Site Internet consacré à l’héritage du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie

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Milan Babić

 

Milan Babić a occupé nombre des plus hauts postes à responsabilité au sein du pouvoir croate de mai 1991 à février 1992, dont celui de Président de la République serbe de Krajina. Mis en accusation par le Tribunal, il a plaidé coupable de crimes commis en Croatie.
 


Milan Babić relate une conversation de juillet 1991 avec Slobodan Milošević et le Président des Serbes de Bosnie Radovan Karadžić, au sujet de la stratégie d'expulsion des Musulmans des territoires réclamés par les Serbes en Bosnie-Herzégovine:

« Karadzic, lui, avait dit qu'il gardait Alija Izetbegovic dans sa petite poche, à savoir qu'il pouvait lui régler son comptes à tout moment, mais que le moment n'était pas encore venu parce que les Serbes ne devaient pas être rendus coupables. On s'attendait à ce qu’Alija Izetbegovic fasse le premier faux pas politique et ce serait là le moment de lui régler ses comptes. Il avait dit par la suite qu’il allait entasser les Musulmans, les chasser vers les lits de rivière et qu'il allait relier entre eux tous les territoires serbes de la Bosnie-Herzégovine. Il avait dit aussi qu'il hésitait à leur ôter Zenica [située à 70 km au nord de Sarajevo].
Question: Milošević a-t-il eu une réaction quelconque à cette observation?
Réponse: Il m'a dit de ne pas être têtu et de ne pas gêner les choses, de ne pas gêner Radovan. »

Milan Babić était l'un des témoins initiés les plus importants appelés à la barre par l'Accusation. Entre août 1991 et février 1992, Babić a exercé des fonctions de premier plan au sein des gouvernements serbes autoproclamés de Croatie. Il a été Premier ministre et Président de la Région autonome de Krajina (la « SAO »), et Président de la République serbe de Krajina (la « RSK»). En 12 jours de déposition, Babić a décrit ses conversations et rencontres avec Slobodan Milošević et nombre des coauteurs des crimes commis en Croatie en 1991. Babić a apporté des éclaircissements essentiels sur l'état d'esprit de Slobodan Milošević et son influence sur les institutions et les structures qu’il utilisait pour expulser définitivement les populations non serbes de vastes régions de Croatie. La déposition de Babić indiquait que Slobodan Milošević avait joué un rôle central dans la commission des crimes en Bosnie-Herzégovine et en Croatie.

Babić a expliqué que Milošević contrôlait toutes les institutions de Serbie et nombre de ses plus hauts responsables, ainsi que les dirigeants serbes de Bosnie et serbes de Croatie. Il a déclaré que Milošević était au sommet de la hiérarchie militaire yougoslave dont il nommait les principaux officiers. Il nommait également ceux des armées des Serbes de Bosnie et des Serbes de Croatie.

Légalement, a expliqué Babić, le Commandant en chef de la JNA devait être issu de la présidence de la RSFY. Babić a toutefois découvert que Milošević avait pris le contrôle effectif du Commandement suprême de la JNA en juillet 1991, en contrôlant la moitié de ses membres (ce que l’on a nommé la « Présidence tronquée »), ainsi que le ministre de la Défense de la RSFY, Veljko Kadijević, et le chef de l’État Major de la JNA, Blagoje Adžić. D’après Babić, c'est  Milošević qui avait déployé la JNA tout autour de la Croatie à  partir d’octobre 1991.

Lorsque la RFY a succédé à la RSFY, et que l’Armée Yougoslave (la « VJ ») a remplacé la JNA, Milošević est resté le commandant en chef de l'armée, a précisé Babić. Milošević était un membre du Conseil suprême de la Défense de la RFY, un corps qui exerçait une autorité sur la VJ, avec le Président du Monténégro Momir Bulatović et le Président de la RFY Zoran Lilić [Lilić a témoigné pour l’Accusation au procès de Milošević]. Babić a déclaré que Lilić et Bulatović ne faisaient qu’exécuter les ordres de Milošević.  Babić a dit à la Chambre qu'il avait entendu Lilić, parlant de lui-même, se dire à la disposition du Président Milošević.

Pour mieux prouver le contrôle que Milošević exerçait sur l'armée, Babić a décrit une conversation qu’il avait eu avec le Président des serbes de Bosnie Radovan Karadžić et Milošević,  dans laquelle Milošević faisait constamment référence à la JNA. Selon Babić, Milošević voulait leur faire savoir qu’il avait le contrôle de l’armée. À la fin de cette conversation, Milošević a regardé  Karadžić et lui a demandé de nouveau où il voulait que la JNA soit déployée. Karadžić a répondu: « Sur les frontières de la Croatie ». Alors Milošević a lancé un regard à Babić, qui a dit: « Dans la Krajina, pour protéger la Krajina ». 
 « Bien », a répondu Milošević.

