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Allocution du Juge Theodor Meron, Président du Tribunal Pénal International pour l'ex-Yougoslavie, devant le Conseil de Sécurité de l'Organisation des Nations Unies, 13 juin 2005

Communiqué de presse PRÉSIDENT

(Destiné exclusivement à l'usage des médias. Document non officiel)

La Haye, 13 juin 2005
TM /MOW/976f 
 

Allocution du Juge Theodor Meron, Président du Tribunal Pénal International pour
l'ex-Yougoslavie, devant le Conseil de Sécurité de l'Organisation des Nations Unies, 13 juin 2005

Monsieur le Président, Excellences,

Prendre la parole devant votre éminente assemblée est toujours pour moi un grand honneur. Cet honneur est d’autant plus grand qu’elle est aujourd’hui présidée par le représentant de la France.

Votre pays, monsieur le Président, a profondément marqué de son empreinte l’histoire de la démocratie et est considéré comme la patrie des droits de l’homme. En tant que Président du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, je me dois de souligner qu’il a aussi activement contribué à la mise en place et au développement du Tribunal et joué un rôle de tout premier plan dans la lutte contre l’impunité.

En tant que représentant d’un pays de « civil law », vous serez sans doute sensible, monsieur le Président, à l’évolution progressive de nos règles de procédure. Dictés par un souci constant d’améliorer l’efficacité des procédures sans sacrifier à l’impératif de protection des droits de la défense, ces changements ont notamment sensiblement modifié le rôle du juge. D’un arbitre neutre propre au modèle de « common law », le juge est devenu un véritable acteur de la procédure, tant au stade de la mise en état préalable au procès que lors du procès proprement dit. Au cours des débats qui ont précédé et accompagné cette évolution, le droit et la pratique judiciaire française ont souvent été source d’inspiration.

C’est le troisième rapport que je vous présente depuis l’adoption en 2004 de la résolution 1534 dans laquelle le Conseil de sécurité a demandé au Président et au Procureur de chaque tribunal ad hoc de lui fournir, tous les six mois, des évaluations indiquant en détail les progrès accomplis dans la mise en śuvre de la stratégie d’achèvement de leurs travaux respectifs. Le rapport écrit (Document S/2005/343) vous a été remis. Dans sa partie principale et ses annexes, ce rapport tend à présenter avec réalisme les efforts qui ont été entrepris par le Tribunal pour l’ex-Yougoslavie pour atteindre les objectifs fixés dans le cadre de la stratégie d’achèvement de ses travaux. Dans mon allocution, je m’efforcerai, sans entrer dans les détails, de mettre l’accent sur les points marquants du rapport et de vous fournir une mise à jour des informations qu’il contient.

Depuis la présentation du précédent rapport en novembre 2004, les trois Chambres de première instance et la Chambre d’appel du Tribunal ont travaillé au maximum de leur capacité, les premières menant six procès de front. C’est ainsi que six affaires, en moyenne, sont jugées par les différentes sections des Chambres de première instance, composées chacune de trois juges. Comme il est indiqué dans le rapport, deux jugements ont été rendus depuis novembre dernier et il est prévu que, d’ici à novembre prochain, quatre autres jugements ou arrêts seront rendus dans des affaires mettant en cause sept accusés. Par conséquent, d’ici à la fin de l’année 2005, quatre autres procès pourront s’ouvrir. Les Chambres du Tribunal travaillent à un rythme soutenu.

Le nouveau rapport met également en évidence le fait que 22 nouveaux accusés sont arrivés à La Haye durant le semestre écoulé. C’est ainsi que, depuis ma dernière présentation au Conseil de sécurité, le nombre des accusés attendant l’ouverture de leur procès a augmenté de plus de 50 %. Cette augmentation spectaculaire a bien évidemment des conséquences importantes pour la stratégie d’achèvement des travaux du Tribunal.

