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Allocution de Mme le Juge Gabrielle Kirk Mcdonald, Présidente du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie devant le Conseil de sécurité

PRÉSIDENT
COMMUNIQUÉ DE PRESSE
(Destiné exclusivement à l’usage des médias. Document non officiel.)
La Haye, le 8 décembre 1998
JL/PIU/371-F

Allocution de Mme le Juge Gabrielle Kirk Mcdonald, Présidente du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie devant le Conseil de sécurité

Veuillez trouver ci-joint le texte intégral de l’allocution de Mme le Juge Gabrielle Kirk McDonald devant le Conseil de sécurité de l’ONU, le 8 décembre 1998. 

*****

M. le Président, Mesdames et Messieurs les Membres du Conseil de sécurité,

Je vous remercie de m’avoir invitée à informer le Conseil de sécurité de la situation concernant la mise en œuvre de sa résolution 1207 (du 17 novembre 1998), en vue d’un nouvel examen de celle-ci.

La résolution précise, notamment, que le Conseil de sécurité exige que « ces mandats d'arrêt [établis à l’encontre des trois personnes au sujet desquelles j’ai écrit au Conseil de sécurité, le 8 septembre 1998, pour faire état du manquement de la République fédérale de Yougoslavie à son obligation de les arrêter] soient immédiatement et inconditionnellement exécutés, y compris la remise des intéressés au Tribunal ».

La résolution demandait aux autorités de la République fédérale de Yougoslavie et aux dirigeants de la communauté albanaise du Kosovo de coopérer pleinement avec le Procureur aux fins des enquêtes sur toutes les violations éventuelles qui relèveraient de la compétence du Tribunal.

Je suis ici pour vous annoncer que la République fédérale de Yougoslavie ne s’est pas conformée à la résolution 1207 du Conseil de sécurité.

Alors que la résolution 1160 (1998) du Conseil de sécurité demandait instamment que les enquêteurs du Bureau du Procureur soient autorisés à entrer au Kosovo, la République fédérale de Yougoslavie a continué à refuser la délivrance de visas aux enquêteurs. Elle a également contrevenu aux dispositions d’autres résolutions du Conseil de sécurité (1199 et 1203). J’en ai fait état au Président du Conseil dans ma lettre du 6 novembre 1998. Le 24 novembre 1998, le Greffier du Tribunal a adressé un courrier à l’ambassadeur de la République fédérale de Yougoslavie à La Haye, le « priant instamment » de bien vouloir se pencher sur cette question. Cette lettre faisait expressément référence à 14 membres du Bureau du Procureur qui avaient demandé à obtenir des visas au moins quatre semaines auparavant, et dont les demandes sont restées sans suite. Les réponses sont habituellement reçues dans un délai de deux, voire trois semaines. Le Greffier faisait également remarquer que deux représentants du Tribunal ayant demandé l’obtention de visas pour une période de six mois n’avaient obtenu de visas que pour sept jours. L’ambassadeur n’a pas répondu aux demandes de rencontre adressées par le Greffier. Aucun visa n’a été délivré. Le Procureur a envoyé une lettre au Président du Conseil de sécurité, le 25 novembre 1998, détaillant ce manque de coopération. Cette lettre constituait une réponse à une déclaration du Ministre de la justice de la République fédérale de Yougoslavie, du 10 novembre 1998, distribuée pendant la présente session de l’Assemblée générale.

La République fédérale de Yougoslavie ne respecte pas non plus ses obligations au regard du droit international, de la Charte des Nations Unies, de la résolution 827 du Conseil de sécurité portant création du Tribunal et, depuis peu, de la résolution 1207 du Conseil de sécurité, en n’exécutant pas les mandats d’arrêts des trois personnes auxquels j’ai fait référence dans ma lettre du 8 septembre 1998 au Président du Conseil de sécurité. Non seulement la République fédérale de Yougoslavie n’a pas exécuté les mandats d’arrêt, elle a aussi refusé catégoriquement d’y donner suite.

Dans une lettre du 18 novembre 1998 adressée au Tribunal, le Président du Tribunal militaire de Belgrade a fait savoir qu’il avait l’intention de mener « certaines procédures d’enquêtes…relatives aux crimes de guerre perpétrés à l’encontre de prisonniers de guerre… commise en novembre 1991 à l’hôpital de Vukovar, après que de nombreux membres des formations paramilitaires de la République de Croatie ont été fait prisonniers ». Il précisait en outre que dans la mesure où, au cours de ses enquêtes, le Tribunal militaire allait également entendre les témoignages des trois personnes citées dans l’acte d’accusation du TPIY, le Tribunal militaire souhaitait obtenir une copie du dossier pénal et des éléments de preuve ayant servi au Procureur du TPIY pour établir l’acte d’accusation. Il demandait que tout document de preuve disponible soit communiqué avant le 17 décembre 1998, date prévue pour leur déposition.

