fondamentales du droit pénal, elles s’exposent non seulement à des poursuites, mais aussi à des sanctions de la part des tribunaux internationaux. Dans le droit pénal moderne, cette conception de la dissuasion générale s’analyse comme une dissuasion visant à intégrer les criminels en puissance dans la société planétaire1620. 903. La peine à infliger doit être à la mesure de la gravité des actes criminels de l’accusé, ce qui suppose la prise en compte des crimes sous-jacents ainsi que de la forme et du degré de participation de l’accusé1621. 904. La Chambre de première instance rappelle que si une circonstance particulière constitue un élément du crime considéré, elle ne peut être retenue également comme circonstance aggravante dans la mesure où il serait contraire à l’équité de la prendre plusieurs fois en considération. Par exemple, une intention discriminatoire ne peut constituer une circonstance aggravante dans le cas de persécutions car elle en est un des éléments constitutifs. Dans ce contexte, la Chambre de première instance fait observer que les actes de torture sont qualifiés de persécutions. Dans de tels cas, le fait que l’auteur direct ait infligé des douleurs ou des souffrances avec une volonté d’exercer une discrimination envers la victime ne peut entrer en ligne de compte dans la sentence, dans la mesure où il s’agit là d’un élément constitutif tant de la torture si elle se fonde sur la discrimination, que des persécutions.
905. Milomir Stakic a d’abord été mis en accusation avec Milan Kovacevic et Simo Drljaca, tous deux décédés depuis. Il faut souligner que la Chambre de première instance fixera la peine en fonction seulement du rôle particulier qu’a joué personnellement l’Accusé dans la perpétration des infractions, et que la responsabilité éventuelle des coaccusés décédés n’entrera pas en ligne de compte. 906. Milomir Stakic a joué un rôle essentiel dans la coordination de la campagne de persécutions menée par l’armée, la police et les autorités civiles à Prijedor. Sans vouloir répéter tout ce qu’elle a dit précédemment dans le présent jugement, la Chambre de première instance rappelle dans ce contexte que Milomir Stakic a joué un rôle important dans la planification et la coordination de la prise de pouvoir par la force le 30 avril 1992, qu’il fixait l’ordre du jour des réunions de la cellule de crise et présidait celles-ci, et qu’il a été l’un de ceux qui ont ordonné des attaques contre les non-Serbes. Avec les coauteurs, Milomir Stakic a créé les camps d’Omarska, de Keraterm et de Trnopolje, et organisé l’expulsion de la municipalité de Prijedor des non-Serbes dont les vies devaient être épargnées. Une campagne de persécutions à ce point généralisée, complexe et brutale n’aurait jamais pu être menée à bien sans le concours essentiel d’hommes politiques de premier plan tels que Milomir Stakic. Il est primordial que les responsables soient amenés à répondre des conséquences de leurs actes, et la Chambre de première instance tient compte de cet élément pour fixer la peine. 907. La Chambre de première instance considère que les actes de persécutions et d’extermination constituent l’essentiel du comportement criminel de Milomir Stakic. Les persécutions constituent par nature un crime très grave en raison de l’intention discriminatoire qui en est le trait distinctif. Tous les actes constitutifs de la campagne de persécutions sont graves en eux-mêmes et la Chambre de première instance a tenu compte de leur ampleur et de leur effet cumulé dans la municipalité de Prijedor, où plus de 1 500 personnes ont été tuées1622 et des dizaines de milliers déportées1623. 908. Le nombre important de meurtres a en partie été couvert par les déclarations de culpabilité prononcées pour les exterminations et les persécutions, et la Chambre de première instance tient compte du fait que Milomir Stakic a été jugé pénalement individuellement responsable de meurtres au sens de l’article 3 du Statut, d’assassinats au sens de l’article 5 du Statut (en tant qu’actes de persécution) et d’extermination à raison des mêmes actes sous-jacents. 909. À l’époque des faits, Milomir Stakic n’aurait certainement jamais imaginé qu’un jour il serait jugé, déclaré coupable puis condamné. Dans des affaires comme celle -ci mettant en cause le plus haut responsable d’une municipalité, la dissuasion générale est largement un élément à prendre en compte. 910. La gravité des crimes commis par Milomir Stakic se mesure à l’ampleur tragique des douleurs et des souffrances infligées aux victimes de cette campagne criminelle. Les circonstances à prendre en considération sont le nombre de victimes, les traumatismes physiques et psychologiques endurés par les survivants, et les conséquences sociales et économiques de cette campagne pour le groupe visé, les non-Serbes, habitants de la municipalité de Prijedor envers lesquels Milomir Stakic avait une responsabilité particulière.
911. Il a été établi que seules les circonstances directement en rapport avec la perpétration des infractions reprochées pouvaient être considérées comme aggravantes 1624. 912. La Chambre de première instance considère que la principale circonstance aggravante en l’espèce est la place de Milomir Stakic dans la hiérarchie. Si les dispositions des articles 24 du Statut et 101 du Règlement concernant la fixation de la peine n’établissent aucune distinction entre la responsabilité découlant de l’article 7 1) et celle procédant de l’article 7 3) du Statut, la Chambre de première instance réaffirme que, dans les cas où les circonstances de fait sont telles qu’une Chambre de première instance pourrait raisonnablement conclure que des actes précis pourraient satisfaire aux exigences des deux articles, la place de l’accusé dans la hiérarchie, si elle est prouvée au-delà de tout doute raisonnable, doit être retenue comme circonstance aggravante si une déclaration de culpabilité n’est prononcée que sur la base de l’article 7 1)1625. Cependant, l’incidence sur la peine est la même, que l’on conclue que les conditions sont remplies pour que l’accusé soit tenu responsable au regard de l’article 7 3) ou qu’il soit simplement prouvé qu’il a occupé de hautes fonctions. 913. Il est indéniable qu’en tant que Président de l’assemblée municipale, du conseil de défense populaire, de la cellule de crise du SDS et de la cellule de crise de la municipalité de Prijedor, Milomir Stakic exerçait de hautes fonctions et était la plus haute autorité au sein de la municipalité. Le fait que l’auteur des infractions soit aussi haut placé entraîne un alourdissement sensible de la peine. 914. Dans le droit fil de l’analyse juridique qu’elle fait au paragraphe 712 des formes de la responsabilité découlant de l’article 7 1) du Statut, la Chambre de première instance considère comme un deuxième facteur aggravant le fait que Milomir Stakic soit tenu responsable du crime d’expulsion pour l’avoir non seulement commis mais aussi planifié et ordonné. 