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Déclaration à la presse de Carla Del Ponte, Procureur des Tribunaux pénaux internationaux pour l’ex-Yougoslavie et pour le Rwanda

PROCUREUR
COMMUNIQUÉ DE PRESSE
(Destiné exclusivement à l’usage des médias. Document non officiel.)
La Haye, le 20 décembre 2000
FH/P.I.S/550-f

Déclaration à la presse de Carla Del Ponte, Procureur des Tribunaux pénaux internationaux pour l’ex-Yougoslavie et pour le Rwanda

Veuillez trouver ci-dessous le texte intégral de la déclaration faite par le Procureur le 20 décembre 2000 à La Haye :

Comme il s’agit du dernier point presse de l’année 2000, j’aimerais prendre quelques minutes pour revenir sur ce que nous avons accompli cette année et m’attarder ensuite sur les travaux que nous mèneront l’année prochaine.

Ceux d’entre vous qui suivent régulièrement le travail du Tribunal auront remarqué que l’année 2000 a été marquée par une forte activité – sur le terrain, en salle d’audience et sur le plan politique dans les Balkans. Le tournant dans la région qu’a constitué la chute de Milošević commence tout juste à se ressentir dans mon bureau. La première étape sera celle de la réouverture de notre bureau de liaison à Belgrade. Une équipe de La Haye s’est déjà rendue sur place et nous pensons avoir identifié des locaux adaptés, avec l’aide précieuse des autorités de la RFY. Je souhaite que notre nouveau bureau ait été établi au début de l’année 2001 et prévois de me rendre à Belgrade au cours de la nouvelle année. J’espère avoir la possibilité de rencontrer le Président Kostunica d’ici peu, une fois que les élections auront eu lieu et que la situation sera redevenue calme.

En ce qui concerne l’interview donnée hier par le Président Kostunica au sujet de la nécessité pour tous les pays de la région d’assumer eux-mêmes le processus judiciaire, j’aimerais faire la déclaration suivante :

Le Président Kostunica aurait raison si nous vivions dans un monde parfait, mais ce n’est hélas pas le cas.

Dans un monde parfait, il n’aurait pas fallu attendre 10 ans pour que le Chili démocratique entame des poursuites contre Pinochet (et ce, seulement en raison de circonstances exceptionnelles et de pressions externes, avec des résultats extrêmement incertains). Dans un monde parfait, nous pourrions demander aux autorités de la Republika Srpska, à Pale, de juger Karadžić et Mladić – pourquoi devraient-elles être privées de ce « droit » si Belgrade est autorisée à juger Milošević et d’autres accusés sur son territoire ?

Le Président Kostunica pourra peut-être poursuivre Milošević pour détournement de fonds ou fraude électorale. Cependant, la Yougoslavie n’est pas et ne sera pas - avant de nombreuses années - en position de mener un procès équitable sur la base des chefs d’accusation actuels et ultérieurs retenus par ce Tribunal. Il y a de nombreuses raisons à cela :

Tout d’abord, le mandat du Tribunal est clair et prévaut sur celui de toute juridiction nationale. C’était, et cela demeure, la volonté du Conseil de sécurité de l’ONU et de la communauté internationale dans son ensemble.

Jusqu’à présent, l’establishment de Milošević est très largement resté en place, mais l’on peut (peut-être) s’attendre à des changements au plus haut de la hiérarchie dans la période suivant le 23 décembre. Toutefois, ce que nous constatons pour l’instant, c’est que des personnes clés du régime de Milošević continuent à compter sur la confiance du nouveau Président.

À Belgrade, le débat à tendance à ne porter que sur la Serbie, en tant que victime de Milošević. Le peuple serbe a dû, en effet, endurer la politique de Milošević et en subir les conséquences. Mais qu’en est-il des autres victimes ? Les Bosniaques, les Albanais du Kosovo et les Croates entre autres ? Ces centaines de milliers de personnes qui ont été la proie d’une guerre barbare, d’un nettoyage ethnique, de torture, de viol, etc. Indépendamment des préoccupations évidentes et légitimes concernant leur sécurité, s’est-on demandé comment elles réagiraient quand on leur demanderait d’aller témoigner à Belgrade ? Comment la justice en RFY– qui pendant des décennies n’a été qu’un instrument aux mains du pouvoir – peut-elle acquérir la moindre crédibilité ?

Toutelaraison d’être de la justice internationale est précisément de traiter ses affaires particulièrement difficiles, pour lesquelles les juridictions nationales ne sont pas bien équipées. Tous les accusés, témoins et victimes doivent bénéficier des mêmes droits étendus pendant le procès – quelles que soient leur position respective vis-à-vis de l’État. La justice internationale doit intervenir à tout moment et en tout lieu lorsque l’indépendance absolue du système judiciaire ne peut être garantie, pour des raisons politiques ou autres.

Il n’est pas facile, pour un gouvernement, de faire face aux spectres de son histoire récente. Cela demande du courage et un véritable engagement en faveur de la justice. J’attends de la communauté internationale qu’elle aide le Président Kostunica à le comprendre et a l’accepter – s’il entend véritablement poser les fondations d’une nouvelle Yougoslavie démocratique et pacifique.

