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Allocution de S.E. le Juge Claude Jorda, Président du Tribunal Pénal International pour l'ex-Yougoslavie, devant le Conseil de Sécurité des Nations Unies.

Communiqué de presse

PRÉSIDENT

(Destiné exclusivement à l'usage des médias. Document non officiel)

La Haye, 27 novembre 2001
JD / S.I.P/ 641-ft
 

Allocution de S.E. le Juge Claude Jorda, Président du Tribunal Pénal International
pour l'ex-Yougoslavie, devant le Conseil de Sécurité des Nations Unies.

Madame la Présidente, Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs, Représentants permanents auprès des Nations Unies et Membres du Conseil de Sécurité,

Je suis très honoré de m’adresser à nouveau à vous en ma qualité de Président du Tribunal international. Comme vous le savez, mes collègues viennent de me renouveler leur confiance et je m’emploierai à en être digne. Je suis également heureux de me trouver ici aux côtés de Mme le Procureur Del Ponte pour vous faire part de la situation du Tribunal international et vous informer de nos préoccupations quant à la poursuite de notre action pour les années à venir.

Dans le huitième rapport annuel du Tribunal international que j’ai eu l’honneur de présenter hier devant l’Assemblée générale, vous trouverez un compte rendu intégral de nos activités pour l’année écoulée et des réformes que nous avons entreprises au cours de cette période.

Je souhaiterais aujourd’hui attirer plus spécialement votre attention sur deux interrogations qui méritent à mon sens une réflexion approfondie. Ma première question est la suivante : les bouleversements qui se sont produits tant dans les Etats de l’ex-Yougoslavie - plus enclins qu’auparavant à juger eux-mêmes leurs ressortissants - que sur la scène internationale - où la lutte contre le terrorisme est devenue une nouvelle priorité des Etats membres - ne doivent-ils pas nous amener à réfléchir ensemble aux orientations futures à donner au Tribunal international ? Ma seconde interrogation - qui n’est hélas pas nouvelle - peut être formulée ainsi : comment arrêter dans les plus brefs délais tous les hauts responsables politiques et militaires qui sont toujours en liberté et qui auraient nui par leurs actes criminels à la paix et la sécurité dans les Balkans ?

Ces deux questions méritent d’être posées au moment où les juges de ce Tribunal, ad hoc comme vous le savez, débutent leur troisième mandat après déjà huit années d’activité et s’interrogent légitimement sur la poursuite et l’achèvement de leurs travaux.

Mais avant de partager avec vous ces deux sujets de préoccupation, permettez-moi de vous donner un bref aperçu de la situation du Tribunal international et des réformes entreprises au cours de l’année considérée.

1- Les réformes des structures et du fonctionnement du Tribunal international produisent leurs premiers effets et entraînent une augmentation considérable de son activité.

L’année 2000-2001 aura incontestablement été marquée par la mise en śuvre de quatre réformes majeures des structures et du fonctionnement du Tribunal international.

- La première réforme vise principalement à accélérer les procédures de jugement. Elle confère un rôle plus actif au juge tant pendant la phase préalable à l’instance que durant le procès. Elle permet également une augmentation de la capacité de jugement du Tribunal international par le recours à des juges ad litem.

Je tiens ici à vous remercier tout particulièrement pour avoir su agir si rapidement en faveur de cette réforme fondamentale pour l’avenir du Tribunal et d’avoir adopté à cette fin la résolution 1329 du 30 novembre 2000.

- La deuxième réforme, qui est actuellement en cours de mise en śuvre, vise à améliorer l’organisation et le fonctionnement des Chambres d’appel des deux Tribunaux internationaux. En effet, celles-ci seront rapidement confrontées à un accroissement considérable de leur charge de travail en raison de l’intensification des activités des Chambres de première instance.

- La troisième réforme a pour but de doter le Tribunal international d’un véritable organe de défense. L’équilibre du procès, qui est l’une des préoccupations quotidiennes des juges depuis la création du Tribunal nécessite, au-delà de la présence, qui est déjà une réalité, d’avocats à la barre, une organisation de ceux-ci garantissant leur indépendance et leur déontologie. Ce barreau devrait voir le jour dès l’année 2002 une fois réalisées les consultations nécessaires, notamment celles des avocats.