915. Dans l’affaire Ntakirutimana, la Chambre de première instance a conclu, à propos de Gérard Ntakirutimana, qu’ « [i]l est choquant de noter que médecin, il a anéanti des vies humaines au lieu d’en sauver. La Chambre a par conséquent considéré qu’il avait failli à la mission dont il était investi en commettant les crimes dont il a été convaincu1626 . De même, dans l’affaire Kayishema et Ruzindana, le fait que Kayishema était un médecin cultivé qui avait manqué à la déontologie de la profession a été considéré comme une circonstance aggravante1627. La Chambre de première instance, suivant le Tribunal pour le Rwanda sur ce point, considère l’expérience de médecin de Milomir Stakic comme une circonstance aggravante, quoique sans grande importance. 916. La Chambre de première instance considère comme une circonstance aggravante le refus de Milomir Stakic d’aider certaines personnes qui se sont tournées vers lui, poussées par la détresse ou même le désespoir. Ainsi, Minka Cehajic a tenté à deux reprises de le joindre pour essayer de savoir où se trouvait son mari, Muhamed Cehajic. La première fois, en juin 1992, elle s’est adressée à une secrétaire, qui lui a dit que Milomir Stakic se trouvait à la cellule de crise et ne pouvait être joint. La deuxième fois, on lui a dit à nouveau que Milomir Stakic n’était pas là 1628. Elle a tenté de joindre Milomir Stakic et Milan Kovacevic plutôt que la police ou l’armée, pensant que le maire était responsable des habitants et que Milomir Stakic saurait ce qui était advenu de son prédécesseur1629. La Chambre de première instance est convaincue que Milomir Stakic a eu connaissance des démarches tentées par Minka Cehajic. Le témoin Z s’est également tourné vers son collègue Milomir Stakic, sachant qu’il était un homme influent, pour lui demander de l’aider à obtenir un certificat attestant qu’elle ne quittait Prijedor que temporairement. Elle a rencontré Milomir Stakic entre la fin juin et le 15 juillet 1992, dans son bureau à la mairie1630. Celui -ci lui a dit d’aller demander son certificat au SUP comme tout le monde, bien qu’il ait remarqué de sa fenêtre les files devant celui-ci1631. Elle s’est étonnée qu’il semble ne pas réaliser ce qui se passait et a compris que sa démarche était vaine1632. À la suite de ses conversations avec Vojo Kupresanin et Mgr Komarica, Ivo Atlija s’est rendu avec deux autres personnes à la municipalité de Prijedor et a demandé à voir Milomir Stakic, avec qui ils avaient rendez-vous1633. Celui-ci leur a dit que tout ce qu’il pouvait faire, c’était de faire en sorte qu’ils ne dorment plus dans les bois ou dans des maisons détruites, mais qu’il ne pouvait rien faire pour les aider à quitter Prijedor à cause des accusations de « nettoyage ethnique » dont il était l’objet1634. Atlija pense que Milomir Stakic a mentionné le village de Biscani mais sans dire pourquoi ce serait une bonne idée d’y aller1635. Ces exemples démontrent que Milomir Stakic était implacable, même lorsqu’il était sollicité par un collègue ou par l’épouse de son prédécesseur. 917. La Chambre de première instance fait observer que Milomir Stakic a été déclaré coupable de crimes qui se sont étalés sur une période relativement brève (d’avril à septembre 1992). Cela ne doit pas être considéré comme une circonstance atténuante, compte tenu de leur ampleur et de la longue phase de préparation et de planification qui constitue une circonstance aggravante. 918. La Chambre de première instance fait observer que, comme dans le cas de la criminalité en col blanc, celui qui tire les ficelles et ne se salit pas les mains pourrait mériter une peine plus sévère que l’auteur direct, compte tenu des circonstances particulières de l’espèce. 919. Contrairement à l’Accusation, la Chambre de première instance n’admet pas que l’absence d’une circonstance potentiellement atténuante telle que le remords puisse constituer une circonstance aggravante1636.
920. Les circonstances atténuantes doivent être établies sur la base de l’hypothèse la plus probable1637. Elles peuvent également inclure des circonstances sans rapport direct avec les infractions, telles que la coopération fournie au Procureur et la sincérité du remords exprimé. 921. La Chambre de première instance considère comme une circonstance atténuante le consentement de Milomir Stakic à la nomination d’un nouveau Juge, le 1er octobre 20021638. Ce consentement était à l’époque indispensable en toutes circonstances aux termes de l’article 15 bis du Règlement. Il a permis une poursuite des débats et évité de reprendre le procès depuis le début, ce qui était dans l’intérêt à la fois de la justice et de l’Accusé. 922. La Chambre de première instance considère comme une circonstance atténuante le comportement de Milomir Stakic envers certains témoins. Par exemple, le 27 juin 2002, il a donné instruction à son conseil de ne pas procéder au contre-interrogatoire de Nermin Karagic « étant donné les souffrances endurées par ce témoin et son état émotionnel perturbé1639 ». En outre, Milomir Stakic, bien que malade, a assisté à l’audience du 1er août 2002 pour que Nusret Sivac puisse être contre-interrogé et que le témoin W puisse déposer par voie de vidéoconférence1640. Il a ensuite donné pour instruction à sa Défense de ne pas procéder au contre-interrogatoire du témoin W1641. La Chambre de première instance note également que Milomir Stakic s’est comporté correctement durant son procès et sa détention au Quartier pénitentiaire des Nations Unies1642. 923. La « situation personnelle » de l’Accusé devrait être considérée comme une circonstance atténuante de même que sa situation familiale devrait en principe jouer dans le sens d’une atténuation de la peine1643. La Chambre de première instance tient également compte du jeune âge de Milomir Stakic à l’époque des faits et de la circonstance qu’il est marié et a deux jeunes enfants. 924. La Chambre de première instance conclut que les circonstances atténuantes n’ont pas suffisamment de poids pour modifier sensiblement la peine encourue.
925. L’article 24 2) du Statut et l’article 41 1) du Code pénal de la RSFY imposent au Tribunal de tenir compte de la situation personnelle de l’accusé, et notamment de sa personnalité. 926. La Chambre de première instance considère que le grand nombre de témoignages favorables à Milomir Stakic sur sa personnalité et sa situation familiale mérite qu’elle en tienne compte lorsqu’elle en vient à fixer sa peine. Cependant, elle ne leur accordera pas trop d’importance, étant donné la gravité des crimes commis 1644. 927. Certains témoins qui ont été directement en contact avec Milomir Stakic ou qui l’ont personnellement connu, dont de nombreux témoins de l’Accusation, ont fait état de sa modération1645 et de son naturel stable, calme et assuré1646. D’autres témoins l’ont peint comme quelqu’un de « poli1647 , « tolérant1648 », « travailleur 1649 », « intelligent1650 » et « modeste1651 ». Ses discours en public n’étaient perçus ni comme nationalistes ni comme partiaux1652. Il a toutefois laissé percer ses intentions et sentiments réels, par exemple lorsqu’il a parlé des Musulmans comme d’« une création artificielle1653 . Si certains témoins ont déclaré que Milomir Stakic était facile à manipuler1654, la Chambre de première instance est cependant convaincue qu’il était déterminé et résolu.
