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Allocution de S.E. le juge Claude Jorda, Président du TPIY, devant le conseil de sécurité des Nations Unies

Communiqué de presse PRÉSIDENT

(Destiné exclusivement à l'usage des médias. Document non officiel)

La Haye, 30 octobre 2002
JDH/S.I.P/708-f 
 

Allocution de S.E. le juge Claude Jorda, Président du TPIY, devant le conseil de sécurité des Nations Unies

Veuillez trouver ci-dessous le texte intégral de l’allocution prononcée, mardi 29 octobre 2002, par le Président Claude Jorda devant le Conseil de Sécurité des Nations Unies.

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs, Mesdames et Messieurs les Conseillers,

C’est un grand honneur pour moi de pouvoir présenter le neuvième rapport annuel du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie.

Je tiens tout d’abord à vous exprimer ma profonde gratitude pour le soutien indéfectible que vous n’avez jamais cessé d’apporter au Tribunal international.

Comme vous le savez, le rapport annuel contient un compte rendu intégral des activités des Chambres, du Bureau du Procureur et du Greffe pour l’année écoulée. Sachant que votre temps est compté, je ne m’y attarderai que brièvement.

Je préférerai appeler plus spécialement votre attention sur deux sujets de préoccupation majeurs pour le Tribunal international. Il s’agit, premièrement, de la mise en śuvre de la stratégie de renvoi des affaires devant les juridictions nationales et, deuxièmement, de la coopération entre le Tribunal international et les États de l’ex-Yougoslavie. Si j’insiste sur ces deux points, c’est parce qu’ils conditionnent l’achèvement de notre mission dans les meilleurs délais. En effet, comme je l’ai souligné le 23 juillet dernier à l’occasion de la présentation du « Rapport sur la situation judiciaire du Tribunal international et sur les perspectives de déférer certaines affaires devant les juridictions nationales », nous ne pourrons tenir nos engagements vis-à-vis de la Communauté internationale - à savoir clôturer les enquêtes vers 2004 et les jugements d’instance aux alentours de 2008 - que si, d’une part, les hauts responsables politiques, militaires et civils sont arrêtés et traduits sans délai devant le Tribunal international et si, d’autre part, les accusés de niveaux intermédiaire et subalterne sont jugés à l’échelon national.

1. Le compte rendu des activités du Tribunal international au cours de l’année 2001-2002

Vous trouverez dans le neuvième rapport annuel du Tribunal international le détail des travaux et des réformes réalisés au cours de la période comprise entre le 1er août 2001 et le 31 juillet 2002. Trois aspects de ces travaux et réformes ont particulièrement marqué cette période et méritent d’être portés à votre attention.

a - Le travail des Chambres de première instance, qui s’est considérablement intensifié au cours de l’année écoulée, doit être davantage rationalisé.

Depuis l’arrivée des neuf juges ad litem en janvier 2002, les Chambres de première instance ont entendu, comme nous nous y étions engagés, quotidiennement et simultanément six procès au lieu de trois les années précédentes. Elles ont statué sur une trentaine d’affaires et prononcé cinq jugements au fond, concernant au total 12 accusés. Toutefois, malgré tous les efforts de réforme entrepris au cours des années passées, visant notamment à renforcer les pouvoirs de contrôle du juge sur le débat judiciaire, les procédures demeurent, à mes yeux, encore trop longues. En effet, la durée moyenne des procès est aujourd’hui de 17 mois, soit cinq mois de plus par rapport à nos estimations initiales. En vue d’y remédier, le Tribunal international a pris, dès janvier dernier, l’initiative de dresser chaque mois un bilan chiffré de ses activités, qu’il mesure à partir de plusieurs paramètres concrets. Ce bilan mensuel, appelé « Tableau de bord du Tribunal international », permet d’identifier précisément les problèmes qui se posent dans le déroulement des procédures et de prendre les mesures nécessaires, notamment quant à l’amélioration des pratiques judiciaires. Il s’agit notamment de favoriser la jonction des affaires connexes, de renforcer le recours aux éléments de preuve écrits ou de limiter les témoignages présentés à l’audience à un nombre représentatif de tous les crimes visés dans les actes d’accusation.

b - La création d’un barreau international à La Haye devrait renforcer l’efficacité et l’indépendance du travail des avocats.