- La quatrième réforme concerne les trois organes du Tribunal international : les Chambres, le Bureau du Procureur et le Greffe. En vue d’assurer une coordination plus étroite de l’élaboration des priorités judiciaires entre ces organes ainsi qu’une meilleure gestion des ressources du Tribunal international, un conseil de coordination et un comité de gestion ont été institués en janvier 2001. Ils se sont depuis lors réunis à plusieurs reprises.

L’adoption de ces réformes s’est accompagnée d’une intensification de l’activité judiciaire du Tribunal international. En effet, dès septembre 2001, les six premiers juges ad litem ont commencé à siéger dans trois nouveaux procès. Ainsi, pour la première fois de son histoire, le Tribunal international entend quatre procès en même temps. Dès janvier 2002, trois nouveaux juges ad litem siégeront au Tribunal international. Six affaires seront alors traitées quotidiennement et simultanément par les Chambres de première instance, ce qui permettra de doubler la capacité de jugement du Tribunal international et, comme je m’y étais engagé devant vous l’année dernière, d’achever les procès de première instance à l’horizon de l’année 2007. Cela étant, il faut bien sûr que les arrestations ou les redditions volontaires continuent de s’opérer à un rythme soutenu.

L’intensification de l’activité judiciaire n’aurait pu se faire sans que les Etats membres ne coopèrent plus étroitement avec le Tribunal international, ni ne participent plus largement à l’arrestation des accusés et à la collecte des preuves. Il est notamment résulté du changement de régime politique en République de Croatie une coopération accrue avec le Tribunal international. L’arrestation et le transfert à La Haye de Slobodan Milosevic a également constitué un tournant important dans les relations entre le Tribunal international et la Serbie.

Il reste que ces nouveaux élans de coopération encore trop irréguliers doivent aussi se poursuivre à l’égard de tous les accusés. Ils doivent également se développer en matière d’exécution des peines, puisque, comme le prévoit le Statut, ce sont les Etats membres qui doivent accueillir les condamnés.

C’est dans cet environnement international plus favorable au Tribunal que les arrestations et les redditions volontaires se sont multipliées au cours des derniers mois, portant le nombre d’accusés détenus à La Haye à 50. L’activité des Chambres de première instance s’est alors grandement intensifiée : 6 jugements concernant 17 accusés et plusieurs centaines de décisions en cours d’instance ont été prononcés en un an. La Chambre d’appel a, pour sa part, délivré une trentaine d’arrêts interlocutoires et trois arrêts au fond concernant 7 accusés, consolidant sa jurisprudence sur des points essentiels du droit humanitaire et de la procédure pénale internationale.

2- Le Tribunal est confronté à de nouveaux enjeux. Ses priorités ne doivent-elles pas être repensées ?

Les bouleversements politiques qui se sont récemment produits dans les Balkans ont fait progressivement évoluer la perception que les Etats de cette région ont du Tribunal international. Mais ces bouleversements ne doivent-ils pas également nous inciter à modifier notre propre opinion quant à la capacité de ces Etats à juger certains criminels de guerre qui se trouvent sur leur territoire ? Dans cette perspective, ne devons-nous pas, par exemple, encourager davantage les nouveaux processus de réconciliation nationale que mettent sur pied les Etats des Balkans, comme les commissions vérité et réconciliation ?

Dans un contexte international où d’autres priorités pour les Etats membres - principalement la lutte contre le terrorisme mondial - prennent progressivement le devant de la scène, le Tribunal international doit plus que jamais accomplir sa mission avec rapidité et exemplarité. D’autant que des voix commencent à s’élever dans les opinions publiques pour contester la légitimité et la crédibilité du Tribunal international appelé à juger des crimes, pour certains, vieux de plus de 10 ans.

Certes - comme je l’ai dit hier devant l’Assemblée générale - nous pouvons encore procéder à d’autres réformes internes pour accélérer davantage les procédures. Et je vais m’y employer. Mais force est de reconnaître que le déroulement de l’instance a déjà fait l’objet de transformations importantes au travers des quatre grandes réformes que je viens d’évoquer et ne peut plus être sensiblement modifié sans porter atteinte aux caractéristiques essentielles du procès pénal international, telles que vous les avez définies dans le Statut.

