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Résumé de l'arrêt rendu dans l'affaire le Procureur c/ Naser Orić

(Exclusivement a l'usage des médias. Document non officiel)
CHAMBRES D'APPEL

 

La Haye, 3 juillet 2008


Veuillez trouver ci-dessous le résumé de l'arret, tel que lu par le Juge Schomburg :

RÉSUMÉ DE L'ARRET

Le présent résumé ne fait pas partie de l'arret de la Chambre d'appel. Seul fait autorité l'exposé des conclusions et motifs de la Chambre d'appel que l'on trouve dans le texte écrit de l'arret, dont des copies seront mises a la disposition des parties a l'issue de l'audience.

RAPPEL DU CONTEXTE

Les faits donnant lieu a la présente affaire se sont produits en Bosnie Herzégovine, dans la municipalité de Srebrenica et ses environs, entre juin 1992 et mars 1993. Le Procureur alléguait dans l'acte d'accusation qu'entre le 24 septembre 1992 et le 20 mars 1993, des membres de la police militaire de la municipalité de Srebrenica placés sous la direction de Naser Orić avaient gardé des Serbes en détention au poste de police de Srebrenica ainsi que dans un < bâtiment situé derriere les locaux de la municipalité de Srebrenica > et que nous appellerons ici < le Bâtiment >. Plusieurs détenus avaient été soumis a des sévices corporels et a des violences graves, certains ayant meme été battus a mort. L'Accusation affirmait également qu'entre le 10 juin 1992 et le 8 janvier 1993, des unités armées composées de Musulmans de Bosnie et placées sous la direction et le commandement de Naser Orić avaient incendié et détruit des bâtiments, des habitations et d'autres biens au cours d'opérations militaires menées contre les villages de Ratkovići, Ježestica, Fakovići, Bjelovac, Kravica, Šiljkovići et des hameaux voisins.
L'Accusation mettait en cause la responsabilité pénale individuelle de Naser Orić au titre de l'article 7 3) du Statut du Tribunal, pour meurtre, traitements cruels et destruction sans motif de villes et de villages non justifiée par les exigences militaires, ces faits constituant des violations des lois ou coutumes de la guerre. L'acte d'accusation engageait également la responsabilité pénale individuelle de Naser Orić au titre de l'article 7 1) du Statut pour avoir incité a commettre, aidé et encouragé le crime de destruction illicite et sans motif de villes et de villages non justifiée par les exigences militaires.
Dans son jugement rendu le 30 juin 2006, la Chambre de premiere instance a conclu que des crimes de meurtre et de traitements cruels avaient été commis contre des Serbes en détention a Srebrenica au cours de deux périodes : tout d'abord entre le 24 septembre et le 16 octobre 1992, et puis entre le 15 décembre 1992 et le 20 mars 1993. La Chambre de premiere instance a conclu que la police militaire était responsable de la perpétration de tous ces crimes. Elle a en outre estimé que ce n'est qu'a compter du 27 novembre 1992 que la police militaire avait été subordonnée a Naser Orić, au travers des chefs d'état-major successifs des forces armées de Srebrenica.
Naser Orić a été reconnu coupable au titre des articles 3 et 7 3) du Statut, de manquement a son obligation, en tant que supérieur hiérarchique, de prendre les mesures nécessaires et raisonnables pour empecher les crimes de meurtre (chef 1) et de traitements cruels (chef 2) commis contre des détenus serbes entre le 27 décembre 1992 et le 20 mars 1993. La Chambre de premiere instance n'ayant pas conclu que Naser Orić exerçait un contrôle effectif sur la police militaire pendant la premiere période, elle a jugé qu'il n'était pas responsable des crimes commis a ce moment-la. Il a également été acquitté de tous les autres chefs de l'acte d'accusation. Naser Orić a été condamné a une peine de deux ans d'emprisonnement.