928. Comme il a été dit précédemment, le Statut, le Règlement et la jurisprudence du Tribunal ne donnent pas expressément d’échelle ou de fourchette des peines applicables aux crimes relevant de sa compétence. La décision est laissée dans chaque cas à l’appréciation de la Chambre de première instance et les indications fournies par les peines définitives prononcées dans les affaires jugées précédemment sont extrêmement limitées1655. 929. L’argument selon lequel, toutes choses étant égales par ailleurs, les crimes contre l’humanité devraient être plus lourdement sanctionnés que les crimes de guerre a été rejeté par les Chambres du Tribunal, qui ont réaffirmé que l’élément le plus important était non pas le classement objectif du crime commis mais sa gravité1656. 930. Dans l’Arrêt Tadic concernant les jugements relatifs à la sentence, la Chambre d’appel a jugé que les peines devaient rendre compte de l’importance relative du rôle de l’accusé dans le contexte plus large de l’ex-Yougoslavie1657. Toutefois, cela a été interprété comme
931. L’Accusation, à l’inverse de la Défense, n’établit aucune comparaison entre l’affaire Stakic et d’autres affaires jugées par le Tribunal. La Chambre de première instance considère le procès de Milomir Stakic comme unique en son genre. On ne peut le comparer avec aucune autre affaire jugée par le Tribunal, ni d’ailleurs par d’autres juridictions internes ou internationales sur le territoire de l’ex- Yougoslavie. 932. L’Accusation considère que la peine la plus juste est l’emprisonnement à vie1659. La Chambre de première instance fait observer que dans plusieurs pays, la peine minimale pour le meurtre d’une seule personne est l’emprisonnement à vie, alors que dans d’autres celui-ci est interdit par la constitution1660. Le Statut reflète cependant la politique des Nations Unies qui vise à abolir la peine de mort dans le monde et dispose que le Tribunal international ne peut prononcer, au plus, qu’une peine d’emprisonnement à vie. À ce propos, la Chambre de première instance tient à souligner que tant au niveau international que national, la peine maximale n’est pas réservée aux actes criminels les plus graves. 933. La Défense affirme qu’une peine d’emprisonnement du même ordre que celles infligées à Prcac, Kvocka, Krnojelac et Mucic, c’est-à-dire de cinq à neuf ans, répondrait aux objectifs de rétribution et de dissuasion, la culpabilité de ces derniers, responsables de prisons, étant plus grande que celle d’un homme politique local. La Chambre de première instance n’est pas de cet avis et estime au contraire que la place de Milomir Stakic dans la hiérarchie et l’ampleur des crimes dont il a été déclaré pénalement responsable situent sa responsabilité pénale à un autre niveau que celle d’un responsable de prison. La Défense affirme en outre que Biljana Plavsic et Steven Todorovic, condamnés respectivement à onze et dix ans d’emprisonnement, sont plus coupables que Milomir Stakic, étant donné la place éminente de Plavsic au sein de la direction des Serbes de Bosnie et la part active prise par Todorovic aux crimes commis, et que, par conséquent, Milomir Stakic devrait être moins sévèrement sanctionné. Cependant, il convient d’accorder à ces deux cas une place à part, dans la mesure où les aveux de culpabilité et les accords sur le plaidoyer y ont constitué des circonstances atténuantes importantes, parmi d’autres éléments inconnus de la présente Chambre de première instance. Toutefois, il ne faut pas se méprendre : le fait que Milomir Stakic n’a pas conclu d’accord sur le plaidoyer n’est pas considéré comme une circonstance aggravante.
934. L’article 87 C) du Règlement de procédure et de preuve dispose :
935. La Chambre de première instance considère que la peine qui s’impose est une peine unique sanctionnant l’ensemble du comportement criminel de l’accusé.
936. Pour fixer la peine appropriée, la Chambre de première instance tient compte de la gravité de l’infraction, du rôle de l’Accusé, des circonstances aggravantes et atténuantes, de la personnalité de l’Accusé et en particulier de sa relative jeunesse à la date de ce Jugement. 937. La Chambre de première instance tient à souligner que les articles 123 à 125 du Règlement, ainsi que la Directive pratique relative à l’appréciation des demandes de grâce, de commutation de la peine et de libération anticipée1661, ne sont pas affectés par le dispositif énoncé ci-après.
Nous, Juges du Tribunal international chargé de poursuivre les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991, créé par le Conseil de sécurité des Nations Unies conformément à la résolution 827 du 25 mai 1993, élus par l’Assemblée générale et compétents pour juger Milomir Stakic et prononcer la peine appropriée, PAR CES MOTIFS, DÉCIDONS : L’accusé Milomir Stakic est ACQUITTÉ des chefs suivants : Chef 1 : Génocide Chef 2 : Complicité dans le génocide Chef 8 : Autres actes inhumains (transferts forcés), un crime contre l’humanité
L’accusé Milomir Stakic est DÉCLARÉ COUPABLE des chefs suivants : Chef 4 : Extermination, un crime contre l’humanité Chef 5 : Meurtre, une violation des lois ou coutumes de la guerre Chef 6 : Persécutions, un crime contre l’humanité incluant le chef 3 : Assassinat, un crime contre l’humanité et le chef 7 : Expulsion, un crime contre l’humanité
Milomir Stakic est condamné à l’emprisonnement à vie.
La juridiction alors compétente (en application de l’article 104 du Règlement) réexamine la peine et, si elle le juge bon, suspend l’exécution de la peine d’emprisonnement à vie et accorde la libération anticipée, assortie, le cas échéant, d’une période de mise à l’épreuve, lorsque les conditions suivantes sont réunies : 1. Le condamné a purgé une période de 20 ans d’emprisonnement calculée, en application de l’article 101 C) du Règlement, à compter de la date à laquelle il a été arrêté pour être jugé ; le réexamen de la peine intervient au terme de cette période. 2. Une éventuelle décision de suspendre l’exécution de la peine doit reposer, entre autres, sur les éléments d’appréciation suivants :
3. Le consentement de Milomir Stakic à la suspension de l’exécution de sa peine est requis. 4. La juridiction compétente peut fixer, le cas échéant, la durée de la période de mise à l’épreuve. En cas de libération anticipée, et en application de l’article 101 C) du Règlement, Milomir Stakic a droit, à compter de la date du présent Jugement, à ce que la période de 2 ans, 4 mois et 8 jours calculée à compter de la date à laquelle il a été arrêté pour être jugé, soit décomptée de la durée de la peine. En vertu de l’article 103 C) du Règlement, Milomir Stakic reste sous la garde du Tribunal international jusqu’à ce que soient arrêtées les dispositions nécessaires à son transfert vers l’État dans lequel il purgera sa peine.
