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Veuillez trouver ci-dessous le texte intégral de l’allocution du Juge Richard May devant la Commission préparatoire de la Cour pénale internationale (CPI), le lundi 20 mars 2000, à New York.

Communiqué de presse CHAMBRES

(Destiné exclusivement à l'usage des médias. Document non officiel)

La Haye, 20 mars 2000
JL/P.I.S/479-F

 

Veuillez trouver ci-dessous le texte intégral de l’allocution du Juge Richard May devant la
Commission préparatoire de la Cour pénale internationale (CPI), le lundi 20 mars 2000, à New York.

Monsieur le Président, Messieurs les Vice-Présidents, Mesdames et Messieurs les membres de la Commission préparatoire et honorables invités. Je vous sais gré de me donner l’occasion de m’adresser, au nom du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, à une si éminente assistance. Nous suivons avec intérêt les travaux de la Commission préparatoire et vous félicitons pour leur excellence.

Mon allocution devant vous aujourd’hui a principalement pour objectif de présenter un rapport préparé par les juges du Tribunal, qui, nous l’espérons, vous sera utile dans le cadre de vos travaux. Le Président du Tribunal, le Juge Claude Jorda, souhaitait vous le présenter lui-même, mais il n’a malheureusement pas été en mesure de venir à New York à cette date et m’a chargé de m’adresser à vous en son nom. Il m’a également demandé de souligner que le Tribunal souhaite vous aider dans vos travaux et vous faire partager son expérience. Je souhaite d’ailleurs vous informer du fait que des représentants du TPIY sont présents dans l’assistance. N’hésitez pas à vous adresser à eux.

Avant de présenter le rapport que nous vous remettons aujourd’hui, j’aimerais vous rappeler que les juges du Tribunal ont préparé une communication que la Présidente McDonald a soumise à la Commission lors de sa session de travail du mois de juillet. Les juges considèrent qu’un certain nombre de points abordés dans cette communication sont toujours d’actualité et ils souhaitent attirer votre attention à ce sujet, notamment en ce qui concerne la gestion des procès. Comme l’a fait remarquer la Juge McDonald dans son allocution, la question de la durée et de la complexité des procès est l’une des principales difficultés auxquelles le Tribunal a été confronté. Il est donc utile de souligner à nouveau que, lors de la rédaction du Règlement de procédure et de preuve, il convient de veiller à donner aux juges les outils permettant d’accélérer le déroulement des procès. L’expérience nous a montré que chaque aspect de la procédure doit être examiné avec soin, afin d’en garantir l’équité et l’efficacité. Cette optique pourrait s’avérer importante pour la Cour pénale internationale, dans la mesure où l’on peut s’attendre à ce que les procès qu’elle engagera seront tout aussi complexes que ceux instruits devant le Tribunal.

En ma qualité de Président du Comité du Règlement du Tribunal, je sais d’expérience combien il est difficile de rédiger des articles et (dans notre cas) de les modifier. Permettez-moi une remarque d’ordre général : s’il est important que les dispositions soient claires, elles doivent également être suffisamment flexibles pour permettre aux juges de faire face à la diversité des situations qui se présentent au quotidien en salle d’audience et dont un grand nombre ne peuvent être prévues.
Je vais à présent aborder le rapport que nous vous soumettons aujourd’hui. En nous interrogeant sur la manière d’apporter une contribution utile à vos travaux, nous avons essayé de prendre en compte leur avancée actuelle. Un règlement provisoire de procédure et de preuve a été rédigé et de nombreuses questions importantes ont été résolues. Les juges ont donc estimé qu’il serait particulièrement utile de se concentrer sur certains points encore en suspens et de vous faire part de la pratique et de l’acquis du Tribunal à cet égard. Notre rapport, et par conséquent mon allocution d’aujourd’hui, porte sur des questions techniques et des réalités pratiques, plutôt que sur des principes ou considérations d’ordre général. Je rappellerais que notre intention est de vous faire part de notre expérience dans l’espoir qu’elle vous sera utile. Notre contribution, dans le cadre de ce rapport, porte sur quatre points précis :

i) Les éléments de preuve en matière de violences sexuelles

ii) Le rôle de la Section d’aide aux victimes et aux témoins

iii) Des questions concernant les conseils de la Défense et

iv) Des questions relatives à l’exécution des peines.

