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Déclaration prononcée par le Juge Theodor Meron, Président du Tribunal Pénal International pour l'ex-Yougoslavie, devant le Conseil de sécurité de l'organisation des Nations Unies

Press Release . Communiqué de presse

(Exclusively for the use of the media. Not an official document)


PRESIDENT
PRÉSIDENT:

La Haye , 9 octobre 2003

JL/S.I.P./788-f


DÉCLARATION PRONONCÉE PAR LE JUGE THEODOR MERON, PRÉSIDENT DU TRIBUNAL PÉNAL INTERNATIONAL

POUR L'EX-YOUGOSLAVIE,

DEVANT LE CONSEIL DE SÉCURITÉ

DE L'ORGANISATION DES NATIONS UNIES

LE 8 OCTOBRE 2003


Le texte ci-dessous a été distribué aux membres du Conseil de sécurité, le 8 octobre 2003.




Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs, Mesdames et Messieurs,


C'est un grand honneur pour moi de prendre la parole devant cette éminente assemblée. Je suis d'autant plus honoré que je me présente devant vous accompagné par Monsieur l'Ambassadeur Ashdown. Depuis plusieurs années maintenant, Lord Ashdown apporte un concours indéfectible et précieux à la communauté internationale. Je tiens à rendre hommage à sa sagesse et à ses
compétences.


Au cours de l'année dernière, vous avez entendu parler de Monsieur l'Ambassadeur Ashdown à travers plusieurs aspects de sa mission en Bosnie-Herzégovine. Je suis ici devant vous pour vous exposer plus en détail un volet de cette mission qui mérite votre soutien, à savoir la création d'une Chambre spéciale chargée des crimes de guerre au sein de la Cour d'État de
Bosnie-Herzégovine.


La création de la Chambre des crimes de guerre à Sarajevo émane d'une initiative commune du Bureau du Haut Représentant et du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie. En février dernier, mon prédécesseur Monsieur Claude Jorda, de France, en sa qualité de Président du TPIY, et l'adjoint principal de Monsieur Ashdown, Monsieur l'Ambassadeur Bernard Fassier, ont élaboré une
proposition conjointe visant à définir la structure et le financement de la Chambre des crimes de guerre. À deux occasions, j'ai eu l'honneur de parler de cette proposition au Comité directeur du Conseil pour la mise en œuvre de la paix, et je suis reconnaissant à ce dernier de l'avoir avalisée en juin 2003. Je me félicite aussi que le Conseil de sécurité ait également donné son
accord à la création de la Chambre des crimes de guerre dans sa Résolution 1503 du 28 août 2003, appelé à sa "création rapide" et exhorté la communauté des donateurs à soutenir financièrement le projet.


Aujourd'hui, nous passons des intentions à l'action. Dans le courant de ce mois, le Tribunal pour l'ex-Yougoslavie accueillera en ses murs, à La Haye, une conférence des donateurs organisée à l'initiative du Bureau du Haut Représentant. Cette conférence, qui s'inscrit dans la suite de deux réunions tenues à Sarajevo, a pour objet de mettre en place l'organisation financière de la
Chambre des crimes de guerre. Une fois cette organisation en place, plusieurs groupes de travail seront créés en vue de réfléchir à l'élaboration de bon nombre des politiques détaillées nécessaires au bon fonctionnement de la Chambre spéciale. Ces groupes — composés de représentants du Bureau du Haut Représentant, du Tribunal pour l'ex-Yougoslavie, des départements concernés du
gouvernement de Bosnie-Herzégovine et d'organisations intéressées par ce projet, comme l'OSCE, le Conseil de l'Europe et la Mission de police de l'Union européenne — se pencheront sur des questions telles que l'élaboration du règlement de procédure et de preuve, la protection des témoins, les enquêtes, la détention ainsi que les modalités de renvoi d'affaires instruites par le
Tribunal pour l'ex-Yougoslavie et le transfert d'éléments de preuve en sa possession.


La Chambre des crimes de guerre de Sarajevo assumera différentes fonctions essentielles et apportera une contribution cruciale à la réalisation de plusieurs objectifs importants fixés par la communauté internationale.