Fait en anglais et en français, la version en anglais faisant foi. Le Président de la Chambre de première instance ______________ ______________ ______________ Le 31 juillet 2003,
938. L’annexe au quatrième acte d’accusation modifié (l’« Annexe ») était intitulée « Victimes connues des meurtres énumérés aux paragraphes 44 et 47 ». La Chambre de première instance a elle-même répertorié les noms de toutes les personnes identifiées grâce aux éléments de preuve admis lors de la présentation des moyens de l’Accusation comme étant des victimes de l’un quelconque des crimes allégués dans l’acte d’accusation. 939. La Chambre de première instance estime que, pour les besoins d’un jugement au pénal, lorsqu’une personne i) a été exhumée et identifiée, ii) identifiée par un témoin oculaire comme victime d’un meurtre ou par un témoin comme disparue ou décédée, ou iii) est nommée dans un acte de décès délivré par un tribunal local, il existe des éléments de preuve suffisants pour conclure au-delà de tout doute raisonnable que la personne en question est décédée. Il s’ensuit toutefois que, s’agissant des personnes dont le nom figure à l’Annexe mais qui n’ont pas été identifiées grâce à l’un des moyens susvisés, la Chambre de première instance ne saurait être convaincue de leur décès1662. En conséquence, ces noms ont été rayés de la liste des victimes décédées. 940. Le 16 octobre 2002, l’Accusation a demandé le remplacement de l’Annexe par la liste révisée établie par la Chambre. Celle-ci considère que, pour remplir sa mission qui est de favoriser la paix et la réconciliation en ex-Yougoslavie, le mieux est d’établir, sur la base des éléments de preuve présentés, un répertoire complet et précis des victimes des crimes commis à Prijedor en 1992. C’est dans cet esprit que la Chambre a fait droit à la requête de l’Accusation et qu’elle présente ci-après une « Liste des victimes dont le nom est connu ». La Chambre a supprimé le nom des personnes dont le décès reste à prouver1663. Il ne faut pas y voir l’expression d’un doute quant au sort de ceux et celles dont le nom figure dans le « Registre des disparus de Prijedor1664 . Elle indique seulement qu’il n’est pas établi au-delà de tout doute raisonnable que Stakic puisse être tenu pour pénalement responsable de la mort ou de la disparition des personnes dont le nom ne figure pas ci-après.
Abdic, Fikret
941. Le 13 mars 1997, le Juge Elizabeth Odio Benito a confirmé l’acte d’accusation initial établi contre Simo Drljaca, Milan Kovacevic et Milomir Stakic1665. 942. Le 10 juillet 1997, Milan Kovacevic a été arrêté à Prijedor et transféré à La Haye. Le même jour, Simo Drljaca a trouvé la mort alors qu’il opposait une résistance aux personnes venues l’arrêter. Le Procureur a, en conséquence, modifié l’acte d’accusation en supprimant le nom du coaccusé décédé, Simo Drljaca1666. 943. Le procès de Milan Kovacevic, en tant que seul accusé, s’est ouvert le 6 juillet 1998. Le 4 août 1998, la Chambre de première instance a reçu le rapport du médecin ayant constaté la mort naturelle de l’accusé1667. Le 24 août 1998, la Chambre a rendu une ordonnance mettant fin à la procédure contre Milan Kovacevic1668. 944. Milomir Stakic a été arrêté à Belgrade le 23 mars 2001 et transféré le jour même au Quartier pénitentiaire des Nations Unies.
945. Lors de sa comparution initiale le 28 mars 2001, Milomir Stakic, assisté de Me Branko Lukic, a plaidé non coupable du chef de génocide. Par la suite, l’Accusé a plaidé non coupable de tous les autres chefs retenus dans le quatrième acte d’accusation modifié. 946. L’affaire Le Procureur c/ Milomir Stakic1669 a été initialement attribuée à la Chambre de première instance I le 27 mars 2001. Suite à l’élection en mars 2001 par l’Assemblée générale des Nations Unies de nouveaux juges dont le mandat devait débuter le 17 novembre 2001, l’affaire a été transférée le 23 novembre 2001 par le Président du Tribunal international pour l’ex -Yougoslavie à la Chambre de première instance II, composée des Juges Wolfgang Schomburg (Président), Florence Mumba et Carmel Agius. Le 28 novembre 2001, le Juge Wolfgang Schomburg a été désigné comme juge de la mise en état. 947. Le 10 août 2001, le Greffier a commis d’office Me Branko Lukic comme conseil de Milomir Stakic, à compter du 22 août 2001. Le 18 décembre 2001, Me John Ostojic a été commis d’office, en qualité de coconseil de l’accusé, avec effet rétroactif au 6 décembre 2001. 948. Immédiatement avant l’ouverture du procès et pendant toute la durée de celui -ci, l’Accusation a été représentée principalement par Mme Joanna Korner, Premier Substitut du Procureur, M. Nicholas Koumjian, Mme Ann Sutherland, M. Michael McVicker, M. Kapila Waidyaratne et M. Andrew Cayley. a) Historique des actes d’accusation jusqu’au quatrième acte d’accusation modifié 949. Dans l’acte d’accusation initial du 13 mars 1997, Simo Drljaca, Milan Kovacevic et Milomir Stakic avaient à répondre, à titre individuel et en tant que supérieurs hiérarchiques, de complicité de génocide — un crime sanctionné par l’article 4 du Statut — pour leur rôle présumé dans la création des camps d’Omarska, de Keraterm et de Trnopolje, situés dans la municipalité de Prijedor en République de Bosnie -Herzégovine, et dans les traitements infligés aux personnes détenues dans ces camps entre avril 1992 et janvier 1993. 950. À l’audience du 2 août 2001 consacrée à l’examen des requêtes, l’Accusation a demandé l’autorisation de modifier l’acte d’accusation en application de l’article 50 du Règlement. L’acte d’accusation modifié déposé le 6 août 2001 comptait au total 12 chefs d’accusation, dont celui de complicité de génocide, mettant en cause Milomir Stakic à la fois à titre individuel et en tant que supérieur hiérarchique. L’Accusation a affirmé que l’acte d’accusation ainsi remanié ne constituait pas un nouvel acte d’accusation, mais qu’il s’agissait bien d’une modification prévue par le Règlement. La Défense a rétorqué que l’ajout de 11 chefs d’accusation donnait naissance à un nouvel acte d’accusation et non pas simplement à une version étoffée de l’acte d’accusation initial. Elle a soutenu que l’acte d’accusation modifié se fondait sur des faits entièrement différents. La Chambre de première instance a jugé que les changements apportés correspondaient à une modification de l’acte d’accusation, et non à un nouvel acte d’accusation, et elle a autorisé les modifications demandées. 951. Le 5 octobre 2001, l’Accusation a déposé le deuxième acte d’accusation modifié qui comportait deux chefs d’accusation supplémentaires, des chefs d’actes inhumains. Le 19 octobre, la Défense a soulevé une exception préjudicielle en application de l’article 72 A) du Règlement. Elle s’opposait au deuxième acte d’accusation modifié au motif qu’il était trop imprécis pour permettre à l’accusé de préparer correctement sa défense, et qu’il portait de ce fait atteinte à son droit à un procès équitable, garanti par l’article 21 du Statut1670. Dans sa décision, la Chambre de première instance I (composée des Juges Almiro Rodrigues (Président), Fouad Riad et Patricia Wald) a ordonné au Procureur de remanier l’acte d’accusation1671, ce qui a donné lieu au dépôt d’un deuxième acte d’accusation (revu) le 27 novembre 2001. 