L'APPEL

L'Accusation a interjeté appel du jugement de premiere instance, tout comme l'a fait Naser Orić. Nous allons d'abord examiner l'appel de ce dernier, avant de nous pencher sur celui de l'Accusation.

A. APPEL DE NASER ORIĆ

Naser Orić a soulevé treize moyens d'appel. Dans ses premier et cinquieme moyens, il pose une question cruciale : la Chambre de premiere instance a-t-elle omis de rendre les conclusions requises pour étayer une déclaration de culpabilité sur la base de l'article 7 3) du Statut. En raison de leur incidence éventuelle sur le reste de l'appel, la Chambre d'appel estime judicieux d'examiner ces arguments en premier.

1. Absence alléguée de conclusions essentielles pour une condamnation

Naser Orić a été déclaré coupable en application de l'article 7 3) du Statut. Pour que la responsabilité d'un supérieur hiérarchique soit engagée au titre de l'article 7 3), il faut démontrer au-dela de tout doute raisonnable que son subordonné est pénalement responsable, tout en établissant, au-dela de tout doute raisonnable également, que les éléments suivants sont réunis :

   1. il existe une relation de subordination,
   2. le supérieur savait ou avait des raisons de savoir que son subordonné s'appretait a commettre un crime ou l'avait commis, et
   3. le supérieur n'a pas pris les mesures nécessaires et raisonnables pour prévenir les agissements criminels de son subordonné ou pour le punir.

La Chambre de premiere instance était tenue de se prononcer sur chacun de ces points pour pouvoir rendre une déclaration de culpabilité.

a)       Identité des subordonnés coupables de Naser Orić

Naser Orić fait valoir que la Chambre de premiere instance a omis de préciser qui étaient les < subordonnés concernés >. La Chambre d'appel releve qu'il n'a été conclu pour aucun des auteurs principaux des crimes qu'ils étaient membres de la police militaire ou directement subordonnés a Naser Orić. La Chambre de premiere instance a conclu que < le chef > de la police militaire apres le 27 novembre 1992, Atif Krdžić, était bien subordonné a Naser Orić. Atif Krdžić, qui ne fait pas l'objet de poursuites devant le Tribunal, a été reconnu responsable des crimes de meurtre et traitements cruels commis entre décembre 1992 et mars 1993. Il s'ensuit que, pour la Chambre de premiere instance, le subordonné responsable des crimes au titre desquels Naser Orić a été condamné, c'est Atif Krdžić. L'argument de Naser Orić selon lequel aucun subordonné n'a été identifié est donc rejeté.
A cet égard, l'Accusation fait valoir que meme si Atif Krdžić n'avait pas été identifié comme étant le chef de la police militaire, Naser Orić aurait malgré tout pu etre tenu responsable des membres non identifiés de la police militaire qui ont aidé et encouragé la perpétration des crimes. La Chambre d'appel souligne que, indépendamment du niveau de précision requis dans l'identification des subordonnés coupables, leur existence meme doit en tout état de cause etre démontrée. En l'espece, a l'exception de Atif Krdžić, la Chambre de premiere instance n'a identifié aucun des membres de la police militaire ayant participé a la perpétration des crimes dont Naser Orić a été reconnu responsable, ne serait-ce que par une simple référence a leur appartenance a la police militaire. L'argument de l'Accusation n'a pas lieu d'etre.
Il en résulte que le seul subordonné coupable de Naser Orić identifié par la Chambre de premiere instance est Atif Krdžić.