Ainsi, non seulement la République fédérale de Yougoslavie ne se conforme pas aux exigences précises de la résolution 1207 du Conseil de sécurité, mais elle prend en outre des initiatives en violation directe de celle-ci.

Le 3 décembre 1998, le Procureur a déposé une proposition de demande officielle de dessaisissement pour les enquêtes et les procédures, adressée à la République fédérale de Yougoslavie. Cette proposition a été adressée à la Chambre de première instance conformément à l’article 9 2) du Statut du Tribunal et à l’article 9 du Règlement de procédures et de preuve du Tribunal.

L’article 9 2) du Statut dispose que :

« Le Tribunal international a la primauté sur les juridictions nationales. À tout stade de la procédure, il peut demander officiellement aux juridictions nationales de se dessaisir en sa faveur conformément au présent statut et à son règlement. »

L’article 9 du Règlement de procédure et de preuve dispose que :

« S'il apparaît au Procureur, au vu des enquêtes ou poursuites pénales engagées devant une juridiction interne comme cela est prévu à l’article 8 ci-dessus, que :

i) l'infraction a reçu une qualification de droit commun ; ou

ii) la procédure engagée ne serait ni impartiale ni indépendante, viserait à soustraire l'accusé à sa responsabilité pénale internationale ou n'aurait pas été exercée avec diligence ; ou

iii) l'objet de la procédure porte sur des faits ou des points de droit qui ont une incidence sur des enquêtes ou des poursuites en cours devant le Tribunal,
Le Procureur peut proposer à la Chambre de première instance désignée à cet effet par le Président de demander officiellement le dessaisissement de cette juridiction en faveur du Tribunal. »

Cet ensemble de dispositions a mis en avant la primauté du Tribunal sur celle des tribunaux nationaux, conformément au chapitre VII de la Charte des Nations Unies, sur la base duquel le Conseil de sécurité a créé le Tribunal. Cette primauté ne saurait être éludée. Une Chambre de première instance tiendra une audience à ce propos le mercredi 9 décembre 1998. Une décision est attendue sous peu.

Comme je l’ai fait dans mon allocution du 2 octobre 1998, je demande au Conseil de sécurité d’adopter des mesures efficaces pour que la République fédérale de Yougoslavie respecte ses obligations au regard du droit international et de celles imposées par le Conseil de sécurité conformément au chapitre VII de la Charte.

La République fédérale de Yougoslavie n’a aucun scrupule à entraver les directives explicites du Conseil de sécurité. La Charte des Nations Unies confie au Conseil de sécurité l’autorité suprême pour identifier toute question constituant une menace pour la paix internationale et pour la sécurité et décider des mesures appropriées pour y répondre. Vous avez créé le Tribunal afin qu’il contribue à la restauration et au maintien de la paix et de la sécurité en ex‑Yougoslavie. Au Tribunal, nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir pour y parvenir. Le TPIY est certes indépendant, mais il dépend totalement de vous pour faire respecter les points sur lesquels j’ai attiré votre attention aujourd’hui. Je m’adresse à nouveau à vous, car sans votre appui il ne peut s’acquitter de sa mission.

Il n’est pas que le Tribunal qui dépende de vous, tous les États membres se tournent vers vous afin que vous exerciez l’autorité qui vous a été conférée par le chapitre VII de la Charte des Nations Unies. Nous nous en remettons à vous. Une fois encore, je vous conjure de ne pas laisser un État faire obstacle à la paix. Nous avons parcouru un long chemin depuis 1993, mais nous nous trouvons à présent à une étape décisive. La République fédérale de Yougoslavie défie votre autorité et votre volonté.

Je vous exhorte à ne plus tolérer l’obstructionnisme de la République fédérale de Yougoslavie, car il crée un dangereux précédent, qui va au-delà du non-respect de ses obligations. Je vous prie de montrer à la communauté internationale que la création du Tribunal ne reposait pas sur des déclarations vaines.

Je vous remercie de m’avoir donné la possibilité de m’adresser de nouveau à vous à ce sujet.