Lors de la réunion plénière des 11 et 12 juillet derniers, les juges ont approuvé la création d’une Association internationale des avocats appelés à ester en justice devant le Tribunal international. Il était en effet essentiel que les avocats puissent se regrouper au sein d’un organisme chargé d’assurer la représentation et la défense de leurs intérêts. Il était également indispensable que leur indépendance soit pleinement garantie et le respect des règles de déontologie assuré. Il était enfin important d’offrir aux avocats de la défense tous les moyens nécessaires pour suivre au plus près le développement de la jurisprudence internationale. Avec la mise en place de cette Association, c’est désormais chose faite. L’efficacité du travail du Tribunal international devrait également se trouver renforcée par une plus grande discipline des avocats.

c - La mise en place des réformes de structure et de fonctionnement des Chambres d’appel doit permettre de réduire la durée des procédures, qui demeure encore excessive.

Grâce à la résolution 1329 (2000), deux juges du Tribunal international pour le Rwanda siègent, depuis novembre 2001, à la Chambre d’appel du Tribunal international pour l’ex-Yougoslavie. En outre, la structure des Chambres d’appel a été réorganisée et leurs méthodes de travail ont été progressivement rationalisées grâce à l’adoption de nouvelles directives pratiques. C’est ainsi qu’au cours de la période considérée, la Chambre d’appel du Tribunal international pour l’ex-Yougoslavie a pu examiner une vingtaine d’appels interlocutoires et huit appels au fond. Toutefois, là encore, des efforts sont entrepris pour réduire la durée moyenne des procédures en appel.

Je voudrais aborder à présent les deux sujets de préoccupation majeurs pour le Tribunal international.

2. La mise en śuvre de la stratégie de délocalisation

Le Procureur, le Greffier et moi-même avons exposé en détail cette stratégie dans le Rapport que nous avons préparé au cours des six premiers mois de cette année, Rapport qui vous a été transmis en juillet dernier. Cette stratégie s’articule, je vous le rappelle, autour de deux axes principaux : premièrement, poursuivre en priorité devant le Tribunal international les auteurs des crimes les plus attentatoires à l’ordre public international et, deuxièmement, confier des affaires de moindre envergure à la Chambre compétente en matière de violation du droit international humanitaire au sein de la Cour d’État de Bosnie-Herzégovine.

Le 23 juillet 2002, Mme Del Ponte et moi-même vous avons présenté les différents aspects de cette stratégie et ses enjeux. À l’issue de cette présentation, votre Président a indiqué, dans une déclaration, que « le Tribunal devrait concentrer davantage son action sur la poursuite et le jugement des principaux responsables civils, militaires et paramilitaires soupçonnés d’avoir commis des violations graves du droit international humanitaire sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991, et non des simples exécutants ». Il a par ailleurs « approuvé la stratégie générale énoncée dans le rapport » et a « pris note de l’intention qu’a le Tribunal de modifier son règlement de procédure et de preuve de manière à faciliter le renvoi des affaires aux juridictions nationales compétentes ». Je lui en suis extrêmement reconnaissant.

Depuis lors, nous nous sommes attachés à tirer tous les enseignements de cette déclaration. Dans cette perspective, nous avons engagé plusieurs démarches importantes. Le 17 septembre, j’ai réuni les membres du Bureau du Tribunal et ai examiné avec eux les affaires qui pourraient d’ores et déjà être déférées devant les juridictions nationales. D’après nos premières estimations, sur les affaires déjà attribuées aux Chambres de première instance (c’est-à-dire, dont les accusés ont été arrêtés et traduits devant le Tribunal international), une dizaine pourraient être délocalisées dans les prochains mois, pour autant, bien entendu, que des garanties fermes nous soient données quant à la création, dans de brefs délais, d’une Chambre compétente en matière de violation du droit international humanitaire. Nous avons également étudié les conséquences judiciaires de la mise en śuvre de notre stratégie, notamment quant au sort des accusés détenus à La Haye et susceptibles d’être renvoyés en Bosnie-Herzégovine. Le 30 septembre, les juges se sont réunis en session plénière extraordinaire et ont modifié l’article 11 bis du Règlement, qui doit dorénavant leur permettre d’initier un processus de délocalisation réellement efficace. Enfin, le 17 octobre, le Procureur, le Greffier et moi-même nous sommes entretenus avec des membres du Bureau du Haut Représentant pour examiner comment, à quelles conditions, et surtout dans quels délais sera créée la Chambre compétente en matière de violations du droit humanitaire au sein de la Cour d’État de Bosnie-Herzégovine. J’y reviendrai par la suite.

