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TPIY Héritage global - Conférence 2011

 

15 et 16 novembre 2011
Centre de conférence World Forum, La Haye

Parrainée conjointement par les Gouvernements des Pays-Bas, du Luxembourg, de la Confédération suisse et de la République de Corée, ainsi que par la municipalité de La Haye et l’Open Society Justice Initiative.

 

Le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (le « TPIY ») a organisé une conférence de deux jours qui a eu lieu à La Haye les 15 et 16 novembre 2011 et portaitsur son héritage global. Elle visait à rassembler d'éminents universitaires, des juges et des juristes internationaux, ainsi que des représentants des États et d’autres intéressés, afin d’examiner l’incidence des travaux du Tribunal sur le droit international humanitaire et la procédure pénale internationale, de même que la contribution de sa jurisprudence à l’avenir de la justice internationale et à l’avancement des droits de l’homme. Elle était parrainée conjointement par les Gouvernements des Pays-Bas, du Luxembourg, de la Confédération suisse et de la République de Corée, ainsi que par la municipalité de La Haye et l’Open Society Justice Initiative.

Historique

Situation au 15 novembre 2011.

Depuis sa création en 1993, le TPIY a jugé en dernier ressort 126 personnes accusées de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité ou de génocide, ce qui a entraîné d’importants progrès dans la lutte contre l’impunité pour les violations graves du droit international humanitaire. Les procès qu’il a tenus ont donné lieu à une abondante jurisprudence, qui a largement contribué à l’élaboration des normes du droit pénal international tant sur le fond que sur la procédure.

Les juges du TPIY ont défini, souvent pour la première fois, les éléments constitutifs des infractions, la portée des moyens de défense, les formes de la responsabilité pénale et l’étendue de la responsabilité du supérieur hiérarchique. Dans l’affaire Kunarac et consorts, par exemple, ils ont défini le crime contre l’humanité que constitue la réduction en esclavage, de même que les crimes à caractère sexuel en droit coutumier1. Dans l’affaire Erdemović, on a par ailleurs statué que la contrainte n’était pas entièrement exonératoire en cas de crime contre l’humanité ou de crime de guerre2. Au Tribunal, l’application de la théorie de l’entreprise criminelle commune, qui est aujourd’hui l’une des formes de responsabilité pénale les plus couramment retenues dans les procès internationaux, remonte à la première affaire dont il a été saisi, Le Procureur c/ Duško Tadić. La Chambre d’appel y a défini trois catégories d’entreprise criminelle commune3, qui ont ensuite été précisées dans les affaires Kvočka et consorts4, Brđanin5 et Krajišnik6. En particulier, la notion d’entreprise criminelle commune a servi de base à la mise en accusation, pour des crimes commis au Kosovo, en Bosnie et en Croatie, de Slobodan Milošević, le premier chef d’État en fonction à être poursuivi pour crimes de guerre7.

Dans l’affaire Čelebići, le Tribunal a clarifié la notion de responsabilité du supérieur hiérarchique en interprétant le texte du Statut en ce qui concerne l’élément moral de cette forme de responsabilité8 et la nature du lien de subordination requis9. L’affaire Kordić et Čerkez est ensuite venue confirmer l’idée, ébauchée pour la première fois dans l’affaire Čelebići10, que la responsabilité du fait des subordonnés s’appliquait aux dirigeants tant civils que militaires11.

Diverses autres décisions ont contribué à la mise en œuvre et à l’interprétation des textes internationaux, que ce soit en matière substantielle ou procédurale. Dans l’affaire Tadić, la Chambre d’appel a examiné attentivement les conditions nécessaires à l’application des Conventions de Genève en matière de violations graves. Ce faisant, le Tribunal a explicité le critère permettant de distinguer les conflits armés internes des conflits armés internationaux12. Par ailleurs, dépassant le principe établi par la CIJ dans l’affaire du Nicaragua et voulant que l’article 3 commun constitue la norme « minimale » en matière de conflits armés internationaux, la Chambre d’appel a statué que la plupart des règles de protection du droit international humanitaire s’appliquaient aux conflits armés internes. Le courant jurisprudentiel amorcé par l’arrêt Tadić n’a jamais été remis en cause, et a été avalisé par la communauté internationale. La Chambre d’appel a aussi rendu, dans la même affaire, une décision détaillée répondant une fois pour toutes aux attaques portées contre la légalité de la création du Tribunal, sa primauté sur les juridictions nationales et sa compétence13. Par la suite, les conclusions formulées dans cette décision ont eu une influence sur les discussions qui ont abouti au Statut de la Cour pénale internationale14.