Ces points sont abordés en détail dans le rapport et je n’en donnerai ici qu’un aperçu, après quoi, Monsieur le Président, je répondrai volontiers à des questions, si nous en avons le temps.

S’agissant du premier point, à savoir les éléments de preuve en matière de violences sexuelles, il convient de rappeler que le Règlement de procédure et de preuve du Tribunal a été élaboré dans l’intention spécifique de permettre aux juges de juger les auteurs de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité et du crime de génocide perpétrés dans le contexte du conflit en ex-Yougoslavie. Ainsi, le Règlement du Tribunal tient compte des lignes de conduite spécifiques à ces crimes et à ce contexte précis. Il est largement admis que des crimes sexuels ont été commis à grande échelle pendant ce conflit. Outre les récits concernant des viols à grande échelle et d’autres formes de violences sexuelles, qui sont monnaie courante dans tous les conflits, cette guerre a été caractérisée par le viol organisé et systématique de femmes, notamment dans des centres de détention. Le Règlement de procédure et de preuve du Tribunal, et en particulier son article 96, qui régit l’administration des preuves en matière de violences sexuelles, a été intentionnellement adapté pour prendre en compte ces facteurs. En rédigeant l’article 96 du Règlement, les juges ont intentionnellement rejeté bon nombre de règles d’administration de la preuve appliquées par les juridictions nationales dans les procès pour viol. Ils ont en revanche opté pour une exclusion de la preuve du consentement à la relation sexuelle lorsqu’une pression ou une contrainte a été exercée. Le consentement ne saurait par conséquent être retenu comme un moyen de défense lorsque la victime a été soumise à des actes de violence ou si elle a été contrainte, détenue ou soumise à des pressions psychologiques. De plus, le Règlement ne permet en aucun cas à la Défense de présenter des éléments de preuve relatifs au comportement sexuel antérieur de la victime, dans la mesure ils sont considérés comme n’étant pas pertinents dans ces situations et servent uniquement de prétexte pour intimider la victime ou entamer sa crédibilité.

Ėtant donné la nature des conflits modernes, la Cour sera certainement confrontée à des questions relatives aux violences sexuelles commises dans le cadre de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité ou du crime de génocide. Elle sera alors confrontée aux mêmes difficultés que celles rencontrées par le Tribunal. Les juges estiment que l’approche adoptée dans le Règlement et dans la jurisprudence qui en a résulté représente une avancée progressive du droit qui a permis de protéger les victimes de violences sexuelles sans porter atteinte au droit de l’accusé de bénéficier d’un procès équitable.

Abordons à présent le point suivant, à savoir le rôle des victimes et des témoins et leur protection. Il convient tout d’abord de rappeler que le Statut de la CPI contient des dispositions relatives à la participation des victimes à la procédure. Il n’existe aucune disposition semblable dans le Statut du Tribunal. Nous ne sommes donc pas en position de donner des indications à ce sujet.

Cependant, le premier contact de la plupart des victimes avec la Cour se fera dans le cadre d’un témoignage ; or, le Tribunal a acquis énormément d’expérience dans ce domaine. Ainsi, ces deux dernières années, la Section d'aide aux victimes et aux témoins a travaillé avec environ 800 témoins qui, pour la plupart, sont venus de l’ex-Yougoslavie ou d’autres pays pour témoigner à La Haye. L’expérience acquise par le Tribunal pourrait être utile à la Cour. Citons, à titre d’exemple, les difficultés que rencontre la Section d'aide aux victimes et aux témoins pour exercer son rôle essentiel dans le cadre des règles financières et administratives de l’0NU. La Section doit, si nécessaire, protéger l’identité des témoins et prendre des dispositions pratiques complexes, tout en respectant les règles de l’ONU relatives aux déplacements, aux achats et à la responsabilité financière. S’il est évidemment important de justifier l’emploi des fonds, la Commission préparatoire pourrait souhaiter accorder une certaine flexibilité administrative et financière à la Section d'aide aux victimes et aux témoins dans le Règlement ou les règles financières de la Cour.