Après avoir évoqué ces deux questions liminaires essentielles, permettez-moi, Monsieur le Président, de passer en revue les principaux points mentionnés dans le rapport et d’insister, en particulier, sur les mises à jour importantes qui y sont effectuées.

Parmi les mesures internes prises pour mettre en śuvre la stratégie d’achèvement des travaux, figurent les importantes modifications du Règlement de procédure et de preuve du Tribunal que nous avons adoptées, et notamment celle concernant son article 98 bis (« Acquittement ») selon lequel les parties présentent désormais des arguments oraux, et non écrits. Je suis heureux d’annoncer que cette modification a déjà eu un effet bénéfique puisqu’elle permet au Tribunal de garantir aux accusés un procès rapide sans compromettre leurs droits à une procédure régulière. Avant cette modification, les Chambres de première instance pouvaient consacrer plusieurs mois à la procédure prévue par l’article 98 bis.

J’ai également désigné des juges pour former deux groupes de travail chargés de trouver des solutions pour accélérer les procès en première instance et les procédures en appel. Le groupe de travail chargé des procès en première instance (présidé par le Juge Bonomy) réfléchit aux mesures qui pourraient être prises pour accélérer les procès, mesures consistant, entre autres, à modifier le nombre d’affaires traitées par le Tribunal, à ménager d’autres salles d’audience ou à rationaliser les procédures durant la phase préalable au procès et pendant celui-ci. Les juges du Tribunal ont longuement débattu de ces mesures la semaine dernière. Le groupe de travail chargé de trouver des solutions pour accélérer les procédures en appel (présidé par le Juge Mumba) axe quant à lui son attention sur les règles gouvernant l’admissibilité des moyens de preuve supplémentaires en appel et sur les dispositions concernant la traduction des décisions et des jugements à l’intention des appelants – celle-ci pouvant peser sur les délais d’examen des recours en appel. D’ici à la prochaine session plénière des juges du Tribunal, prévue en juillet, j’espère que les deux groupes de travail auront fait des recommandations en faveur de solutions concrètes et réalisables.

J’en viens maintenant, Monsieur le Président, aux juges ad litem et je tiens à remercier le Conseil de sécurité qui a adopté en 2005 la résolution 1597 modifiant le Statut du Tribunal pour permettre de réélire les juges ad litem. Je reste toutefois très préoccupé par le nombre insuffisant de candidats. Ce problème a déjà eu pour effet de retarder l’élection du nouveau groupe de juges ad litem qui fait cruellement défaut au Tribunal. Pour que des juges puissent siéger dans de nouveaux procès dans les meilleurs délais, il est absolument nécessaire que le Président dispose d’un groupe de juristes éminents désireux de servir le Tribunal et prêts à travailler souvent dans les plus brefs délais, à cette étape décisive de son histoire. J’adresse un appel à tous les États qui n’ont pas encore désigné leurs candidats à l’élection des juges ad litem pour qu’ils présentent la candidature de juristes expérimentés. Il s’agit là d’une occasion unique pour tous ceux qui souhaitent faire progresser la cause de la justice internationale.

Je vais maintenant aborder l’un des éléments-clés de la stratégie d’achèvement des travaux du Tribunal : le renvoi devant les juridictions nationales compétentes des accusés de rang intermédiaire ou subalterne. Je souhaiterais en particulier rappeler l’ouverture le 9 mars 2005, au sein de la Cour d’État de Bosnie-Herzégovine, d’une chambre spécialisée dans les crimes de guerre (la « Chambre des crimes de guerre »). Beaucoup de temps et d’efforts ont été consacrés à la réalisation de ce projet et la Chambre des crimes de guerre siégeant à Sarajevo est désormais en mesure de juger les affaires que la Formation de renvoi du Tribunal peut décider de déférer aux autorités de Bosnie-Herzégovine. Les autorités et la population bosniaques, le Haut Représentant, les États Membres donateurs et la communauté internationale ont permis ensemble à ce projet d’aboutir et le Tribunal ainsi que son personnel sont heureux d’avoir participé à cette entreprise.