Dans l’arrêt Aleksovski, la Chambre d’appel a examiné le champ d’application de l’article 4 de la IVe Convention de Genève, confirmant la conclusion de l’arrêt Tadić selon laquelle une personne peut être considérée comme « protégée » bien qu’elle ait la même nationalité que ceux qui la détiennent15.

Les milieux universitaires ont aussi reconnu l’importance de l’apport du Tribunal dans le domaine des crimes à caractère sexuel, à peine effleuré lors des procès de Nuremberg et de Tokyo16. Ainsi, dans l’affaire Čelebići, Hazim Delić a été le premier accusé devant le Tribunal à être reconnu coupable de viol en tant qu’acte de torture17, qualifié d’infraction grave aux Conventions de Genève et de violation des lois ou coutumes de la guerre18. L’affaire Furundžija est venue préciser la définition de la torture et exposer les éléments distinctifs du viol19.

Sur le plan de la procédure, le TPIY a mis au point un ensemble de règles relatives à l’admissibilité et à la communication des éléments de preuve, ainsi qu’à la protection des victimes et des témoins, puisant aux systèmes tant de common law que de droit romano-germanique, afin de réaliser l’équilibre entre les droits des victimes et ceux des accusés, de protéger l’intérêt de la justice et d’améliorer l’efficacité des procédures. Conscient des difficultés que pose la gestion des procès et de la nécessité de normaliser au plus vite les enseignements tirés au fil des audiences, le Tribunal a régulièrement modifié son Règlement de procédure et de preuve afin de garantir l’efficacité de sa procédure sans sacrifier l’équité. Par exemple, en décembre 2000, l’article 92 bis a été adopté, permettant l’admission de déclarations écrites, notamment sous forme de compte rendu de la déposition faite dans une autre affaire portée devant le TPIY, au lieu et place d’un témoignage oral, pourvu qu’elles ne se rapportent pas aux actes ou au comportement de l’accusé. Reprenant les meilleurs éléments des procédures de type romano-germanique, le Règlement a introduit la fonction de juge de la mise en état en première instance et en appel. Les articles 92 ter et 92 quater, qui permettent aussi d’accélérer la procédure en autorisant la présentation de témoignages sous forme écrite, ont été ajoutés en septembre 2006. S’agissant de la protection des victimes et des témoins, les juges peuvent ordonner les mesures nécessaires en vertu de l’article 75 du Règlement. La Chambre de première instance saisie de l’affaire Milutinović et consorts a eu recours à cet article pour veiller à ce que les témoins ne soient présents dans le prétoire que lorsque les juges y étaient, afin de prévenir tout risque d’intimidation20.

Outre ces réalisations, il est important de reconnaître l’attention que les juges ont portée sur une multitude d’autres questions d’intérêt, comme le droit de l’accusé à assurer lui-même sa défense21, la détermination de la peine et la mise en liberté provisoire. Chose plus importante, le TPIY, dépassant ainsi l’héritage de Nuremberg, a établi un système fondé sur les normes les plus élevées en matière d’équité et de garanties procédurales.

Participants

Ont pris part à la conférence, comme participants ou invités, les principaux responsables du Tribunal, ses juges et ses hauts fonctionnaires, des représentants du Groupe de travail créé par le Conseil de sécurité sur les tribunaux ad hoc, du Groupe de l’état de droit de l’ONU, des communautés universitaire et juridique de l’ex Yougoslavie, des organisations non gouvernementales, des organisations internationales et des organes de l’Union européenne, des services juridiques des ambassades à La Haye, des universités, des associations de droit international et des groupes de réflexion, ainsi que d’autres spécialistes du droit international.

Organisation de la conférence

Plus de 350 personnes ont participé à la conférence. Des tables rondes ont été organisées afin d’encourager la discussion. Chacune d’elles comptait des juges du Tribunal, des représentants des milieux universitaires et des juristes spécialisés en droit international relatif aux droits de l’homme, en droit humanitaire et en droit pénal, ainsi que des représentants des gouvernements et de hauts responsables de l’ONU. Un modérateur a lancé le débat par un exposé de vingt minutes avant de laisser la parole aux intervenants. Ceux-ci ont répondu en outre aux questions provenant de l’assistance pendant et après les discussions.

Les quatre tables rondes qui ont eu lieu au cours de la conférence ont eu pour thème général :

  • La jurisprudence du Tribunal en droit substantiel et son incidence sur la clarification du droit international humanitaire coutumier.
  • L’incidence des activités du Tribunal sur l’avenir de la justice internationale ainsi que l’avancement et le respect des droits de l’homme.
  • L’interaction entre les procédures de common law et de droit romano-germanique dans les activités du Tribunal : efficacité et équité dans les procès internationaux complexes.
  • La contribution de la jurisprudence du Tribunal à la clarification des crimes fondamentaux que sont le génocide, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre.