Les juges reconnaissent la précieuse expertise de la Section d'aide aux victimes et aux témoins s’agissant d’assurer la protection des personnes qui déposent devant le Tribunal. Nous avons modifié le Règlement de procédure et de preuve pour permettre à la Section de demander à une Chambre, de sa propre initiative, de prendre des mesures appropriées pour garantir le respect de la vie privée des victimes et des témoins et leur protection. Cette disposition permet à la Section d’intervenir lorsque des mesures supplémentaires doivent être prises afin de protéger des témoins vulnérables. Elle constitue un moyen important de garantir la protection des témoins, et nous nous permettons de la recommander à la Commission préparatoire.

Je souhaite faire une dernière remarque. Il est également important de préciser quelles sont les attributions de la Section d'aide aux victimes et aux témoins pendant la phase des enquêtes, c'est-à-dire de définir où prennent fin les principales obligations du Bureau du Procureur vis-à-vis des victimes et des témoins et où commencent celles de la Section. Si l’article 43 du Statut de la CPI précise de manière générale où il convient de placer cette limite, il est important que le Règlement de procédure et de preuve soit clair sur ce point. Le Règlement doit, en outre, attribuer à l’organe responsable des témoins ou des témoins potentiels suffisamment de compétences pour prendre les mesures nécessaires à leur protection.

Je vais à présent aborder la question de l’accusé et de sa défense. Il est généralement admis que le droit à un procès équitable dépend en partie de la possibilité de préparer correctement sa défense. L’attribution d’une aide juridictionnelle à l’accusé et d’un soutien administratif au conseil de la Défense s’avère toutefois complexe. Au Tribunal, nous estimons que le Greffier, en raison de sa neutralité, est le haut responsable le plus à même de gérer cette question. L’administration d’un système d’aide juridictionnelle soulève d’importantes questions de responsabilité financière et administrative. Des millions de dollars ont été dépensés pour attribuer des conseils de la Défense aux accusés qui comparaissent devant le Tribunal et nous ne devons pas oublier qu’il s’agit de fonds publics. Le Greffier étant le seul haut représentant réunissant les critères nécessaires, il est chargé par le Règlement de procédure et de preuve du Tribunal de superviser la gestion des conseils de la Défense. Au vu de l’expérience du Tribunal, toute autre structure administrative responsable des conseils de la défense et de l’aide juridictionnelle devrait tenir compte de ces considérations.

L’expérience acquise par le Tribunal a permis de mettre au jour d’autres questions pratiques concernant les conseils de la Défense. Par exemple, le Tribunal et ses procédures sont généralement mal connus. Cette ignorance s’explique certainement par la nature unique du Tribunal mais, lorsqu’elle est le fait de conseils de la Défense qui découvrent nos procédures, des retards peuvent survenir. Étant donné notre lourde charge de travail, ces contretemps peuvent être importants. Nous prenons donc actuellement des mesures pour mettre en place des formations destinées aux conseils de la Défense. J’estime que celles‑ci doivent être aussi complètes que possible et qu’elles justifient pleinement l’investissement. Ces formations permettront d’améliorer le déroulement des procès et la qualité des travaux de la Défense. La Commission préparatoire pourrait souhaiter se baser sur l’expérience acquise par le Tribunal en la matière et prévoir une formation obligatoire pour les conseils de la Défense.