Le rapport indique qu’à ce jour, le Procureur a présenté en application de l’article 11 bis du Règlement 10 demandes de renvoi concernant 18 accusés. Dans la pièce jointe V, il apparaît qu’une seule de ces demandes a été accueillie par la Formation de renvoi qui a déféré l’affaire aux autorités de Bosnie-Herzégovine afin qu’elles saisissent la Chambre des crimes de guerre à Sarajevo pour en juger. Le renvoi de cette affaire est toutefois suspendu jusqu’à ce que la Chambre d’appel se prononce sur les recours qui ont été formés devant elle. Il est à noter que la Formation de renvoi a déjà tenu des audiences consacrées à six autres affaires mettant en cause 13 accusés.

En conséquence, de nouvelles décisions relatives aux requêtes du Procureur aux fins de déférer d’autres affaires aux juridictions nationales compétentes devraient être rendues très prochainement. En outre, ainsi qu’il l’indique dans ses propres évaluations, le Procureur envisage de présenter d’autres demandes de renvoi fondées sur l’article 11 bis du Règlement.

Pour ce qui est de la coopération apportée par les États de la région, j’ai déjà fait état de l’augmentation spectaculaire du nombre des transfèrements, notamment d’accusés en fuite, au Tribunal. Ces progrès sont dus principalement aux efforts des autorités de la Serbie-et-Monténégro, parfois conjugués à ceux des autorités de la Republika Srpska. Je reviendrai dans la suite de ma présentation sur les conséquences de l’arrivée de ces nouveaux accusés à La Haye.

S’agissant de la Croatie, si les résultats obtenus dans certains domaines restent satisfaisants, le fait que les autorités croates n’ont toujours pas appréhendé et transféré Ante Gotovina à La Haye constitue le dernier obstacle à une coopération pleine et entière de cet État avec le Tribunal et demeure un sujet de préoccupation grave.

S’agissant de la Republika Srpska, excepté l’aide fournie par cet État concernant l’arrivée d’un petit nombre d’accusés, dont certains fugitifs, la coopération avec le Tribunal demeure par trop insuffisante dans d’autres domaines. Il faut noter en particulier l’absence de tout effort sérieux pour localiser et arrêter des fugitifs aussi célèbres que Radovan Karadžic et Ratko Mladic.

La coopération fournie par la Serbie-et-Monténégro s’est améliorée avec l’arrivée de plusieurs accusés, dont certains étaient en fuite. Durant la réunion et les discussions approfondies que j’ai eues en mars 2005 avec M. Koštunica, Premier Ministre, et M. Tadic, Président de la Serbie, je les ai exhortés ŕ obtenir l’arrestation des autres fugitifs soupçonnés d’ętre en Serbie-et-Monténégro ou en Republika Srpska. Le fait que Ratko Mladic n’a toujours pas été appréhendé et transféré ŕ La Haye reste le principal obstacle à une coopération entièrement satisfaisante.

Permettez-moi d’ajouter, Monsieur le Président, que, bien évidemment, lorsque nos trois principaux fugitifs franchissent les frontières dans l’espoir d’échapper à une arrestation, l’obligation de les poursuivre et de les appréhender incombe entièrement aux autorités de l’État où ils se trouvent temporairement. Aussi est-il nécessaire que les États de la région redoublent d’efforts pour favoriser l’entraide judiciaire. J’ai sans cesse rappelé que, si l’on ne peut compter sur la reddition volontaire des personnes accusées de crimes de guerre, il incombe aux États de la région, du fait de leurs obligations internationales, d’arrêter et de transférer ces personnes sans délai.

Comme je l’ai déjà dit à maintes reprises aux membres du Conseil, le Tribunal n’aura pas accompli sa mission historique et ne fermera pas ses portes avant que MM. Karadžic, Mladic et Gotovina ne soient arrętés et transférés ŕ La Haye pour y être jugés dans le respect des garanties de procédures reconnues par notre jurisprudence.