b)       Agissements criminels du subordonné de Naser Orić

Naser Orić avance en outre qu'il est difficile de déterminer quel mode de responsabilité pénale a été retenu par la Chambre de premiere instance pour ses subordonnés présumés : selon lui, ce manque de clarté constitue en soi une erreur de droit. L'Accusation admet que la Chambre de premiere instance n'a pas assorti d'une qualification juridique précise la responsabilité de la police militaire ; elle soutient cependant que < l'on peut raisonnablement conclure > que la Chambre de premiere instance a estimé que la police militaire avait, par ses omissions, aidé et encouragé les meurtres et les traitements cruels commis par les auteurs principaux.
La Chambre d'appel releve que la Chambre de premiere instance n'a pas précisé les fondements de la responsabilité pénale du seul subordonné coupable de Naser Orić issu de la police militaire qu'elle ait identifié, a savoir Atif Krdžić. Apres avoir passé en revue le jugement dans sa totalité, la Chambre d'appel n'est parvenue a trouver qu'un nombre limité de conclusions générales, sans que rien n'indique si elles ont un effet quelconque sur la responsabilité pénale de Atif Krdžic aux termes du Statut du Tribunal. Ces quelques bribes ne permettent pas a la Chambre d'appel de savoir sur quelle base la Chambre de premiere instance a conclu a la responsabilité pénale du seul subordonné coupable identifié de Naser Orić. Or, cette conclusion était nécessaire pour statuer sur la culpabilité de Naser Orić. Par ces motifs, la Chambre d'appel conclut que la Chambre de premiere instance a commis une erreur en ne précisant pas si la responsabilité pénale du subordonné de Naser Orić était engagée.

c)     Ce que Naser Orić savait ou avait des raisons de savoir des agissements criminels présumés de son subordonné

Dans une autre branche de son premier moyen d'appel, Naser Orić conteste la conclusion de la Chambre de premiere instance selon laquelle il savait que la police militaire était responsable des crimes commis dans les lieux de détention.
La Chambre d'appel releve que, alors meme que cette conclusion était essentielle pour prononcer une déclaration de culpabilité contre Naser Orić, la Chambre de premiere instance n'a pas statué de maniere explicite sur ce qu'il savait ou avait des raisons de savoir de la responsabilité pénale présumée de Atif Krdžić dans les mauvais traitements des détenus serbes. Une lecture de l'ensemble du jugement ne fait ressortir que des assertions vagues et peu concluantes sur ce point.
La difficulté rencontrée pour trouver les conclusions requises sur ce point dans le jugement semble découler de l'approche adoptée par la Chambre de premiere instance. Plutôt que d'analyser ce que Naser Orić savait ou avait des raisons de savoir des agissements criminels présumés de son subordonné, la Chambre de premiere instance a concentré toute son analyse sur ce que Naser Orić savait des crimes en tant que tels, crimes qui n'ont pas été commis matériellement par Atif Krdžić, son seul subordonné coupable identifié. Cette approche se répercute dans la conclusion de la Chambre de premiere instance sur l'intention délictueuse de Naser Orić, qui se réduit strictement a la question de savoir s'il était au courant, ou avait des raisons de l'etre, des crimes effectivement commis dans les deux centres de détention, sans qu'aucune conclusion ne soit rendue sur ce qu'il savait des agissements criminels présumés de son subordonné Atif Krdžić.
La Chambre d'appel considere que, de jure et de facto, etre au courant de crimes et avoir connaissance du comportement criminel d'un individu sont deux choses bien distinctes. S'il arrive que la connaissance du comportement criminel d'une personne puisse, suivant les circonstances, etre déduite de la connaissance que l'on a des crimes, la Chambre d'appel remarque que la Chambre de premiere instance n'a pas procédé a cette déduction en l'espece : elle a limité son analyse, autant que sa conclusion, a la connaissance qu'avait Naser Orić des crimes commis dans les lieux de détention.
La Chambre d'appel estime qu'en ne se prononçant pas sur la question de savoir si Naser Orić savait ou avait des raisons de savoir que Atif Krdžić, son seul subordonné coupable identifié, s'appretait a commettre ou avait commis des crimes, la Chambre de premiere instance a commis une erreur de droit.