Mme Del Ponte a, quant à elle, continué son évaluation des enquêtes en cours commencée en début d’année, afin de déterminer le nombre de personnes qui devraient être jugées par le Tribunal international et de celles susceptibles de l’être à l’échelon national. Elle vous fera part de ses nouvelles estimations dans un instant.

Toutefois, notre action demeure - j’insiste - conditionnée par la création d’une Chambre compétente en matière de violation du droit international humanitaire au sein de la Cour d’État de Bosnie-Herzégovine. En effet, nous ne pouvons délocaliser des affaires sans avoir la certitude qu’elles seront jugées conformément aux normes minimales de protection des droits de l’homme. Nous sommes, à cet égard, conscients des responsabilités que vous nous avez confiées. Nous savons aussi quels sont nos devoirs à l’égard des victimes.

Or, plusieurs obstacles tant politiques, légaux que financiers doivent encore être surmontés avant que cette Chambre spécialisée ne voit le jour.

Certes, le Haut Représentant pour la Bosnie-Herzégovine semble avoir comme priorité la lutte contre la criminalité organisée et la corruption ainsi que la reconstruction économique et la stabilisation politique de cet État. Certes également, la création d’une Chambre spécialisée nécessite un effort financier de la part de la Communauté internationale qui, elle aussi, est confrontée à d’autres enjeux très importants, notamment l’éradication du terrorisme international.

Mais, dois-je le rappeler, il ne peut y avoir de paix profonde et durable en ex-Yougoslavie tant que tous les criminels de guerre n’auront pas été jugés. En effet, l’Histoire nous enseigne qu’aussi longtemps que l’śuvre de justice n’est pas accomplie, le spectre de la guerre peut resurgir, parfois même plusieurs générations plus tard.

C’est pourquoi il est essentiel que tous les acteurs impliqués dans le processus de paix contribuent, chacun dans leur domaine, à la mise en place de cette Chambre spécialisée. Je prends bonne note du fait que le Bureau du Haut Représentant vient de m’assurer qu’il prendra les mesures politiques et légales nécessaires pour que celle-ci soit opérationnelle dès la fin 2003. Il reste à la Communauté internationale à donner à cette Chambre les moyens de fonctionner. Ces moyens ne devraient pas être trop coûteux. En effet, il ne s’agit pas, je le rappelle, de créer un « mini-tribunal international » à Sarajevo ! Comme je l’ai proposé le 23 juillet dernier, il s’agit plutôt d’utiliser une cour nationale déjà en place, dont les règles de fonctionnement et l’organisation ressortiraient de la compétence du Haut Représentant et des autorités nationales concernées. C’est seulement pour garantir son impartialité et son indépendance qu’elle serait dotée provisoirement d’un caractère international minimal. En effet, seuls des juges internationaux y seraient nommés à titre provisoire pour accompagner les magistrats locaux. Il ne serait donc pas question de mettre en place, comme au Tribunal international, une administration composée de fonctionnaires internationaux.

A cet effet, le Tribunal international s’est engagé à collaborer avec le Bureau du Haut Représentant à l’élaboration des textes régissant le fonctionnement de cette institution.

3. La coopération entre le Tribunal international et les États de l’ex-Yougoslavie

Pour que le Tribunal international puisse concentrer davantage son action sur la poursuite et le jugement des principaux chefs politiques, militaires et civils, il faut que les États de l’ex-Yougoslavie arrêtent dans les plus brefs délais tous les accusés qui se trouvent sur leur territoire. Car c’est à ce prix - et à ce prix seulement - que nous pourrons achever notre mandat dans les délais envisagés.