J’en viens aux prévisions mises à jour concernant la mise en śuvre de la stratégie d’achèvement. Dans mes évaluations de novembre 2004, j’avais prévu que, d’ici à 2008, le Tribunal serait en mesure d’achever les procès de tous les accusés remis à sa garde (y compris celui d’Ante Gotovina à condition qu’il arrive avant 2006). J’avais toutefois signalé que, dans l’hypothèse d’une nouvelle augmentation du nombre d’affaires, le Tribunal ne pourrait respecter cette échéance que si certains accusés décidaient de plaider coupable. J’avais également dit que si des accusés nouvellement inculpés ou des fugitifs étaient transférés et jugés dans le cadre d’une procédure disjointe, « il [était] probable qu’il ne [serait] pas possible d’achever tous les procès des accusés actuellement détenus par le Tribunal avant la fin de 2009 ».

Comme il ressort clairement du rapport qui vous a été remis, certains facteurs influant sur la mise en śuvre de la stratégie d’achèvement des travaux ont disparu et d’autres doivent maintenant être pris en compte. Permettez-moi de les aborder un par un :

Premièrement, le nombre de nouveaux actes d’accusation. Ainsi qu’il est indiqué dans le rapport, sept actes d’accusation récemment établis ou modifiés ont été présentés depuis mon rapport de novembre. Cinq d’entre eux donneront lieu à des procédures nouvelles et disjointes. S’agissant des deux autres, établis contre cinq accusés, j’ai cru comprendre que le Procureur avait l’intention de joindre ces affaires avec d’autres instances déjà en cours.

Deuxièmement, le nombre d’affaires déférées en application de l’article 11 bis. Comme je viens de l’indiquer, une seule des 10 demandes pendantes devant la Formation de renvoi a été accueillie et fait actuellement l’objet d’un recours en appel. Six autres ont été examinées en audience. Si je suis d’ores et déjà en mesure d’annoncer que la Formation de renvoi rendra plusieurs décisions d’ici à la fin du mois, je ne puis ni ne veux conjecturer l’issue de ces demandes.

Troisièmement, le nombre de plaidoyers de culpabilité. Il me faut simplement signaler à ce propos qu’il n’y a eu aucun nouveau plaidoyer de culpabilité depuis mon dernier rapport.

Quatrièmement, l’arrivée de nouveaux accusés et fugitifs. L’arrivée à La Haye de 22 nouveaux accusés ou fugitifs nous oblige à revoir nos prévisions, ainsi que je l’avais signalé dans mon précédent rapport au Conseil de sécurité. Désormais, nous partons de l’hypothèse que 10 au moins de ces accusés seront jugés dans le cadre de sept nouveaux procès (cinq instances distinctes, un procès unique pour deux accusés et un procès unique pour trois autres). Pour ce qui est des 12 accusés restants, le Procureur a déjà demandé la jonction de l’instance introduite contre trois d’entre eux avec une autre. Je crois comprendre que le Procureur envisage également de demander que sept accusés soient jugés dans le cadre d’un autre procès en cours, ce qui donnerait lieu à un « méga procès » dans lequel huit ou neuf personnes se retrouveraient ensemble sur le banc des accusés. Enfin, une requête aux fins du renvoi de deux nouveaux accusés devant des juridictions nationales a été présentée en vertu de l’article 11 bis du Règlement. Bien évidemment, je ne saurais préjuger des décisions des Chambres de première instance concernant les demandes de jonction d’instances, et encore moins de la décision du Procureur de présenter des requêtes en ce sens.