d)       Conclusion

En conclusion, la Chambre d'appel accueille les premier et cinquieme moyens d'appel de Naser Orić, dans la mesure ou il y fait valoir que la Chambre de premiere instance a omis de se prononcer sur la responsabilité pénale de son seul subordonné identifié, Atif Krdžić. En outre la Chambre de premiere instance n'a pas précisé si Naser Orić savait ou avait des raisons de savoir que Atif Krdžić s'appretait a commettre ou avait commis des crimes. Faute de telles conclusions, les déclarations de culpabilité prononcées a l'encontre de Naser Orić au titre de l'article 7 3) du Statut ne peuvent rester en l'état. Ces erreurs invalident donc la déclaration de culpabilité rendue par la Chambre de premiere instance contre Naser Orić pour n'avoir pas prévenu le comportement criminel présumé de son subordonné dans le cadre des crimes commis contre des détenus serbes entre décembre 1992 et mars 1993.

2.       Autre fondement possible pour la condamnation de Naser Orić

En réponse a l'appel interjeté par Naser Orić, l'Accusation soutient que la Chambre de premiere instance aurait pu déclarer Naser Orić coupable de ne pas avoir empeché les gardiens des centres de détention de commettre les crimes ou d'aider et d'encourager d'autres individus a les commettre. Elle affirme qu'au lieu de se contenter de déclarer que les gardiens n'appartenaient pas a la police militaire, la Chambre de premiere instance aurait du pousser plus loin son analyse et conclure que ces hommes étaient malgré tout placés sous le contrôle effectif de Naser Orić. La Chambre d'appel rejette l'argument de l'Accusation selon lequel Naser Orić aurait pu etre déclaré coupable sur la base d'un lien de subordination existant entre lui et des gardiens non identifiés, que ceux-ci aient appartenu ou non a la police militaire. L'acte d'accusation ne dit rien d'une telle relation de subordination. En conséquence, la Chambre d'appel rejette également l'argument de l'Accusation selon lequel Naser Orić pourrait etre déclaré coupable sur d'autres bases.

Conclusion

La Chambre d'appel estime des lors qu'il n'y a pas lieu de se pencher sur le reste de l'appel interjeté par Naser Orić contre les conclusions et constatations de la Chambre de premiere instance.
L'Accusation a soulevé un certain nombre d'objections portant sur les conclusions de la Chambre de premiere instance, qui, si elles sont retenues, pourraient entraîner l'annulation de l'acquittement de Naser Orić sur certains points. C'est pourquoi, avant d'examiner l'impact éventuel que pourraient avoir ses conclusions sur l'appel de Naser Orić, la Chambre d'appel va d'abord se pencher sur l'appel de l'Accusation.

B.       APPEL DE L'ACCUSATION

L'Accusation a initialement soulevé cinq moyens d'appel. Le troisieme moyen d'appel (qui faisait état d'erreurs concernant les destructions sans motif commises a Ježestica) a été retiré ultérieurement. La Chambre d'appel fait observer que les deuxieme et quatrieme moyens d'appel sont dorénavant sans objet en raison de la conclusion qu'elle a tirée apres examen de l'appel interjeté par Naser Orić. En conséquence, la Chambre d'appel limitera son analyse aux moyens d'appel restants.

1.       Étendue de la responsabilité pénale de Naser Orić pour les crimes de meurtre et traitements cruels (premier moyen d'appel de l'Accusation)

Le premier moyen d'appel de l'Accusation comporte trois branches concernant l'étendue de la responsabilité pénale de Naser Orić pour les crimes de meurtre et traitements cruels.

a)       Contrôle effectif exercé par Naser Orić sur la police militaire entre le 24 septembre et le 16 octobre 1992