Langues

La conférence s’est déroulée en anglais, en français et en bosniaque/croate/serbe, l’interprétation simultanée étant assurée dans ces langues

Médias

Les représentants des médias ont pu assister à la conférence.

1. Le Procureur c/ Dragoljub Kunarac et consorts, affaire n° IT-96-23, Arrêt, 12 juin 2002, par. 106 à 124 ; Le Procureur c/ Dragoljub Kunarac et consorts, affaire n° IT-96-23-T, Jugement, 22 février 2001, par. 515 à 543.

2. Le Procureur c/ Dražen Erdemović, affaire n° IT-96-22-A, Arrêt, 7 octobre 1997, par. 19.

3. Le Procureur c/ Duško Tadić, affaire n° IT-94-1-A, Arrêt, 15 juillet 1999, par. 195 à 229.

4. Le Procureur c/ Miroslav Kvočka et consorts, affaire n° IT-98-30/1-A, Arrêt, 28 février 2005, par. 79 à 119.

5. Le Procureur c/ Radoslav Brđanin, affaire n° IT-99-36-A, Arrêt, 3 avril 2007, par. 357 à 450.

6. Le Procureur c/ Momčilo Krajišnik, affaire n° IT-00-39-A, Arrêt, 17 mars 2009, par. 153 à 248.

7. Voir Le Procureur c/ Slobodan Milošević et consorts, affaire n° IT-99-37-PT, Deuxième acte d’accusation modifié (Kosovo), 16 octobre 2001, par. 17, 18, 53 et 62 à 68 ; Le Procureur c/ Slobodan Milošević, affaire n° IT-02-54-T, Acte d’accusation modifié (Bosnie), 22 novembre 2002, par. 5 à 9 et 24 à 26 ; Le Procureur c/ Slobodan Milosević, affaire n° IT-02-54-T, Deuxième acte d’accusation modifié (Croatie), 27 juillet 2004, par. 5 à 10 et 26 à 28.

8. Le Procureur c/ Zejnil Delalić et consorts, affaire n° IT-96-21-A, 20 février 2001, Arrêt (« Arrêt Čelebići »), par. 216 à 241.

9. Arrêt Čelebići, par. 242 à 267.

10. Arrêt Čelebići, par. 196 : « À ce propos, la Chambre d’appel estime qu’il est sans conteste possible d’engager la responsabilité des dirigeants civils pour des faits commis par leurs subordonnés ou par d’autres personnes placées sous leur contrôle effectif. »

11. Le Procureur c/ Dario Kordić et Mario Čerkez, affaire n° IT-95-14-2, Jugement, 26 février 2001, par. 402 à 416.

12. Le Procureur c/ Duško Tadić, affaire n° IT-94-1-A, Arrêt, 15 juillet 1999, par. 80 à 162.

13. Le Procureur c/ Duško Tadić, affaire n° IT-94-1-AR72, Arrêt relatif à l’appel de la Défense concernant l’exception préjudicielle d’incompétence, 2 octobre 1995.

14. Payam Akhavan, « Contributions of the International Criminal Tribunals for the Former Yugoslavia and Rwanda to Development of Definitions of Crimes Against Humanity and Genocide » (2000),94 Am. Soc’y Int’l L. Proc. 279, p. 280.

15. Le Procureur c/ Zlatko Aleksovski, affaire n° IT-95-14/1-A, Arrêt, 24 mars 2000, par. 151 et 152.

16. Kelly Askin, « Reflections on Some of the Most Significant Achievements of the ICTY » (2002-2003), 37 New Eng. L. Rev. 903, p. 909.

17. Le Procureur c/ Zejnil Delalić et consorts, affaire n° IT-96-21-T, Jugement, 16 novembre 1998 (« Jugement Čelebići »), par. 1253, 1262 et 1263 ; Arrêt Čelebići, par. 427.

18. Arrêt Čelebići par. 500 à 507 ; Jugement Čelebići, par. 475 à 496.

19. Le Procureur c/ Anto Furundžija, affaire n° IT-95-17/1-A, Arrêt, 21 juillet 2000, par. 109 à 114 ; Le Procureur c/ Anto Furundžija, affaire n° IT-95-17-T, Jugement, 10 décembre 1998, par. 159 à 186.

20. Manuel des pratiques établies du TPIY (2009), p. 201.

21. La question du droit de l’accusé à assurer lui-même sa défense a été traitée dans plusieurs affaires, notamment les affaires Milošević, Krajišnik, Šešelj, Tolimir et Karadžić.