Il convient donc de penser ensemble à de nouvelles orientations à donner au Tribunal international pour les années à venir. Permettez-moi de tenter de les esquisser.

Les juges des deux Tribunaux internationaux - réunis en septembre dernier à Dublin en présence de M. Hans Corell, Secrétaire général adjoint aux affaires juridiques - ont engagé une réflexion sur les priorités à accorder au Tribunal international pour le futur. S’interrogeant sur le bilan et les perspectives de leur mandat au terme de huit années d’activité, ils se sont tout d’abord demandés si le Tribunal international ne devait pas - comme l’y invite d’ailleurs la résolution 1329 (30 novembre 2000) - se concentrer davantage sur la poursuite des crimes les plus attentatoires à l’ordre public international, principalement ceux commis par les hauts responsables politiques et militaires. En effet, ce sont ces crimes qui mettent principalement en danger la paix et la sécurité internationales. Madame Del Ponte - à qui incombe la responsabilité d’engager les poursuites et à qui je voudrais ici-même rendre hommage - partage nombre de nos préoccupations à cet égard.

Quant aux affaires de moindre importance pour le Tribunal, elles pourraient être - sous certaines conditions - « délocalisées », c’est-à-dire jugées par les juridictions des Etats de l’ex-Yougoslavie. Cette solution aurait le mérite d’alléger considérablement la charge de travail du Tribunal international et de lui permettre ainsi de terminer son mandat dans de plus brefs délais. De surcroît, elle rendrait le jugement des affaires renvoyées devant les tribunaux nationaux plus transparents à l’égard des populations locales et contribuerait dès lors plus efficacement à la réconciliation entre les peuples des Balkans.

Mais pour que l’action du Tribunal international puisse se concentrer davantage sur la poursuite et le jugement des grands chefs militaires et hauts fonctionnaires, encore faut-il que les Etats participent plus activement à leur arrestation et à leur transfert à La Haye. Or, comme vous ne l’ignorez pas, certains d’entre eux séjournent encore en toute impunité en République fédérale de Yougoslavie, alors que d’autres se sont réfugiés sur le territoire de la Republika Srpska.

Et pour que la « délocalisation » des affaires de moindre importance pour le Tribunal soit envisageable, les systèmes judiciaires des Etats de l’ex-Yougoslavie doivent être reconstruits sur des bases démocratiques. Il faut en effet que les juridictions nationales puissent accomplir leur travail en toute indépendance et impartialité, dans le respect des principes de droit international humanitaire et de protection des droits de l’homme. Cela supposerait que sous l’égide des représentants de la communauté internationale dans les Balkans, soient, par exemple, envoyés des juges ou des observateurs internationaux pour participer ou assister aux procès des criminels de guerre et que s’intensifient les programmes de formation des magistrats locaux déjà mis en śuvre.

Je sais que ce processus de reconstruction judiciaire est en bonne voie et je tiens à souligner que le Tribunal international est prêt à y apporter sa contribution. Je tiens également à vous dire que nous sommes disposés à réfléchir aux modifications des règles de procédure et de preuve qu’impliquerait une redéfinition des relations entre le Tribunal international et les juridictions internes, voire les autres processus de réconciliation nationale.

Je concluerai cette intervention en soulignant que nous avons mis en śuvre quasiment toutes les réformes qui nous paraissaient indispensables et que celles-ci commencent à produire les résultats escomptés. Il n’en reste pas moins que pour aboutir à l’achèvement des travaux du Tribunal international dans des délais compatibles avec la mission que vous lui avez confiée, il conviendrait qu’une nouvelle réflexion s’engage à partir notamment des quelques observations que je viens de formuler.

Je me tiens pour ma part, et dans les strictes limites de mes compétences, à votre disposition pour collaborer à cet exercice de réflexion et éventuellement à toute action qui en découlera.

Ce processus de réflexion me paraît à la fois opportun et crucial au terme de huit années d’intenses activités. Il conditionne la réussite ultime d’une entreprise sans précédent que vous avez initiée et dont le rôle de précurseur sera sans aucun doute déterminant pour la Cour pénale internationale dont le baptême apparaît plus imminent que jamais.

Je vous remercie de votre attention.

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