Or, la République Fédérale de Yougoslavie ne coopère que très partiellement - et c’est un euphémisme - à la remise des preuves et à l’arrestation des accusés, alors même que certains d’entre eux ont été inculpés depuis plusieurs années déjà. Je pense notamment à Radko Mladic, qui a été mis en accusation le 24 juillet 1995, soit il y a plus de 7 années ! Certains accusés continuent même à exercer des fonctions politiques au plus haut niveau de l’appareil étatique. Ainsi, Milan Milutinovic, bien qu’inculpé depuis le 22 mai 1999, est toujours Président de la Serbie. En outre, la République Fédérale de Yougoslavie a adopté une loi de coopération avec le Tribunal international, dont les termes de l’article 39 violent explicitement les dispositions fondamentales de notre Statut concernant notamment le principe de primauté garanti à l’article 9 du Statut.

Si, à la demande du Procureur, je vous ai officiellement saisis le 23 octobre dernier du manquement de cet État aux obligations de l’article 29 du Statut, c’est parce que j’ai estimé que la Communauté internationale devait en être avertie, à un moment où elle est appelée dans d’autres enceintes à prendre des décisions cruciales pour l’avenir de ce pays. En effet, ce serait, à mon sens, envoyer un mauvais signal aux États que de permettre à la République Fédérale de Yougoslavie de retrouver pleinement sa place au sein de la Communauté des Nations, alors même qu’elle ne remplit pas ses obligations internationales les plus fondamentales, obligations qui, je le rappelle, découlent de la Charte des Nations Unies.

Je conçois que cette question ne puisse être inscrite à l’ordre du jour de cette séance, parce que trop récemment posée. Le Procureur et moi-même sommes néanmoins disposés à nous en expliquer au moment où vous le jugerez opportun.

La République de Croatie fait, pour sa part, preuve d’une attitude équivoque : bien qu’elle se soit montrée plus encline qu’auparavant à remettre les preuves qu’elle détient et à ouvrir ses archives aux enquêteurs du Tribunal international, elle n’a toujours pas arrêté les Généraux Ante Gotovina et Janko Bobetko, mis en accusation respectivement le 26 juillet 2001 et le 23 août 2002 et ce, malgré, les demandes incessantes du Procureur. Je n’hésiterai pas à vous saisir, comme je viens de le faire pour la République Fédérale de Yougoslavie, si cette situation devait perdurer.

Quant à la Bosnie-Herzégovine, si la Fédération coopère de façon satisfaisante avec le Tribunal international, la Republika Srpska n’a arrêté aucun des fugitifs de haut rang séjournant sur son territoire, entre autres Radovan Karadzic, inculpé depuis le 24 juillet 1995. Certes, le cadre institutionnel de la Bosnie-Herzégovine ne lui facilite pas la tâche. Mais jusqu’à quand le Tribunal international peut-il tolérer qu’une entité puisse méconnaître à ce point des engagements internationaux qui lient impérativement l’Etat dont elle fait partie ?

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Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs, Mesdames et Messieurs les Conseillers,

Il me semble que les situations concrètes que je viens d’évoquer démontrent combien le soutien du Conseil de sécurité demeure essentiel à l’accomplissement de la mission du Tribunal international.

Ce soutien nous a toujours été accordé, et je vous réitère l’expression de ma reconnaissance.

Aujourd’hui, il est plus que jamais crucial que vous m’aidiez ! En effet, le temps passe : les échéances de 2004 et de 2008 approchent à grands pas. C’est pourquoi le Procureur et moi-même avons tout mis en śuvre pour réaliser au plus vite la stratégie, à laquelle vous avez pleinement adhéré. Nous avons ainsi pris toutes nos responsabilités et continuerons de le faire.

Plus que jamais, il est impératif que les hauts responsables politiques, militaires et civils soient arrêtés sans délai et que la Cour d’État de Bosnie-Herzégovine soit créée avant la fin de l’année 2003, hors de quoi les échéances ne pourront être tenues. Ces questions relèvent de la responsabilité de la Communauté internationale et non plus de celle du Tribunal international. Nous espérons que toutes les décisions nécessaires seront prises à ce niveau.

C’est à ces conditions, et à ces conditions seulement, que le Tribunal international pourra envisager de conclure sa mission avec la certitude d’avoir apporté sa contribution au rétablissement de la paix en ex-Yougoslavie.

Je vous remercie de votre attention.

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