Le rôle que le Tribunal a joué en poursuivant des auteurs de crimes sexuels infligés pendant les conflits en ex-Yougoslavie est inédit. Il a ouvert la voie pour que, dans le monde entier, ces crimes soient jugés avec plus de fermeté.
Dès les premiers jours du mandat du Tribunal, des enquêtes ont été menées au sujet d’allégations concernant la détention systématique et le viol de femmes, d’hommes et d’enfants. Plus d'un tiers des personnes condamnées par le TPIY ont été déclarées coupables pour des crimes impliquant des violences sexuelles. Il s’agit là d’un accomplissement précurseur, grâce auquel les différents traités et conventions établis au fil du XXè en matière de violences sexuelles ont finalement pu être appliqués, et leur violation sanctionnée.
“Près de la moitié des personnes condamnées par le TPIY ont été déclarées coupables pour des crimes impliquant des violences sexuelles.
Le premier traité international rendant implicitement illégale la violence sexuelle, la Convention de La Haye de 1907, ne mettait pas un terme à l’impunité pour ces crimes : après la seconde guerre mondiale, par exemple, le Tribunal militaire international de Nuremberg n’a pas engagé expressément de poursuites pour des violence sexuelles, et le tribunal de Tokyo a ignoré la réduction en esclavage des « femmes de réconfort » par l’armée japonaise. En 1949, les Conventions de Genève, qui ont fait date déclaraient: « Les femmes seront spécialement protégées…contre le viol, la contrainte à la prostitution et tout attentat à leur pudeur ». Les conflits en ex-Yougoslavie ont révélé qu’il était urgent que ces lois internationales historiques dépassent le stade de la théorie, et soient finalement appliquées en salle d’audience.
Des mesures sans précédent
Le TPIY a pris des mesures innovantes pour répondre à l’impératif que représentent les poursuites pour des sévices sexuels infligés en temps de guerre. De même que son institution-soeur, le Tribunal pour le Rwanda, le TPIY est l’une des premières instances judiciaires à mettre des accusés explicitement en cause pour violences sexuelles commises en temps de guerre, et à définir, en droit coutumier, des crimes commis contre des femmes tels que le viol et l’esclavage sexuel.
Le TPIY est également le premier tribunal pénal international à avoir prononcé des déclarations de culpabilité pour viol en tant que torture et pour esclavage sexuel en tant que crime contre l’humanité. Il est aussi le premier tribunal international basé en Europe à avoir prononcé une déclaration de culpabilité pour viol en tant que crime contre l’humanité, après celle prononcée par le Tribunal pénal international pour le Rwanda. Le TPIY a apporté la preuve qu’il était possible de poursuivre avec efficacité des violences sexuelles perpétrées en temps de guerre. Il a permis aux survivants de s’exprimer au sujet de leurs souffrances et a finalement contribué à rompre le silence et la tradition d’impunité qui entouraient ces actes.
Plus d'un tiers des personnes condamnées par le TPIY ont été déclarées coupables pour des crimes impliquant des violences sexuelles
De nombreux survivants ont eu le courage de déposer devant le TPIY alors qu’ils avaient pour leur vie et celles de leurs familles, et subissaient en permanence les séquelles de traumatismes physiques et psychologiques. La bravoure dont ils ont fait preuve s’est avérée essentielle pour poursuivre les auteurs de violences sexuelles commises en temps de guerre, pour établir les faits et pour juger des individus pour ces crimes.
Une Musulmane de Foča, en Bosnie-Herzégovine orientale, a expliqué aux juges avoir subi un viol à l’âge de 15 ans. Une femme serbe de Bosnie de la région de Konjić a déclaré qu’elle ne parvenait pas à croire à une telle barbarie: « Je ne pouvais pas croire qu’on était (à la fin du) XXe siècle et que quelqu’un puisse faire des choses pareilles». Dans de nombreuses affaires, le Tribunal a également examiné des chefs d’accusation de sévices sexuels infligés à des hommes, y compris dans son tout premier procès, celui de Duško Tadić.
Le TPIY a pris des mesures positives pour s’assurer que les victimes de sévices sexuels seraient en mesure de témoigner sans avoir peur pour leur vie ou craindre des actes de vengeance. Le règlement de procédure du Tribunal a toujours cherché, au fil de ces mises à jour, à protéger les victimes de sévices sexuels contre d’éventuels interrogatoires conduits de manière abusive lors de la déposition des témoins. Ces derniers ont également la possibilité de déposer sous un pseudonyme, de bénéficier d’une altération de la voix et/ou de l’image pendant la retransmission du procès ou de déposer à huis clos.
Le TPIY a en outre mis en place une Section d’aide aux victimes et aux témoins efficace, qui permet de bénéficier d’une aide avant, pendant et après avoir déposé. Cette aide peut aussi bien être d’ordre matérielle ou prendre la forme de conseils psychologiques prodigués aux témoins durant leur séjour à La Haye. La section s’efforce de permettre aux témoins de vivre leur déposition comme une expérience positive et constructive.
Dans le cadre de la stratégie d’achèvement de ses travaux, le TPIY a renvoyé devant les instances judiciaires d’ex-Yougoslavie plusieurs affaires concernant des accusés de rang intermédiaire et subalterne. La majorité des affaires transférées devant la Cour d’État de Bosnie-Herzégovine comprenait des chefs d’accusation de violence sexuelle. Fait important, le TPIY s’est appuyé sur les jugements et conclusions d’autres tribunaux internationaux et, grâce aux décisions judiciaires majeures qu'il a rendues, il a contribué à faire prendre conscience de la nécessité de juger les violences sexuelles commises en temps de guerre.