L’éthique et la discipline constituent deux autres domaines à prendre en compte s’agissant des conseils de la Défense. La gestion des questions d’éthique représentera une difficulté pour chacun des organes de la Cour. Nous sommes confrontés à des problèmes similaires au Tribunal, dans la mesure où nos conseils de la Défense viennent d’un certain nombre de pays différents. Il est possible que les conseils de la Défense qui exerceront à la Cour viennent de diverses régions du monde. Le problème de fond réside dans le fait que, en général, dans les juridictions nationales le contrôle et la gestion des questions d’éthique sont confiés à des associations professionnelles de juristes ou à des associations du barreau. Au niveau international aucun organe n’assume ce type de fonctions. Le Tribunal a adopté un code de déontologie afin de combler cette lacune. Même si ce dernier fixe des normes, encore faut-il veiller à l’efficacité du suivi et à la création de mécanismes de mise en œuvre appropriés. Les comportements inappropriés en salle d’audience peuvent, bien entendu, être gérés par les juges mais ni ces derniers ni le Greffier ne peuvent veiller eux‑mêmes au respect de règles éthiques plus générales de la part des conseils. Il conviendrait donc que le Règlement de procédure et de preuve de la CPI prévoie la création d’une association des conseils de la Défense qui serait responsable d’informer les juges et le Greffier d’éventuelles violations de l’éthique. Une telle association pourrait également jouer un rôle dans la formation des conseils de la défense. Il convient toutefois de rappeler que le soutien aux conseils de la Défense et, plus encore, l’aide juridictionnelle, doivent être confiés au premier chef à un haut responsable de la Cour, tel que le Greffier.

La dernière grande question abordée dans notre rapport concerne l’exécution des peines prononcées par la Cour. Nous disposons au Tribunal d’un quartier pénitentiaire dans lequel les accusés sont détenus avant et pendant leur procès et la procédure d’appel. Le TPIY ne dispose toutefois pas de structures de détention permanente pour les accusés déclarés coupables et l’exécution des peines qu’il prononce dépend de la coopération volontaire des États. À l’heure actuelle, le Tribunal n’a conclu d’accords sur l’exécution des peines qu’avec six États. L’une des difficultés auxquelles nous avons été confrontés avec certains pays tient à ce que leur droit interne les empêche de conclure ce type d’accord sans modifier leur législation au prix de longues procédures. S’agissant de la Cour, la quasi-totalité des États devront adopter des lois d’application, ce qui pourrait constituer l’occasion idéale de procéder aux modifications nécessaires de leur droit interne.

Ceci n’est qu’un bref résumé de certains points développés plus avant dans le rapport. Je souhaiterais aborder un dernier aspect de l’expérience acquise par le Tribunal. Les procès se tiennent à La Haye, soit très loin de la région dans laquelle les événements concernés ont eu lieu. Les gens de ces régions ne connaissent pas nos langues de travail et nos procédures. Nous courons ainsi le risque que les travaux du Tribunal, qui visent à contribuer au processus de réconciliation, soient mal compris. Afin d’y parer, le Tribunal a maintenant créé un Programme de sensibilisation (grâce à la contribution généreuse et bénévole d’un certain nombre de pays). Ce programme a pour but de trouver des moyens créatifs de faire connaître les travaux du Tribunal aux populations de l’ex‑Yougoslavie.

La Cour rencontrera de semblables difficultés, car elle aussi rendra justice à distance. Pour que ses travaux portent leurs fruits, il lui faudra également trouver des solutions efficaces pour les faire connaître au grand public : ses jugements devront être communiqués au monde entier.

Pour conclure, je souhaite exhorter les délégués de la Commission préparatoire à ne ménager aucun effort pour s’assurer que le Règlement de procédure et de preuve contribuera à la création d’une Cour qui pourra rendre efficacement la justice. Si, en théorie, la Cour pénale internationale peut être un outil essentiel pour sanctionner les auteurs de crimes odieux, en pratique, elle ne pourra y parvenir que si elle dispose des outils et de la flexibilité nécessaires pour mener sa tâche à bien. J’espère, au nom du Président Jorda et des autres juges du Tribunal, que notre contribution vous aidera à atteindre cet objectif.


 

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