Quant aux 10 fugitifs qui n’ont toujours pas été remis au Tribunal et à l’incidence que leur transfèrement pourrait avoir sur le nombre des affaires, il convient de signaler que six d’entre eux sont mis en cause conjointement avec des personnes se trouvant déjà à La Haye, et, dans ce cas, une procédure nouvelle et distincte ne s’impose pas. Dans l’intervalle, le Procureur étudie l’opportunité de présenter une demande de jonction d’instances concernant deux autres accusés. L’arrestation de Radovan Karadžic et de Ratko Mladic donnerait lieu ŕ un procčs unique, à condition qu’ils soient remis au Tribunal à peu près à la même date. Une chose est sûre, leur procès sera long et complexe, mais personne ne peut prévoir l’effet qu’il pourrait avoir sur le calendrier d’achèvement des travaux avant de connaître les dates de leur transfèrement à La Haye et du début de la présentation des moyens à charge et à décharge. Il va de soi qu’afin d’établir des prévisions et de s’assurer que le Tribunal termine le plus rapidement possible ses travaux, il est essentiel que ces deux accusés soient au plus tôt appréhendés et remis au Tribunal.

Cinquièmement, la date à laquelle les accusés encore en fuite seront transférés à La Haye. Ce facteur revêt une importance cruciale pour la stratégie d’achèvement mais ne saurait être déterminé avec précision. S’il est possible d’estimer grosso modo la durée d’un procès avant l’arrivée d’un accusé, nous devons attendre que ce dernier soit transféré à La Haye pour évaluer divers facteurs – l’état de préparation des parties, la possibilité d’une jonction d’instances et la disponibilité des salles d’audience et des juges.

Sixièmement, les suites données aux demandes de jonction d’instances. Ainsi que je l’ai dit précédemment, les Chambres de première instance sont saisies de plusieurs demandes de jonction d’instances présentées par le Procureur et ce dernier envisage de déposer d’autres requêtes en ce sens. Les Chambres de première instance devraient se prononcer sous peu sur les demandes pendantes. Si elles y font droit, des procès pourraient réunir jusqu’à huit ou neuf accusés. Bien entendu, une jonction d’instances n’est pas la solution idéale, dans la mesure où des délais supplémentaires seront nécessaires pour mener le procès à terme, mais, à la différence d’un procès distinct pour chaque accusé, elle représente un gain de temps incontestable pour le Tribunal. Ainsi qu’il est dit dans mon rapport, je suis favorable à toute solution nous permettant de réaliser un gain de temps important, à condition qu’elle soit compatible avec les garanties de procédure et les droits des accusés.

Permettez-moi, Monsieur le Président, d’aborder une autre question d’importance. Si, de toute évidence, le transfèrement des accusés et des fugitifs compromet l’achèvement des travaux du Tribunal dans les délais prévus, on ne peut que se réjouir de l’arrivée à La Haye de criminels de guerre présumés. Les personnes accusées d’avoir commis des crimes de guerre doivent être traduites en justice et on ne saurait leur permettre de se mettre à l’abri dans l’espoir que le Tribunal ferme ses portes sans qu’elles soient retrouvées et appréhendées. L’arrivée à La Haye d’un nombre aussi important d’accusés est un pas de plus vers l’achèvement de la mission du Tribunal : poursuivre les personnes accusées d’avoir commis des crimes de guerre dans l’ex-Yougoslavie.

À propos des prévisions actuelles, il convient de garder à l’esprit que toute prévision ne peut, par nature, être qu’hypothétique, car elle fait intervenir des impondérables. Ainsi, je pourrais dire que s’il est fait droit à toutes les demandes de renvoi présentées en application de l’article 11 bis du Règlement et à toutes les demandes de jonction d’instances, que si aucun autre fugitif n’est transféré à La Haye et si aucun autre accusé ne plaide coupable, tous les procès pourraient se conclure dans le courant de l’année 2009. Mais tous ces « si » indiquent que ces prévisions reposent sur des hypothèses qui seront revues à la lumière des réalités.