Dans la premiere branche de ce moyen d'appel, l'Accusation soutient que la Chambre de premiere instance a commis une erreur de droit et de fait en jugeant que Naser Orić n'exerçait pas de contrôle effectif sur la police militaire au cours de la premiere période considérée, a savoir entre le 24 septembre et le 16 octobre 1992.
Selon la Chambre d'appel, l'Accusation n'a pas démontré que la Chambre de premiere instance avait commis une erreur concernant la charge de la preuve ou qu'elle avait eu tort de ne pas conclure que le commandement de jure exercé par Naser Orić sur la police militaire entre le 24 septembre et le 16 octobre 1992 créait la présomption réfragable selon laquelle il exerçait un contrôle effectif sur cette unité. A cet égard, la Chambre d'appel reconnaît que sa jurisprudence a pu indiquer le contraire, vu l'utilisation des termes < présumer > (presume) ou < présomption suffisante de contrôle effectif > (prima facie evidence of effective control). La signification de ces termes n'a pas toujours été claire. Bien que dans certaines juridictions de common law, la notion de < présomption suffisante >, par définition, donne lieu a une présomption par laquelle la charge de la preuve est renversée, la Chambre d'appel souligne qu'au Tribunal international, c'est a l'Accusation qu'il appartient de prouver au-dela de tout doute raisonnable que l'accusé exerçait un contrôle effectif sur ses subordonnés. Le seul fait qu'il possédait une autorité de jure ne fournit que des indices donnant a penser qu'il exerçait un contrôle effectif. Or, le Tribunal international ne retient pas une telle présomption au détriment des accusés.
Pour les motifs exposés dans l'arret, la Chambre d'appel estime en outre que l'Accusation n'a pas démontré que la Chambre de premiere instance avait commis une erreur de fait en jugeant que Naser Orić n'exerçait pas de contrôle effectif sur la police militaire entre le 24 septembre et le 16 octobre 1992.

b)       Devoir de Naser Orić de punir les crimes commis avant qu'il n'exerce un contrôle effectif

L'Accusation soutient également que la Chambre de premiere instance a commis une erreur de droit en concluant que Naser Orić ne pouvait etre tenu responsable sur la base de l'article 7 3) du Statut pour avoir omis de punir les crimes de meurtre et de traitements cruels commis entre le 24 septembre et le 16 octobre 1992, au motif que ceux-ci ont été perpétrés avant qu'il n'exerce un contrôle effectif sur la police militaire. L'Accusation fait valoir que la Chambre de premiere instance a eu tort d'appliquer la jurisprudence de la Chambre d'appel selon laquelle un accusé ne saurait etre tenu responsable, en tant que supérieur, des crimes commis par un subordonné avant le moment de sa prise de commandement sur ledit subordonné. L'Accusation avance qu'il existe des raisons impérieuses pour que la Chambre d'appel s'écarte de cette position.
La Chambre d'appel rappelle que la ratio decidendi de ses décisions s'impose aux Chambres de premiere instance. C'est donc a bon droit que la Chambre de premiere instance a jugé qu'elle devait s'aligner sur le précédent établi par la Chambre d'appel dans la décision rendue en 2003 dans l'affaire Hadžihasanović.
S'agissant du grief formulé par l'Accusation a propos de la ratio decidendi de la décision de la Chambre d'appel dans Hadžihasanović, la Chambre d'appel note que le seul membre de la police militaire mentionné par la Chambre de premiere instance, pour la période précédant celle ou Naser Orić a exercé un contrôle effectif sur la police militaire, est le commandant de celle-ci, Mirzet Halilović. Or, il n'a jamais été établi que Mirzet Halilović avait été le subordonné de Naser Orić. En l'absence d'autre policier militaire qui se serait rendu coupable d'un crime au centre de détention avant le 27 novembre 1992, le devoir qu'avait Naser Orić de punir, a supposer qu'il existe, ne trouvait pas a s'appliquer.

La Chambre d'appel, les Juges Liu et Schomburg étant en désaccord, refuse de se pencher sur la ratio decidendi de la décision Hadžihasanović relative a la compétence car elle n'a aucune incidence sur l'issue de la présente espece.