952. Le 20 octobre 2001, la Défense a soulevé une exception préjudicielle d’incompétence et demandé le rejet du deuxième acte d’accusation modifié au motif que l’ONU avait outrepassé ses pouvoirs en créant le Tribunal, lequel, de surcroît, n’avait pas été établi dans les règles1672. Par la décision du 30 octobre 20011673, la Chambre de première instance I a rejeté la requête de la Défense au motif qu’elle ne soulevait aucune question qui n’ait déjà été tranchée par la Chambre d’appel dans l’« Arrêt relatif à l’appel de la défense [de l’accusé Dusko Tadic] concernant l’exception préjudicielle d’incompétence1674 . 953. Le 13 novembre 2001, la Défense a interjeté appel au motif que la Chambre de première instance avait commis une erreur d’appréciation en rejetant l’exception préjudicielle contestant la compétence du Tribunal, en général, et celle découlant de l’article 7 3) du Statut, en particulier1675. Un collège de juges de la Chambre d’appel, composé des Juges Güney (Président), Shahabuddeen et Gunawardana, a rejeté la demande d’autorisation d’interjeter appel au motif que le recours ne remplissait pas les conditions posées à l’article 72 D) du Règlement1676. 954. Le 16 janvier 2002, l’Accusation a déposé la version finale de son mémoire préalable au procès en application de l’article 65 ter E) i), puis en a déposé une autre, légèrement remaniée, le 5 avril 2002. La Défense a répondu en application de l’article 65 ter F) le 6 février 2003. 955. Le 28 février 2002, l’Accusation a présenté une nouvelle demande de modification de l’acte d’accusation dans un souci, cette fois, de rationalisation. Dans le troisième acte d’accusation modifié, le nombre des chefs a été réduit à huit tandis que la période considérée allait désormais du 30 avril 1992 au 30 septembre 1992 seulement. 956. Le 11 avril 2002, l’Accusation a déposé un quatrième acte d’accusation modifié comportant les mêmes chefs que le précédent mais présentant de légères variantes. 957. L’affaire a été jugée sur la base du quatrième acte d’accusation modifié. 958. Le juge de la mise en état de la Chambre de première instance I avait informé les parties que le procès s’ouvrirait le 25 février 2002. 959. À la conférence de mise en état du 18 janvier 2002, le nouveau juge de la mise en état de la Chambre de première instance II a informé les parties qu’« en raison de problèmes budgétaires, le Tribunal international n’a[vait] pas les moyens d’entamer un sixième procès » et a fixé la date d’ouverture du procès au 16 avril 2002 sous réserve d’une décision favorable sur le budget, prise le 15 mars au plus tard. 960. À la conférence du 14 février 2002, convoquée en application de l’article 65 ter I) du Règlement, le juge de la mise en état a informé les parties que la date d’ouverture du procès était provisoirement fixée au 16 avril 2002 et celles -ci ont indiqué qu’elles étaient prêtes à commencer à cette date. En conséquence, une ordonnance portant calendrier provisoire a été rendue le 19 février 2002 fixant la date d’ouverture du procès au 16 avril 2002. 961. Le budget du Tribunal international a été voté le 18 mars 2002, permettant ainsi l’ouverture du procès le 16 avril 2002 et les mesures nécessaires à cet effet ont été prises immédiatement. Le Président du Tribunal international a demandé au Secrétaire général de l’ONU de nommer, en application de l’article 13 ter 2) du Statut, deux juges ad litem pour siéger dans ce procès. 962. Le 20 mars 2002, l’Accusation a déposé une requête en application de l’article 73 du Règlement, demandant à la Chambre de reconsidérer la date d’ouverture du procès. Le 22 mars 2002, la Chambre de première instance a rejeté la demande, déclarant que « l’Accusation avait eu suffisamment de temps pour préparer son dossier dans la mesure où dès le 14 novembre 2001, il avait été annoncé que le procès s’ouvrirait le 23 février 2002, et que les parties avaient été dûment informées qu’elles devaient être prêtes pour cette date. » La Chambre a confirmé que le procès s’ouvrirait le 16 avril 2002. 963. La conférence préalable au procès dans l’affaire Le Procureur c/ Milomir Stakic, nºIT-97-24-T, convoquée en application de l’article 73 bis du Règlement, s’est tenue le 10 avril 2002 et le procès s’est ouvert le 16 avril 2002. 964. Le 10 avril 2002, le Président du Tribunal international a affecté au procès les Juges ad litem Mohamed Fassi Fihri et Volodymyr Vassylenko. c) Faits admis faisant l’objet d’un constat judiciaire et d’accords entre les parties 965. Pendant tout le procès, les parties ne sont parvenues à aucun accord sur les questions de droit et de fait, comme le prévoit notamment l’article 65 ter H) du Règlement. En dépit des efforts déployés par la Chambre, il n’a pas davantage été possible de les amener à conclure un accord sur le plaidoyer comme le prévoit l’article 62 ter ou à s’entendre sur toute autre solution consensuelle. 966. De même, les tentatives faites en vue de dresser le constat judiciaire de faits admis ou de parvenir à un accord entre les parties ont été vaines. d) Liens avec l’affaire Le Procureur c/ Brdanin et Talic1677 967. Le 8 janvier 2002, l’Accusation a, en application de l’article 20 1) du Statut et des articles 54 et 73 du Règlement, déposé une requête aux fins de joindre les audiences relatives aux moyens de preuve communs aux affaires Le Procureur c/ Brdanin et Talic et Le Procureur c/ Milomir Stakic1678. La date d’ouverture du procès Brdanin et Talic était fixée au 21 janvier 2001, et celle du procès Stakic l’était alors au 25 février 2002. La municipalité de Prijedor était, à l’époque des faits, l’une des seize municipalités sur lesquelles devaient porter les moyens de preuve présentés dans l’affaire Le Procureur c/ Brdanin et Talic. Il était prévu qu’environ vingt-cinq témoins déposent à la fois dans l’une et l’autre des affaires et que les déclarations d’une douzaine d’autres témoins soient versées au dossier en application de l’article 92 bis du Règlement. L’Accusation a affirmé que la jonction des audiences consacrées à l’audition de ces témoins permettrait, d’une part, une meilleure utilisation des moyens judiciaires et, d’autre part, dispenserait ces personnes de se rendre à deux reprises à La Haye. 968. Le conseil de Momir Talic a déposé une réponse à la requête, indiquant qu’il s’opposait à la jonction des audiences consacrées à l’audition de ces témoins au motif que cela retarderait l’ouverture du procès Brdanin et Talic1679. 969. Pour ces motifs, le 23 janvier 2002, la Chambre de première instance a rejeté la requête aux fins de jonction d’audiences1680. L’idée d’une audition des témoins par les six juges réunis a été immédiatement repoussée 1681.