Certains d’entre vous s’attendaient peut-être à ce que je présente un nouvel acte d’accusation à l’encontre de Slobodan Milošević avant la fin de l’année. Je ne suis pas en mesure de le faire aujourd’hui, mais je peux vous répéter que l’acte d’accusation initial ne reflète pas toute l’étendue de notre travail sur les activités de l’ancien Président. Nos enquêtes sur sa participation en Croatie, en Bosnie-Herzégovine et à d’autres évènements au Kosovo se poursuivent afin de présenter des chefs d’accusation d’une plus grande portée et précision que ceux de l’acte d’accusation actuel. Mais quelle que soit la forme des chefs d’accusation qui seront finalement retenus, ma position reste la même, à savoir que Milošević et tous les autres accusés de la RFY doivent être jugés à La Haye. Je mène à cette fin des enquêtes sur les avoirs financiers des accusés. J’aimerais que leurs comptes bancaires soient gelés et que l’argent qui s’y trouve serve un jour à indemniser les victimes. Cette question a été évoquée devant le Conseil de sécurité.

Vous avez également entendu parler de nos rapports avec la Croatie et vous aurez remarqué que la question de notre coopération avec les autorités de Zagreb fait une fois encore ouvertement débat. Cette question est devenue centrale, en raison notamment de la conclusion du procès de Dario Kordić la semaine dernière. Ce procès a souligné le besoin d’une coopération urgente. D’importants documents croates avaient été demandés afin d’être présentés comme éléments de preuve et les délais fixés pour leur communication se sont écoulés avant qu’ils n’aient été remis à la Chambre de première instance. Lorsque la procédure a pris fin, de nombreux documents clés avaient été fournis. Certains d’entre eux ont joué un rôle significatif pour prouver les faits, mais d’autres ont été communiqués trop tard et sans avoir été authentifiés comme il se doit par des témoins, de sorte que les Juges ne les ont pas versés au dossier.

Ce procès a révélé que la coopération de la Croatie pose encore problème à certains égards. J’espérais que ces difficultés avaient été résolues après mes rencontres avec M. Granić, mais j’ai été déçue de voir la question de la coopération encore politisée dans les médias croates. Les autorités croates ont le droit d’avoir leur opinion sur les travaux de ce Tribunal. Elles ont le droit de formuler des critiques sur l’activité de mon bureau et sur ses priorités, mais ces décisions m’appartiennent seule. La Croatie ne saurait rendre sa coopération aux enquêtes et poursuites tributaires du fait qu’elles les approuvent ou non. Les obligations internationales de la Croatie ne résultent pas des définitions données par son droit interne, mais lui sont imposées par le Statut du Tribunal, le Conseil de sécurité et le chapitre VII de la Charte des Nations Unies. Ne perdons pas cela de vue et ne laissons pas les médias faire de la situation un sujet de débat public. Je suis convaincue que si nous voulons vraiment trouver des solutions, il nous faut aborder les difficultés liées à cette question sensible à l’occasion de face-à-face privés et non dans les journaux. Je suis disposée à reprendre notre dialogue l’année prochaine et j’espère que nous pourrons ainsi surmonter les derniers obstacles.

Nous avons constaté des changements politiques en Republika Srpska et j’attends d’établir des relations avec les autorités nouvellement élues. Il est peut-être trop tôt pour dire quelle sera l’évolution de nos relations, mais nous avons encore beaucoup de travail à faire en Bosnie-Herzégovine. L’année dernière, nous avons estimé qu’il nous faudrait encore enquêter pendant quatre ans pour accomplir notre mandat. Nous sommes en bonne voie pour poursuivre nos enquêtes jusqu’à la fin de l’année 2004 et rien ne nous a obligés à revoir ces estimations. Je continuerai de chercher à dresser des actes d’accusation sous scellés et de communiquer à la SFOR des exemplaires des mandats d’arrêt comme nous l’avons fait par le passé.

Pour ce qui est du Kosovo, vous ne verrez pas l’année prochaine d’exhumations de la même ampleur que celles de ces deux dernières années. Peut-être avez-vous déjà eu quelques chiffres. Notre programme d’exhumations a été mené à bien. Cette année, nos équipes ont examiné 325 sites de fosses communes, exhumé 1 577 corps entiers et retrouvé des restes humains dans 258 cas. Nos pathologistes ont mené au total 1 807 autopsies. Il est bien évident que les travaux des équipes médicolégales ne suffisent pas à donner une estimation précise du nombre de personnes tuées au Kosovo, mais au cours de notre programme d’exhumation, qui a duré plus de deux ans, nous avons retrouvé les restes de quelque 4 000 victimes.

L’année prochaine, nous conduirons beaucoup moins de travaux d’exhumations, mais nous entendons bien poursuivre le travail scientifique sur des sites de Bosnie-Herzégovine et de Croatie. Dans ces deux pays, nous avons examiné huit sites cette année et découvert les restes de quelques 500 victimes. L’année prochaine, ce travail continuera sur d’autres sites.

Vous avez constaté que le calendrier des procès a été très chargé cette année à La Haye, et que certains procès clés, tels que ceux de Krstić et de Kordić, touchent maintenant à leur fin. Outre les cinq affaires que vous avez suivies cette année, huit autres sont prêtes à être jugées au premier semestre 2001 ou sont en cours de préparation. L’année prochaine, dans le cadre de l’affaire Galić, nous examinerons les premiers éléments de preuve exclusivement relatifs à Sarajevo, et le procès Krajišnik sera le premier à concerner de hauts dirigeants serbes de Bosnie. Ces affaires vont élargir de façon importante l’éventail des poursuites engagées par le Tribunal.

J’aimerais donc vous encourager à continuer à suivre nos travaux comme vous l’avez fait cette année. Je suis sûre que l’année prochaine sera très intéressante dans la vie du Tribunal et que notre activité augmentera avec l’arrivée de nouveaux juges et l’ouverture de nouveaux procès. Je vous remercie d’avoir tant suivi et commenté nos travaux ces 12 derniers mois. Je vous souhaite un joyeux Noël et une bonne année.

Je répondrai maintenant volontiers à vos questions.