Site Internet consacré à l’héritage du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie

Depuis la fermeture du TPIY le 31 décembre 2017, le Mécanisme alimente ce site Internet dans le cadre de sa mission visant à préserver et promouvoir l’héritage des Tribunaux pénaux internationaux.

 Consultez le site Internet du Mécanisme.

Le témoin DD

 

… mon plus jeune fils, ses petites mains […] comment peuvent-elles ne plus exister ? Le matin je me couvre les yeux pour ne pas voir les enfants aller à l’école.

 

 

Témoin DD, femme musulmane de Bosnie, raconte la perte de son mari et de ses deux fils lors du génocide de Srebrenica, en juillet1995. Elle a témoigné le 26 juillet 2000 au procès de Radislav Krstić.

 

 

Lire son histoire et son témoignage

En juillet 1995, le témoin DD était âgé de 41 ans et mère de quatre enfants, une fille et trois fils. Lorsque les Serbes de Bosnie ont lancé leur dernière offensive, elle vivait avec son mari et ses fils dans un village de l’enclave assiégée de Srebrenica, majoritairement peuplée de Musulmans, en Bosnie-Herzégovine orientale. Quand les obus sont tombés sur son village, elle s’est enfuie dans les bois avec sa famille, cherchant à trouver refuge dans des caves, où se trouvaient déjà un très grand nombre de personnes qui fuyaient l’attaque.

Alors que le soldat serbe l’emmenait, elle a entendu la voix de son fils pour la dernière fois.

Après avoir passé plusieurs jours dans les bois, le témoin DD s’est rendue avec sa famille dans la ville voisine de Srebrenica, où d’autres Musulmans de Bosnie qui avaient fui les villages voisins se trouvaient déjà en surnombre. Les combats faisaient rage autour d’eux, tandis que l’armée des Serbes de Bosnie poursuivait sa progression pour prendre la ville. On entendait des tirs en permanence. « Les bombes ont commencé à exploser, on avait l’impression que toute la terre était en feu » a-t-elle relaté.

Alors que les obus tombaient et que les Serbes étaient sur le point de prendre la ville, la plupart des hommes ont décidé de tenter de s’échapper par les bois qui entouraient la ville. Son mari et son fils aîné ont rejoint le groupe des hommes, et elle est restée avec ses deux plus jeunes enfants, âgées de neuf et 14 ans. « C'est à ce moment-là que j'ai dit pour la dernière fois à mon mari: "On ne se séparera jamais et advienne ce qui doit nous arriver " et il m’a dit de ne pas m’inquiéter ». Elle voyait son mari et son fils aîné pour la dernière fois.

Les forces serbes ont finalement pris la ville le 11 juillet 1995. Se sentant abandonnés et sans protection, les habitants de Srebrenica qui avaient survécu se sont dirigés vers Potočari, à quelques kilomètres au nord de la ville, où se trouvait la base du bataillon néerlandais de la FORPRONU. Le témoin DD a raconté que lorsqu’elle se dirigeait vers Potočari avec les autres réfugiés musulmans de Bosnie, les obus continuaient à tomber et elle entendait des tirs de différentes armes. Quand ils sont arrivés à Potočari, elle a vu un grand nombre de vieux camions et de bus. Elle a essayé de s’abriter sous les camions en raison de la chaleur étouffante du mois de juillet. Il faisait environ 37 degrés. Le témoin DD et ses deux jeunes fils ont passé deux nuits à Potočari, avec des milliers de réfugiés musulmans de Bosnie, notamment des femmes, des enfants et des personnes âgées ou handicapées. Les conditions de vie étaient déplorables. Il n’y avait presque pas de nourriture et d’eau. La situation à Potočari, a expliqué le témoin DD, ne cessait d’empirer. Au matin du 13 juillet 1995, ayant décidé de partir, elle a marché jusqu’aux camions que les Serbes utilisaient pour transporter les femmes, les enfants et les personnes âgées hors des territoires musulmans. Les hommes n’étaient pas autorisés à partir et étaient séparés du reste du groupe.