970. Le procès Milomir Stakic s’est ouvert le 16 avril 2002. La présentation des moyens à charge a duré jusqu’au 27 septembre 2002. 971. Le 30 septembre 2002, à l’invitation de la Chambre de première instance, l’Accusation a reconnu qu’elle n’était pas parvenue à prouver quatre allégations spécifiques figurant dans le quatrième acte d’accusation modifié et qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments à charge pour justifier une déclaration de culpabilité pour ces faits 1682. L’Accusation ayant terminé la présentation des moyens à charge, le 1er octobre 2002, les juges de la Chambre de première instance ont, en audience publique, discuté avec les parties de questions de droit et de fait. Bien que cette procédure ne soit pas prévue par le Règlement, la Chambre de première instance l’a jugée recommandable puisqu’elle est tenue d’entendre les parties et que l’Accusation a droit à être entendue sur les parties de l’acte d’accusation que la Chambre peut être portée à rejeter d’office en application de l’article 98 bis du Règlement. Cet échange de vues avait en outre pour but de faciliter et d’accélérer le déroulement de l’ensemble de la procédure prévue à l’article 98 bis du Règlement, et de rationaliser la présentation des moyens afin de se concentrer sur les questions essentielles. 972. À l’issue de la présentation des moyens à charge, le 9 octobre 2002, l’Accusé a présenté une demande d’acquittement en application de l’article 98 bis du Règlement, en soutenant, pour l’essentiel, qu’il devrait être acquitté des chefs 1 et 2 du quatrième acte d’accusation modifié1683. 973. À l’audience du 16 octobre 2002, la réponse de l’Accusation à la demande d’acquittement n’ayant pas été traduite en B/C/S, a été lue et la transcription de l’interprétation a été versée au dossier afin de garantir que l’Accusé avait pris connaissance du contenu du document dans une langue qu’il comprenait1684. 974. La Décision relative à la demande d’acquittement déposée en application de l’article 98 bis du Règlement a été rendue le 31 octobre 2002. La Chambre de première instance a fait droit à la demande de Milomir Stakic dans la mesure où les accusations d’instigation formulées aux chefs 3 à 8 n’avaient pas été prouvées et elle l’a acquitté en conséquence. Le reste de la demande a été rejeté. La liste des victimes annexée à l’acte d’accusation a été mise à jour par la Chambre de première instance, avec l’accord des parties, sauf pour Donja et Gornja Ravska, en se fondant sur sa propre appréciation des faits à ce stade du procès. 975. À la fin de la présentation des moyens à charge, le Juge Fassi Fihri a eu des problèmes de santé. L’article 15 bis C) du Règlement prévoyait alors que si un juge ne pouvait continuer à siéger dans une affaire en cours, un autre juge pouvait être désigné, et il pouvait être ordonné soit un réexamen de l’affaire, soit une reprise du procès au point où il s’était arrêté. Toutefois, après le début de la présentation des moyens à charge, la poursuite du procès ne pouvait être ordonnée qu’avec le consentement de l’accusé. À l’audience du 1er octobre 2001, Milomir Stakic a consenti à ce qu’un juge soit désigné pour remplacer le Juge Fassi Fihri. 976. Le 31 octobre 2002, Mme le Juge Carmen Maria Argibay a été choisie pour remplacer le Juge Fassi Fihri à partir du 1er novembre 2002. 977. Le 16 octobre 2002, l’Accusation a, en application de l’article 73 A) du Règlement, déposé une requête demandant le report du début de la présentation des moyens à décharge initialement fixé au 18 novembre 20021685. Conformément à l’ordonnance portant calendrier du 23 octobre 2002 par laquelle était rejetée la demande de l’Accusation, la Défense a commencé à présenter ses moyens le 18 novembre 2002 et a terminé le 1er avril 2003. 978. Les parties ont accepté de faire une entorse à l’ordre de présentation prévu à l’article 86 du Règlement en prononçant leur réquisitoire et plaidoirie, respectivement, les 11 et 14 avril 2003, avant le dépôt de leurs mémoires en clôture. La réplique et la duplique ont été présentées toutes deux le 15 avril 2003. À l’invitation de la Chambre, les parties ont rempli un questionnaire dans lequel elles ont présenté leurs conclusions sur certains points de droit et de fait que la Chambre considérait comme essentiels. Les mémoires en clôture ont été déposés le 5 mai 2003. 979. Après le réquisitoire et la plaidoirie, l’Accusé a pris la parole en dernier le 15 avril 2003. 980. La Chambre a siégé pendant 150 jours : 80 jours ont été consacrés à la présentation des moyens à charge, 67 à la présentation des moyens de la Défense, et trois jours au réquisitoire et à la plaidoirie. Dans cette affaire, onze réunions se sont tenues mutatis mutandis en application de l’article 65 ter I) du Règlement, ainsi que deux audiences à huis clos en application de l’article 66 C) du Règlement.
ALEKSOVSKI Le Procureur c/ Zlatko Aleksovski, affaire n° IT-95-14/1-T, Jugement, 25 juin 1999 (« Jugement Aleksovski »). Le Procureur c/ Zlatko Aleksovski, affaire n° IT-95-14/1-A, Arrêt, 24 mars 2000 (« Arrêt Aleksovski »). BLASKIC Le Procureur c/ Tihomir Blaskic, affaire n° IT-95-14-AR108bis, Arrêt relatif à la requête de la République de Croatie aux fins d’examen de la décision de la Chambre de première instance II rendue le 18 juillet 1997, 29 octobre 1997 (« Arrêt Blaskic relatif à la requête de la République de Croatie »). Le Procureur c/ Tihomir Blaskic, affaire n° IT-95-14-T, Jugement, 3 mars 2000 (« Jugement Blaskic »). BRDJANIN ET TALIC Le Procureur c/ Radoslav Brdjanin et Momir Talic, affaire n° IT-99-36-PT, Décision relative à la forme du nouvel acte d’accusation modifié et à la requête de l’Accusation aux fins de modification dudit acte, 26 juin 2001 (« Décision Brdjanin et Talic relative à la forme du nouvel acte d’accusation modifié »). CELEBICI (A) Le Procureur c/ Zejnil Delalic, Zdravko Mucic alias « Pavo », Hazim Delic et Esad Landzo alias « Zenga », affaire n° IT-96-21-T, Jugement, 16 novembre 1998 (« Jugement Celebici »). Le Procureur c/ Zejnil Delalic, Zdravko Mucic (alias « Pavo »), Hazim Delic et Esad Landzo (alias « Zenga ») (« affaire Celebici »), affaire n° IT-96 -21-A, Arrêt, 20 février 2001 (« Arrêt Celebici »). Le Procureur c/ Zdravko Mucic, Hazim Delic et Esad Landzo, affaire n° IT- 96-21-Abis, Arrêt relatif à la sentence, 8 avril 2003 (« Arrêt Mucic et consorts relatif à la sentence »). CELEBICI (B) TROIS ACCUSÉS Le Procureur c/ Zdravko Mucic alias « Pavo », Hazim Delic et Esad Landzo alias « Zenga », affaire n° IT-96-21-Tbis-R117, Jugement relatif à la sentence, 9 octobre 2001 (« Jugement Mucic et consorts relatif à la sentence »). ERDEMOVIC Le Procureur c/ Drazen Erdemovic, affaire n° IT-96-22-T, Jugement portant condamnation, 29 novembre 1996 (« Jugement Erdemovic de 1996 portant condamnation »). Le Procureur c/ Drazen Erdemovic, affaire n° IT-96-22-A, Arrêt, 7 octobre 1997 (« Arrêt Erdemovic »). Le Procureur c/ Drazen Erdemovic, affaire n° IT-96-22-Tbis, Jugement portant condamnation, 5 mars 1998 (« Jugement Erdemovic de 1998 portant condamnation »). FURUNDZIJA Le Procureur c/ Anto Furundzija, affaire n° IT-95-17/1-T, Jugement, 10 décembre 1998 (« Jugement Furundzija »). Le Procureur c/ Anto Furundzija, affaire n° IT-95-17/1-A, Arrêt, 21 juillet 2000 (« Arrêt Furundzija »). GALIC Le Procureur c/ Stanislav Galic, affaire n° IT-98-29-AR73.2, Décision relative à l’appel interlocutoire interjeté en vertu de l’article 92 bis c) du Règlement, 7 juin 2002 (« Décision Galic relative à l’appel interlocutoire interjeté en vertu de l’article 92 bis c) du Règlement »). Le Procureur c/ Stanislav Galic, affaire n° IT-98-29-T, Décision relative à la demande d’acquittement de l’accusé Stanislav Galic, 3 octobre 2002 (« Décision Galic relative à la demande d’acquittement »). HADZIHASANOVIC ET CONSORTS Le Procureur c/ Enver Hadzihasanovic, Mehmed Alagic et Amir Kubura, affaire n° IT-01-47-PT, Décision relative à l’exception conjointe d’incompétence, 12 novembre 2002 (« Décision Hadzihasanovic et consorts relative à l’exception conjointe d’incompétence »). Le Procureur c/ Enver Hadzihasanovic, Mehmed Alagic et Amir Kubura, affaire n° IT-01-47-PT, Interlocutory Appeal on Decision on Joint Challenge to Jurisdiction, 27 novembre 2002. Le Procureur c/ Enver Hadzihasanovic, Mehmed Alagic et Amir Kubura, affaire n° IT-01-47-AR72, Décision relative à l’exception d’incompétence (responsabilité du supérieur hiérarchique), 16 juillet 2003 (« Décision Hadzihasanovic et consorts relative à l’exception d’incompétence »). JELISIC Le Procureur c/ Goran Jelisic, affaire n° IT-95-10-T, Jugement, 14 décembre 1999 (« Jugement Jelisic »). Le Procureur c/ Goran Jelisic, affaire n° IT-95-10-A, Arrêt, 5 juillet 2001 (« Arrêt Jelisic »). KORDIC ET CERKEZ Le Procureur c/ Dario Kordic et Mario Cerkez, affaire n° IT-95-14/2-T, Jugement, 26 février 2001 (« Jugement Kordic et Cerkez »). Le Procureur c/ Dario Kordic et Mario Cerkez, affaire n° IT-95-14/2-T, Décision relative aux demandes d’acquittement de la Défense, 6 avril 2000 (« Décision Kordic et Cerkez relative aux demandes d’acquittement de la Défense »). KRNOJELAC Le Procureur c/ Milorad Krnojelac, affaire n° IT-97-25-PT, Décision relative à la forme du deuxième acte d’accusation modifié, 11 mai 2000 (« Décision Krnojelac relative à la forme du deuxième acte d’accusation modifié »). Le Procureur c/ Milorad Krnojelac, affaire n° IT-97-25-T, Jugement, 15 mars 2002 (« Jugement Krnojelac »). KRSTIC Le Procureur c/ Radislav Krstic, affaire n° IT-98-33-T, Jugement, 2 août 2001 (« Jugement Krstic »). KUNARAC, KOVAC ET VUKOVIC Le Procureur c/ Dragoljub Kunarac, Radomir Kovac et Zoran Vukovic, affaire n° IT-96-23 & IT-96-23/1-T, Décision relative à la requête aux fins d’acquittement, 3 juillet 2000 (« Décision Kunarac et consorts relative à la requête aux fins d’acquittement »). Le Procureur c/ Dragoljub Kunarac, Radomir Kovac et Zoran Vukovic, affaire n° IT-96-23 & IT-96-23/1-T, Jugement, 22 février 2001 (« Jugement Kunarac et consorts »). Le Procureur c/ Dragoljub Kunarac, Radomir Kovac et Zoran Vukovic, affaire n° IT-96-23 & IT-96-23/1-A, Arrêt, 12 juin 2002 (« Arrêt Kunarac et consorts »). Z. KUPRESKIC, M. KUPRESKIC, V. KUPRESKIC, JOSIPOVIC, (PAPIC) ET SANTIC Le Procureur c/ Zoran Kupreskic, Mirjan Kupreskic, Vlatko Kupreskic, Drago Josipovic, Dragan Papic et Vladimir Santic alias « Vlado », affaire n° IT-95-16-T, Jugement, 14 janvier 2000 (« Jugement Kupreskic et consorts »). Le Procureur c/ Zoran Kupreskic, Mirjan Kupreskic, Vlatko Kupreskic, Drago Josipovic et Vladimir Santic, affaire n° IT-95-16-A, Arrêt, 23 octobre 2001 (« Arrêt Kupreskic et consorts »). KVOCKA, KOS, RADIC, ZIGIC et PRCAC Le Procureur c/ Miroslav Kvocka, Milojica Kos, Mlado Radic, Zoran Zigic et Dragoljub Prcac, affaire n° IT-98-30/1-T, Jugement, 2 novembre 2001 (« Jugement Kvocka et consorts »). MILUTINOVIC, SAINOVIC ET OJDANIC Le Procureur c/ Milan Milutinovic, Nikola Sainovic et Dragoljub Ojdanic, affaire n° IT-99-37-AR72, Arrêt relatif à l’exception préjudicielle d’incompétence soulevée par Dragoljub Ojdanic – entreprise criminelle commune, 21 mai 2003 (« Décision Ojdanic »). MRKSIC, SLIJVANCANIN ET RADIC Le Procureur c/ Mile Mrksic, Veselin Slijvancanin et Miroslav Radic, affaire n° IT-95-13-R61, Décision relative à la proposition du Procureur aux fins de demander à la République fédérale de Yougoslavie (Serbie et Monténégro) de se dessaisir en sa faveur de l’enquête et des procédures pénales engagées, 10 décembre 1998 (« Décision Mrksic et consorts relative à la proposition du Procureur »). NALETILIC ET MARTINOVIC Le Procureur c/ Mladen Naletilic et Vinko Martinovic, affaire n° IT-98-34 -T, Jugement, 31 mars 2003 (« Jugement Naletilic et Martinovic »). NIKOLIC Le Procureur c/ Dragan Nikolic, affaire n° IT-94-2-PT, « Décision relative à l’exception d’incompétence du Tribunal soulevée par la Défense », 9 octobre 2002 (« Décision Nikolic relative à l’exception d’incompétence soulevée par la Défense »). PLAVSIC Le Procureur c/ Biljana Plavsic, affaire n° IT-00-39&40/1, Jugement portant condamnation, 27 février 2003 (« Jugement Plavsic