Tout d'abord, du point de vue du Tribunal pour l'ex-Yougoslavie, la création de la Chambre des crimes de guerre constitue, comme l'a souligné le Conseil de sécurité dans sa Résolution 1503, une "condition sine qua non" pour atteindre les objectifs de la stratégie d'achèvement de ses travaux, qui lui permettra de s'acquitter de sa mission dans les délais fixés par le Conseil de
sécurité. Le succès de cette stratégie d'achèvement requiert, entre autres, que le Tribunal international concentre davantage ses activités sur la poursuite des plus hauts dirigeants soupçonnés ou accusés de porter la plus grande responsabilité dans les crimes relevant de sa compétence et qu'il adopte plusieurs réformes procédurales internes visant à améliorer l'efficacité de ses
procédures. Certaines de ces réformes ont déjà été mises en œuvre et les autres le seront prochainement. S'inscrivant dans le cadre de la stratégie globale d'achèvement des travaux du Tribunal international, la mise en place d'un mécanisme permettant le renvoi en bon ordre de certaines affaires du TPIY devant une juridiction du jeune État de Bosnie-Herzégovine sera vitale pour le
succès de notre entreprise. Clore les activités du Tribunal pour l'ex-Yougoslavie dans les meilleurs délais raisonnables contribuera en soi au processus de réconciliation dans la région. L'application harmonieuse de la stratégie d'achèvement de la mission du Tribunal international constituera également un élément clé de l'héritage que ce Tribunal laissera dans l'histoire des efforts
consentis par la communauté internationale pour traduire en justice les auteurs de crimes atroces.


Deuxièmement, comme l'a précisé Monsieur l'Ambassadeur Ashdown, la création de la Chambre des crimes de guerre contribuera directement à la réalisation du Plan de mise en œuvre de la mission du Bureau du Haut Représentant. En effet, cette Chambre prendra une part prépondérante aux efforts généraux déployés par celui-ci en vue d'ériger le principe de légalité en principe fondateur
des institutions nationales de Bosnie-Herzégovine. L'expérience que les procureurs et juges des entités auront acquise au sein de la Chambre des crimes de guerre leur sera précieuse dans leurs activités dans d'autres domaines de l'application du droit.


Troisièmement, cette Chambre spéciale garantira que les personnes présumées responsables de crimes de guerre soient jugées en Bosnie-Herzégovine dans un souci d'efficacité et d'impartialité ainsi que dans le respect des normes internationalement reconnues en matière d'équité procédurale.


À l'heure actuelle, nous ne pouvons hélas compter exclusivement sur les institutions existantes en Bosnie-Herzégovine. En effet, malgré le rétablissement progressif d'organes démocratiques et le retour à la paix dans ce pays, les juridictions locales sont encore en proie à des difficultés structurelles importantes, et souffrent notamment de leur composition souvent mono-ethnique,
de l'absence de coopération entre les deux entités, des pressions politiques exercées sur les juges et les procureurs, des partis pris ethniques, de la difficulté de protéger efficacement les victimes et les témoins et du manque de formation appropriée du personnel judiciaire.


Certes, le Bureau du Haut Représentant a entrepris un vaste mouvement de réforme du système judiciaire, mais celui-ci ne pourra pas être achevé avant plusieurs années. La création d'une Chambre des crimes de guerre — qui, pendant les premières années de son existence, comptera des juges internationaux — est donc un moyen privilégié de garantir une justice rapide et, dès lors, de
contribuer au processus de réconciliation dans les meilleurs délais. En effet, aujourd'hui, il n'est pas encore envisageable que des tribunaux de districts ou de cantons puissent poursuivre des criminels de guerre avec toute la crédibilité requise par les normes internationales.


La création de la Chambre spéciale chargée des crimes de guerre et la réussite de sa mission peuvent témoigner de façon éclatante de l'engagement de la communauté internationale à apporter la justice en Bosnie-Herzégovine. Cette entreprise peut apporter une contribution décisive à l'enracinement de l'État de droit dans ce pays. Transférer aux peuples de Bosnie-Herzégovine la
responsabilité de juger les crimes commis sur leur propre territoire peut participer effectivement à la reconstruction du pays et à son intégration au sein de la communauté internationale.



L'ampleur des tâches qu'il nous reste à accomplir avant que la Chambre spéciale ne soit sur pied et opérationnelle est immense. Ces tâches vont de la construction et la rénovation des bâtiments destinés à accueillir la Chambre à l'adoption de lois et de règlements, au recrutement de juges et procureurs locaux et internationaux en passant par la mise en place de mécanismes permettant
le transfert des preuves et des accusés. Une mobilisation sans faille de la communauté internationale est primordiale à la concrétisation de ce projet ambitieux.



Je vous remercie de votre attention et demeure bien évidemment à votre disposition pour répondre à toute question que vous pourriez avoir à ce sujet.