Si, par exemple, les trois fugitifs les plus connus – Radovan Karadzic, Ratko Mladic et Ante Gotovina – étaient arrętés prochainement, la tenue de leurs procčs prolongerait de quatre à sept mois, selon les possibilités de jonctions d’instances, le temps nécessaire pour achever les procès en première instance. Par ailleurs, si la moitié des demandes de renvoi, déjà présentées ou prévues, était rejetée, la date d’achèvement des procès en première instance serait, selon nos prévisions, repoussée de neuf mois. En outre, si la plus importante demande de jonction d’instances concernant ce qui est appelé le « méga procès » venait à être rejetée, il faudrait sans doute encore ajouter trois mois au total pour juger tous ces accusés. Tout autre événement imprévu – interruptions de la procédure pour raisons médicales, plaidoyers de culpabilité, etc. – pourrait également modifier nos prévisions.

En conséquence, tout ce que je peux dire c’est que des procès se tiendront nécessairement en 2009 et se poursuivront, selon toute probabilité, jusqu’à la fin de cette année. Lorsque le prochain rapport vous sera présenté dans six mois, le Président devrait, pour ses évaluations, pouvoir se fonder sur des faits plus précis. Il faut espérer que d’ici le mois de novembre, toutes les demandes de renvoi et de jonction d’instances, présentées ou qui pourraient l’être, auront été tranchées. L’arrivée de nouveaux accusés nous fournira des informations supplémentaires concernant l’ensemble des affaires dont le Tribunal sera saisi et les délais qu’il lui faudra respecter. De plus, les juges auront examiné des recommandations en vue d’accélérer les procès en première instance et les procédures en appel.

Avant de conclure, permettez-moi d’aborder une autre question soulevée dans mon rapport : la possibilité d’aménager une quatrième salle d’audience. En effet, une salle d’audience supplémentaire présenterait à mes yeux bien des avantages et nous permettrait d’accélérer les procès en première instance et les procédures en appel. Les avantages d’une quatrième salle d’audience sont énumérés dans mon rapport. Nous y gagnerons même si nous continuons de mener six procès de front ou, a fortiori, si trois autres juges ad litem étaient nommés pour constituer un septième collège de juges, ce qui aiderait à résorber l’arriéré judiciaire. Je tiens à souligner que je ne demanderai pas que la construction de cette salle d’audience soit financée sur le budget de l’Organisation des Nations Unies ; je compte évoquer la question avec des donateurs éventuels en leur exposant l’utilité à long terme d’une salle d’audience supplémentaire pour la rapidité des procès et des procédures en appel. C’est là une question que nous commençons seulement à étudier et le Président y reviendra sans doute devant le Conseil de sécurité, une fois que le projet aura pris forme. À ce propos, les commentaires que les membres du Conseil de sécurité pourraient formuler seront les bienvenus et nous comptons, comme toujours, sur les orientations et l’impulsion du Conseil.

Monsieur le Président, avant de conclure, je souhaite évoquer le dixième anniversaire d’un massacre qui, par sa nature et son ampleur, rappelle ceux commis pendant la Seconde Guerre mondiale. Au mois de juillet prochain, dix ans se seront écoulés depuis le massacre – le génocide – de Srebrenica. Je voudrais citer un extrait du paragraphe 37 de l’Arrêt Krstic rendu par la Chambre d’appel le 19 avril 2004 :

« En cherchant à éliminer une partie des Musulmans de Bosnie, les forces serbes de Bosnie ont commis un génocide. Elles ont śuvré à l’extinction des 40 000 Musulmans de Bosnie qui vivaient à Srebrenica, un groupe qui était représentatif des Musulmans de Bosnie dans leur ensemble. Elles ont dépouillé tous les hommes musulmans faits prisonniers, les soldats, les civils, les vieillards et les enfants de leurs effets personnels et de leurs papiers d’identité, et les ont tués de manière délibérée et méthodique du seul fait de leur identité. Les forces serbes de Bosnie savaient, quand elles se sont lancées dans cette entreprise génocidaire, que le mal qu’elles causaient marquerait à jamais l’ensemble des Musulmans de Bosnie. La Chambre d’appel affirme clairement que le droit condamne expressément les souffrances profondes et durables infligées, et elle donne au massacre de Srebrenica le nom qu’il mérite : un génocide. Les responsables porteront le sceau de l’infamie qui s’attache à ce crime, et les personnes qui envisageraient à l’avenir de commettre un crime aussi odieux seront dès lors mises en garde. »

Dix ans après Srebrenica, c’est une honte que Radovan Karadžic et Ratko Mladic soient toujours en liberté. Tant qu’ils le seront, je ne prendrai pas part aux cérémonies commémoratives organisées ŕ Srebrenica.