portant condamnation »). SIKIRICA, DOSEN ET KOLUNDZIJA Le Procureur c/ Dusko Sikirica, Damir Dosen et Dragan Kolundzija, affaire n° IT-95-8-T, Jugement relatif aux requêtes aux fins d’acquittement présentées par la Défense, 3 septembre 2001 (« Jugement Sikirica et consorts relatif aux requêtes aux fins d’acquittement présentées par la Défense »). Le Procureur c/ Dusko Sikirica, Damir Dosen et Dragan Kolundzija, affaire n° IT-95-8-S, Jugement portant condamnation, 13 novembre 2001 (« Jugement Sikirica et consorts portant condamnation »). B. SIMIC Le Procureur c/ Blagoje Simic, Miroslav Tadic et Simo Zaric, affaire n° IT -95-9-AR73.6 & IT-95-9-AR73.7, Décision relative aux appels interlocutoires interjetés par l’Accusation concernant l’utilisation de déclarations non admises en vertu de l’article 92 bis du Règlement pour contester la crédibilité d’un témoin et pour raviver ses souvenirs, 23 mai 2003 (« Décision Simic et consorts relative aux appels interlocutoires interjetés par l’Accusation concernant l’utilisation de déclarations »). M. SIMIC Le Procureur c/ Milan Simic, affaire n° IT-95-9/2-S, Jugement portant condamnation, 17 octobre 2002 (« Jugement Simic portant condamnation »). STAKIC Le Procureur c/ Milomir Stakic, affaire n° IT-97-24-T, Décision relative à la demande d’acquittement déposée en application de l’article 98 bis du Règlement (« Décision Stakic relative à la demande d’acquittement déposée en application de l’article 98 bis du Règlement »), 31 octobre 2002. TADIC Le Procureur c/ Dusko Tadic alias « Dule », affaire n° IT-94-1-T, Décision relative à l’exception préjudicielle d’incompétence soulevée par la Défense, 10 août 1995 (« Décision Tadic relative à la compétence »). Le Procureur c/ Dusko Tadic alias « Dule », affaire n° IT-94-1-AR72, Arrêt relatif à l’appel de la Défense concernant l’exception préjudicielle d’incompétence, 2 octobre 1995 (« Arrêt Tadic relatif à la compétence »). Le Procureur c/ Dusko Tadic alias « Dule », affaire n° IT-94-1-T, Jugement, 7 mai 1997 (« Jugement Tadic »). Le Procureur c/ Dusko Tadic alias « Dule », affaire n° IT-94-1-T, Jugement relatif à la sentence, 14 juillet 1997 (« Jugement Tadic relatif à la sentence de 1997 »). Le Procureur c/ Dusko Tadic, affaire n° IT-94-1-A, Arrêt, 15 juillet 1999 (« Arrêt Tadic »). Le Procureur c/ Dusko Tadic, affaire n° IT-94-1-Tbis-R117, Jugement relatif à la sentence, 11 novembre 1999 (« Jugement Tadic relatif à la sentence de 1999 »). Le Procureur c/ Dusko Tadic, affaire n° IT-94-1-A et IT-94-1-Abis, Arrêt concernant les jugements relatifs à la sentence, 26 janvier 2000 (« Arrêt Tadic concernant les jugements relatifs à la sentence »). Le Procureur c/ Dusko Tadic, affaire n° IT-94-1-R, Arrêt relatif à la demande en révision, 30 juillet 2002 (« Arrêt Tadic relatif à la demande en révision »). TODOROVIC Le Procureur c/ Stevan Todorovic, affaire n° IT-95-9/1-S, Jugement portant condamnation, 31 juillet 2001 (« Jugement Todorovic portant condamnation »). VASILJEVIC Le Procureur c/ Mitar Vasiljevic, affaire n° IT-98-32-T, Jugement, 29 novembre 2002 (« Jugement Vasiljevic »).
AKAYESU Le Procureur c/ Jean-Paul Akayesu, affaire n° ICTR-96-4-T, Jugement, 2 septembre 1998 (« Jugement Akayesu »). Le Procureur c/ Jean-Paul Akayesu, affaire n° ICTR-96-4-A, Arrêt, 1er juin 2001 (« Arrêt Akayesu »). BAGILISHEMA Le Procureur c/ Ignace Bagilishema, affaire n° ICTR-95-1A-T, Jugement, 7 juin 2001 (« Jugement Bagilishema »). Le Procureur c/ Ignace Bagilishema, affaire n° ICTR-95-1A-A, Arrêt, 3 juin 2002 (« Arrêt Bagilishema »). BARAYAGWIZA Le Procureur c/ Jean-Bosco Barayagwiza, affaire n° ICTR-97-19-AR72, Décision, 3 novembre 1999 (« Décision Barayagwiza »). KAMBANDA Le Procureur c/ Jean Kambanda, affaire n° ICTR-97-23-S, Jugement, 4 septembre 1998 (« Jugement et sentence Kambanda »). Le Procureur c/ Jean Kambanda, affaire n° ICTR-97-23-A, Arrêt, 19 octobre 2000 (« Arrêt Kambanda »). KAYISHEMA ET RUZINDANA Le Procureur c/ Clément Kayishema et Obed Ruzindana, affaire n° ICTR-95-1 -T, Jugement, 21 mai 1999 (« Jugement Kayishema et Ruzindana »). Le Procureur c/ Clément Kayishema et Obed Ruzindana, affaire n° ICTR-95-1 -A, Arrêt (Motifs), 1er juin 2001 (« Arrêt Kayishema et Ruzindana »). MUSEMA Le Procureur c/ Alfred Musema, affaire n° ICTR-96-13-T, Jugement et sentence, 27 janvier 2000 (« Jugement et sentence Musema »). Le Procureur c/ Alfred Musema, affaire n° ICTR-96-13-A, Arrêt, 16 novembre 2001 (« Arrêt Musema »). NIYITEGEKA Le Procureur c/ Eliézer Niyitegeka, affaire n° ICTR-96-14-T, Jugement et sentence, 16 mai 2003 (« Jugement et sentence Niyitegeka »). NTAKIRUTIMANA Le Procureur c/ Elizaphan et Gérard Ntakirutimana, affaire n° ICTR-96-10 & ICTR-96-17-T, Jugement et sentence, 21 février 2003 (« Jugement et sentence Ntakirutimana »). RUGGIU Le Procureur c/ Georges Ruggiu, affaire n° ICTR-97-32-I, Jugement et sentence, 1er juin 2000 (« Jugement et sentence Ruggiu »). RUTAGANDA Le Procureur c/ Georges Anderson Nderubumwe Rutaganda, affaire n° ICTR-96 -3-T, Jugement et sentence, 6 décembre 1999 (« Jugement et sentence Rutaganda »). Le Procureur c/ Georges Anderson Nderubumwe Rutaganda, affaire n° ICTR-96 -3-A, Arrêt, 26 mai 2003 (« Arrêt Rutaganda »). SEMANZA Le Procureur c/ Laurent Semanza, affaire n° ICTR-97-20-A, Décision, 31 mai 2000, (« Décision d’appel Semanza »). Le Procureur c/ Laurent Semanza, affaire n° ICTR-97-20-T, Jugement et sentence, 15 mai 2003 (« Jugement et sentence Semanza »). SERUSHAGO Le Procureur c/ Omar Serushago, affaire n° ICTR-98-39-S, Sentence, 5 février 1999 (« Sentence Serushago »).
MARQUES Le Procureur c/ Joni Marques et consorts (Los Palos), administration transitoire des Nations Unies au Timor oriental, affaire n° 09/2000, Jugement, 11 décembre 2001.
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En vertu de l’article 2 B) du Règlement, sous réserve des particularités propres à chacune des langues officielles du Tribunal, l’emploi du masculin et du singulier comprend le féminin et le pluriel et inversement.
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