Les éxécuteurs serbes attachaient les mains de leurs victimes, Musulmans de Bosnie, avant de les abattre.
(Pièce à conviction P128/102, affaire Krstić)

Alors qu’ils faisaient la queue pour monter dans les camions, les enfants étaient nerveux et fatigués. Un ami qui avait essayé de trouver de l’eau pour le fils aîné du témoin DD est revenu en état de choc. Il avait peur. « Il a[vait] vu de toute part des hommes décapités, des cadavres, des morceaux de corps, il y en avait partout. Et là, mon enfant a commençé à se sentir mal de nouveau, il était sur le point de s’évanouir…»

En approchant du cordon qui entourait les bus, le témoin DD s’est sentie soulagée: « J'ai remercié Dieu encore une fois en disant: "On y est". Après avoir vu toutes ces séparations, après avoir vu tout ce qui c'était passé, j'ai remercié Dieu de m'avoir sauvé et d’avoir sauvé mes enfants ».

Alors qu’ils avançaient, le témoin DD a vu des soldats serbes qui se tenaient de chaque côté de la colonne des réfugiés, formant une sorte de couloir autour d’eux. Un peu plus loin, a-t-elle raconté, « j'ai entendu quelqu'un qui disait: "Popović, fais attention à celui-ci" ». Un soldat indiquait son fils de 14 ans. Le soldat a ordonné à son fils de sortir de la colonne, de quitter le reste de sa famille. Le jeune garçon a essayé de résister, disant qu’il était trop jeune pour aller avec les hommes: « Je l'ai pris et je continuais de répéter ce qu'il disait. Il criait en effet,: "Vous n'avez pas besoin de moi, je ne suis né qu'en 1981", mais le soldat a répété son ordre », et a jeté le sac de son fils sur une pile d’affaires à proximité. Alors que le soldat serbe l’emmenait, elle a entendu la voix de son fils pour la dernière fois. Il disait : « Maman, tu peux prendre le sac pour moi ? Tu peux le prendre pour moi ? »

Son enfant de 9 ans et elle-même ont vu , choqués, le soldat emmener le fils aîné. Son plus jeune enfant s’est mis à crier et à pleurer, demandant pourquoi on emmenait son frère et ce qui allait lui arrivait. Elle restait abasourdie : « J’étais là, je ne savais pas où aller et je ne savais pas quoi faire ». Elle a expliqué qu’à ce moment-là, sa belle-soeur est venue et les ont emmenés, son enfant et elle, vers un grand camion dont la benne n’était pas couverte, dans lequel ils sont montés. Du camion, elle a vu un bus rempli d’hommes à proximité, et d’autres hommes qui se tenaient autour. Elle savait que son fils s’y trouvait, et continuait à espérer qu’il serait sauf.

Quelquefois [je dis à mon fils]: 'J'aurais aimé que nous disparaissions tous, ce serait mieux'.

Des camions et des bus, remplis de femmes et d’enfants musulmans, se sont mis en route pour le village de Tišća. Alors qu’ils traversaient le territoire serbe, des villageois jetaient des pierres sur leurs véhicules. Son fils a été touché à la tête, et elle a dû lui couvrir la tête pour le protéger pendant tout le chemin. Quand ils sont arrivés à Tišća, un soldat serbe armé leur a ordonné de descendre rapidemment: « Il y avait un "chetnik", un costaud. Il y avait là un enfant qui était plus petit que mon enfant né en 1986. Ils nous pressaient, nous demandaient de marcher plus rapidement. » Les réfugiés ont été contraints de continuer la route à pied, jusqu’au territoire musulman de Kladanj. Après avoir marché plusieurs kilomètres dans le no-man’s land entre les lignes de front serbes et musulmanes, le témoin DD et son fils de neuf ans ont finalement atteint Kladanj. Ils avaient survécu, et allaient devoir vivre une vie de réfugiés.

À l’époque de sa déposition, le témoin DD vivait avec son fils dans une petite chambre, dans un centre pour réfugiés. Sa fille, qui avait elle-même deux enfants, n’avaient quant à elle pas du tout de logement. Au Tribunal, le témoin DD a déclaré « Quelquefois [je dis à mon fils]: "J'aurais aimé que nous disparaissions tous, ce serait mieux ", ».

Elle n’a jamais revu son mari, ni ses deux autres fils. Interrogée sur ce qui, selon elle, leur était arrivé, elle a répondu : « Qu'est-ce que je peux en savoir? Je suis une mère alors je continue à espérer ».
 

Le témoin DD a témoigné le 26 juillet 2000 au procès de Radislav Krstić, Commandant de l’Armée des Serbes de Bosnie. Radislav Krstić a été condamné à 35 ans d'emprisonnement pour son rôle dans les crimes dont le témoin DD et bien d’autres ont été victimes.

> Lire le témoignage complet du témoin DD (en anglais)

 

 

<  Retour