L'appel de l'Accusation est rejeté sur ce point.

c)       Responsabilité de Naser Orić pour avoir manqué a son devoir de punir les crimes commis entre le 27 décembre 1992 et le 20 mars 1993

La Chambre de premiere instance a estimé que Naser Orić ne possédait pas la mens rea requise pour etre tenu pénalement responsable d'avoir omis de punir ses subordonnés pour les crimes commis dans les centres de détention entre décembre 1992 et mars 1993. Dans la derniere branche de son premier moyen d'appel, l'Accusation affirme que, si la Chambre de premiere instance avait appliqué comme il convient le critere < avait des raisons de savoir >, elle aurait conclu que Naser Orić avait des raisons de savoir que des crimes de meurtre et de traitements cruels avaient été commis entre le 27 décembre 1992 et le 20 mars 1993 et, partant, elle l'aurait déclaré coupable d'avoir omis de les punir.

Bien qu'il soit nécessaire, pour établir la responsabilité du supérieur hiérarchique, de prouver que celui-ci savait ou avait des raisons de savoir que son subordonné s'était livré a des agissements criminels, la Chambre d'appel note que l'Accusation affirme que Naser Orić avait des raisons de savoir que des crimes de meurtre et de traitements cruels avaient été commis. En l'espece, aux dires de l'Accusation, il n'y a aucune différence entre le fait de savoir ou d'avoir des raisons de savoir que des crimes ont été commis et le fait de savoir ou d'avoir des raisons de savoir que le subordonné en cause s'est livré a des agissements criminels. La Chambre d'appel estime que l'Accusation n'a pas étayé cette affirmation. En conséquence, elle ne juge pas nécessaire d'examiner plus avant l'appel de l'Accusation sur ce point.

d)       Conclusion

Le premier moyen d'appel de l'Accusation est rejeté dans son intégralité.

2.       Questions d'intéret général pour la jurisprudence du Tribunal (cinquieme moyen d'appel de l'Accusation)

La Chambre d'appel en vient maintenant au cinquieme moyen d'appel soulevé par l'Accusation, laquelle releve deux erreurs de droit qui, meme si elles n'influent pas sur le verdict ou la peine prononcés a l'encontre de Naser Orić, concernent, selon elle, des questions d'intéret général pour la jurisprudence du Tribunal.
Tout d'abord, l'Accusation soutient que la Chambre de premiere instance a commis une erreur de droit lorsqu'elle a établi une distinction entre le devoir < général > et le devoir < spécifique > d'un supérieur hiérarchique en matiere de prévention des crimes et estimé que la responsabilité pénale d'un supérieur hiérarchique ne saurait etre engagée du simple fait que celui-ci n'a pas mis en ouvre de mesures de prévention < d'ordre général >. La Chambre d'appel considere qu'il n'y a pas lieu de s'intéresser au bien-fondé de cette erreur alléguée puisque le droit applicable en la matiere a été récemment énoncé dans l'arret Halilović.
De meme, la Chambre d'appel se refuse a examiner la deuxieme erreur alléguée, qui concerne la destruction préemptive des biens de caractere civil. La Chambre d'appel estime que l'Accusation n'a pas démontré en quoi la question soulevée présentait un intéret général pour la jurisprudence du Tribunal. Elle considere que cette question ne peut etre débattue de façon satisfaisante in abstracto dans le contexte de l'espece.

Conclusion

Pour les raisons susmentionnées, le premier moyen d'appel de l'Accusation est rejeté dans son intégralité. La Chambre d'appel refuse d'examiner le cinquieme moyen d'appel de l'Accusation et considere que les moyens d'appels restants sont sans objet du fait de la conclusion qu'elle a tirée apres examen de l'appel interjeté par Naser Orić.
La Chambre d'appel va maintenant se pencher sur l'incidence de ses conclusions.