Pour établir davantage la preuve du contrôle de Milošević sur la JNA, Babić a expliqué que les officiers étaient nommés par Milošević. La nomination de l’officier de la JNA Mile Mrkšić [qui a été poursuivi par la suite par l’Accusation du Tribunal pour crimes commis à Vukovar, en Croatie orientale] en est un exemple éloquent. Milan Babić a pu en témoigner, ayant participé à cette décision de facto et à sa mise en place de jure. Babić a expliqué que Milošević avait nommé de facto les principaux responsables de la JNA, et l’état-major, et que la présidence appliquait ses décisions. Il a ajouté que Milošević avait également nommé de facto les principaux officiers de la VJ, l’armée qui a succédé à la JNA, et ceux des armées des Serbes de Croatie et des Serbes de Bosnie.

Babić a évoqué des structures parallèles, établies dans des territoires serbes de Croatie, qui ont financé et dirigé des unités ayant commis des crimes en Croatie. Il a aussi mentionné le soutien apporté par nombre des plus hauts responsables serbes, tous liés à Milošević. Le personnage central dans cette structure parallèle était Jovica Stanišić, le chef de la Sécurité d’Etat, secondé par son proche associé Franko « Frenki » Simatović.  Le Procureur du TPIY a mis les deux hommes en accusation pour leur rôle présumé dans les crimes commis en Croatie et en Bosnie-Herzégovine. Lors de la déposition de Babić, Milošević a déclaré avoir entendu parler de cette structure parallèle.

Babić  a apporté des éléments de preuve à l’Accusation selon lesquels  Milošević exerçait un contrôle effectif sur des personnalités de premier plan au sein du pouvoir croate. Il a précisé que Milan Martić, le chef de la police des Serbes de Croatie, devenu plus tard président de cette entité, avait toujours soutenu la politique de Milošević. D’après Babić, Martić avait publiquement déclaré sa loyauté envers Milošević , décrétant qu’il ne serait président de Krajina que provisoirement, et qu’il remettrait volontiers le pouvoir à Milošević en temps voulu [Le Tribunal a condamné Martić pour crimes commis en Croatie].

Babić a aussi montré comment il se conformait lui-même aux ordres de Milošević. Avant chacune des trois réunions d’octobre 1991 avec Henry Wijnaendts, qui avait été envoyé en mission en Yougoslavie par la communauté européenne pour soutenir un plan de paix, Babić devait rencontrer Milošević pour que ce dernier l’informe de la position à adopter.

Outre son témoignage relatif à l’implication de dirigeants de hauts rangs, Babić a aussi apporté des éléments de preuve concernant des crimes commis sur le terrain. Il a relaté que l’armée yougoslave et d’autres forces avaient attaqué des villages de Croatie sans valeur militaire particulière, dans lesquels vivait une majorité de Croates. Le schéma habituel des attaques était le suivant : la police ou des unités de volontaires sous les ordres de la Sécurité d’Etat tiraient sur des villages pour les provoquer. La JNA prenait ensuite part au combat avec son artillerie et toutes les unités sous son commandement. Apres être entrées dans le village, la JNA et d’autres forces pillaient les propriétés et les incendiaient. La population croate prenait la fuite ; les rares personnes qui restaient sur place étaient essentiellement des personnes âgées. Babić a déclaré que des meurtres  individuels étaient commis et ne faisaient ensuite l’objet d’aucune enquête. Certaines personnes étaient aussi détenues dans des camps, l’un contrôlé par l’armée et l’autre par la police. Babić a déclaré avoir entendu parler de sévices infligés aux détenus dans les camps de la police.

À l’instar d’autres témoins, Babić a expliqué que les actes de Milošević  ne reflétaient pas ses discours. Il a expliqué que les conditions du plan de paix de Vance, qui constituait un autre effort pour mettre un terme au conflit en Croatie, n’avaient  pas été respectées alors que Milošević les avait acceptées. La région de Krajina n’a pas été démilitarisée, comme il avait été convenu. La plupart des armes ont été cachées ou remises à la police de Krajina. L’armée de RSK a utilisé les armes lourdes que la JNA avait laissées dans des hangars. Selon Babić, en de multiples autres occasions, Milošević avait parlé de paix alors qu’il soutenait la guerre.

Le Bureau du Procureur  a mis Milan Babić en accusation pour sa participation présumée, avec Slobodan Milošević, à une entreprise criminelle commune visant à expulser les non Serbes de vastes portions de Croatie. Milan Babić a plaidé coupable de crimes commis en Croatie et a été condamné à une peine de 13 ans d’emprisonnement. Il a témoigné pour l’Accusation au procès de Milošević, entre le 18 novembre et le 9 décembre 2002. Milan Babić s’est suicidé dans sa cellule du Quartier pénitentiaire des Nations Unies, le 5 mars 2006. A cette époque, il témoignait au procès d’un autre dirigeant croate, Milan Martić. 

Milan Babić a témoigné du 18 novembre au 9 décembre 2002. Pour le compte-rendu de son témoignage complet, voir la page Les affaires.