À l’approche de cette date anniversaire, il convient de souligner que c’est vers le Conseil de sécurité que la communauté internationale, le public, et en particulier les victimes se tournent pour qu’il prenne des initiatives et pour que justice soit faite. Le Tribunal incarne l’engagement pris par le Conseil de sécurité en faveur d’une justice internationale, de l’état de droit, de la lutte contre l’impunité, de la paix et de la réconciliation. Au Tribunal, nous śuvrons pour que la mission que vous nous avez confiée soit menée à bien.

Nous nous engageons à redoubler d’efforts pour que justice soit faite, pour les victimes comme pour les accusés, pour que les garanties de procédure soient respectées et pour que les criminels de guerre mis en cause ne restent pas impunis mais soient jugés au terme d’un procès équitable. Grâce à l’appui des membres du Conseil de sécurité, je suis persuadé que la lourde tâche qui nous est confiée sera, d’ici la fin de notre mandat, couronnée de succès.

Monsieur le Président, je souhaite dire quelques mots à titre personnel. Au fil des ans, le Conseil de sécurité a joué un rôle décisif en utilisant son pouvoir et son prestige pour lutter contre l’impunité, établir la responsabilité pénale individuelle des auteurs d’atrocités et pour infliger des sanctions à ceux qui violent les droits de l’homme et les principes du droit humanitaire. L’initiative du Conseil de sécurité, fondée sur le Chapitre VII de la Charte des Nations Unies, de créer les tribunaux ad hoc en 1993 et 1994 – cinquante ans après Nuremberg – a marqué un tournant majeur. Elle a non seulement permis que les principaux responsables des atrocités commises dans les Balkans et au Rwanda soient jugés et punis, mais elle a aussi donné naissance à un corpus de décisions dans le domaine du droit pénal international et en matière de procédure et de preuve, c’est-à-dire à des règles de droit qui seront l’héritage historique des tribunaux ad hoc. Bien sûr, il reste encore beaucoup à faire pour combattre l’impunité dans les régions qui échappent à la compétence des tribunaux ad hoc. Le Conseil de sécurité a le pouvoir et la responsabilité de tout mettre en śuvre pour parvenir à cet objectif. À mes yeux, la décision prise par le Conseil de sécurité, en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies, de déférer à la Cour pénale internationale la situation au Darfour constitue une nouvelle étape déterminante dans l’évolution historique du principe de la lutte contre l’impunité. Cette décision montre bien que la communauté internationale est fermement engagée à respecter le principe selon lequel les auteurs des crimes contre l’humanité devront rendre des comptes. Elle témoigne aussi de la portée du Chapitre VII et de son efficacité lorsqu’il s’agit de promouvoir ce principe partout dans le monde. C’est en spécialiste du droit international humanitaire que je félicite le Conseil de sécurité de la décision avisée qu’il a prise au printemps.

Monsieur le Président, Excellences, à la mi-novembre, mon mandat de Président du Tribunal prendra fin et je continuerai à siéger au sein de la Chambre d’appel. C’est donc la dernière fois que je m’adresse au Conseil de sécurité en qualité de Président du Tribunal. Je souhaite saisir cette occasion pour vous exprimer à vous et à tous les membres de cette assemblée ma sincère gratitude pour le soutien sans faille que vous apportez au Tribunal et à la justice internationale et pour l’aide que vous m’avez généreusement offerte pendant l’exercice de mes fonctions.

Je vous remercie.

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