C.       INCIDENCE DES CONCLUSIONS DE LA CHAMBRE D'APPEL

La Chambre d'appel a conclu que la Chambre de premiere instance n'avait pas tranché la question de savoir si les deux éléments juridiques requis pour reconnaître Naser Orić pénalement responsable en tant que supérieur hiérarchique étaient réunis. Pourtant, si Naser Orić a été déclaré coupable, c'est exclusivement au titre de cette forme de responsabilité.
La Chambre d'appel note qu'aucune des parties ne sollicite la tenue d'un nouveau proces en l'espece. Qui plus est, l'Accusation n'a fait état d'aucun élément de preuve, qu'il s'agisse de preuves supplémentaires ou de preuves versées au dossier de premiere instance, indiquant que les subordonnés de Naser Orić devaient etre tenus pénalement responsables et que ce dernier savait ou avait des raisons de savoir qu'ils s'étaient rendus complices de crimes commis a l'encontre des détenus serbes. Par conséquent, la Chambre d'appel estime que, vu les circonstances de l'espece, un renvoi ne servirait a rien.
Compte tenu de ce qui précede, la Chambre d'appel estime ne pas avoir d'autre choix que d'annuler les déclarations de culpabilité prononcées a l'encontre de Naser Orić sur la base de l'article 7 3) du Statut.

D.      OBSERVATIONS FINALES

Avant de donner lecture du dispositif, la Chambre d'appel tient a souligner qu'a l'instar de la Chambre de premiere d'instance, elle est convaincue que des crimes graves ont bel et bien été commis contre des Serbes détenus a Srebrenica, au poste de police et dans le Bâtiment, entre septembre 1992 et mars 1993. De plus, la Défense ne l'a pas contesté. Cependant, il ne suffit pas de rapporter la preuve que des crimes ont été commis pour justifier la condamnation d'un individu. Dans le cadre d'une procédure pénale, il faut prouver au-dela de tout doute raisonnable que l'accusé est individuellement responsable du crime qui lui est reproché avant qu'une déclaration de culpabilité puisse etre prononcée a son encontre. Lorsqu'un accusé est tenu responsable en tant que supérieur hiérarchique sur la base de l'article 7 3) du Statut, comme c'est le cas en l'espece, l'Accusation doit prouver, entre autres, que la responsabilité pénale du ou des subordonnés de l'accusé est engagée et que ce dernier savait ou avait des raisons de savoir qu'il(s) se livrai(en)t a des agissements criminels. La Chambre de premiere instance n'est parvenue a aucune conclusion concernant ces deux éléments fondamentaux. Lors du proces en appel, lorsque la Chambre a demandé a l'Accusation s'il existait des preuves en ce sens, celle-ci n'a fait état d'aucune preuve susceptible de justifier les déclarations de culpabilité prononcées a l'encontre de Naser Orić pour les crimes commis contre des détenus serbes. En conséquence, voici le dispositif de l'arret rendu par la Chambre d'appel.

DISPOSITIF

Par ces motifs, LA CHAMBRE D'APPEL,

EN APPLICATION de l'article 25 du Statut et des articles 117 et 118 du Reglement,

VU les écritures respectives des parties et leurs exposés lors du proces en appel tenu les 1er et 2 avril 2008,

SIÉGEANT en audience publique,

ACCUEILLE, en partie, les moyens d'appel 1 E) 1), 1 F) 2) et 5,

REJETTE le premier moyen d'appel de l'Accusation dans son intégralité,

REFUSE d'examiner les autres moyens d'appel soulevés par les parties,

ANNULE les déclarations de culpabilité prononcées a l'encontre de Naser Orić sur la base de l'article 7 3) du Statut pour avoir omis de s'acquitter du devoir qu'il avait en tant que supérieur de prendre les mesures nécessaires et raisonnables pour empecher que les crimes de meurtre (chef 1) et traitements cruels (chef 2) ne soient commis durant la période allant du 27 décembre 1992 au 20 mars 1993, et

DÉCLARE Naser Orić non coupable de ces chefs.

Le Juge Mohamed Shahabuddeen joint une déclaration.

Le Juge Liu Daqun joint une opinion partiellement dissidente et une déclaration.

Le Juge Wolfgang Schomburg joint une opinion individuelle et partiellement dissidente.


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