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Dragan Obrenović

Je suis pourchassé par un même sentiment, la culpabilité. […] Je vais m'efforcer de faire ce qu'il faut pour pouvoir me laver de cette tache […] Je suis coupable parce que je n’ai rien fait pour essayer de défendre ces prisonniers.

Dragan Obrenović était un officier supérieur et commandant dans l’armée des Serbes de Bosnie, en juillet 1995. Il a été condamné pour des persécutions ayant pris la forme du meurtre de centaines de civils musulmans de Bosnie, à Srebrenica et dans les alentours. Aux termes de l’accord sur le plaidoyer, Dragan Obrenović a accepté de témoigner devant le Tribunal dans le cadre d’autres procès, y compris relatifs à Srebrenica. Il a été condamné à 17 ans d’emprisonnement.

Lire son aveu de culpabilité

30 octobre 2003 (extrait du compte rendu d'audience)

[interprétation] Merci, Monsieur le Président. Monsieur le Président, Madame, Messieurs les Juges, je vous remercie de m'avoir accordé la possibilité de m'adresser à vous aujourd'hui. Sur le territoire du pays d'où je viens et où je suis né, il était coutumier de prendre les armes pour célébrer la naissance d'un garçon. Ces coups de feu indiquaient qu'on attendait de lui de faire preuve de force, de protéger les siens, d'être donc un combattant, un soldat, un chef de famille. Et malheureusement, lorsque d'autres coups de feu ont commencé à être tirés dans l'ex-Yougoslavie, coups de feu destinés à faire la guerre, il était normal pour tous les jeunes gens, pour tous les jeunes garçons, de revêtir l'uniforme, de prendre les armes. Ils allaient défendre leur patrie, leur nation et finalement leur famille. C'est ce qu'on attendait de ces jeunes gens. C'était leur rôle. Et ce rôle était considéré comme sacré.

Ces jeunes gens n'avaient pas le choix. Il n'était possible pour eux que d'être un soldat ou un traître. Au début de la guerre, on pouvait penser que cette guerre et tout ce qu’elle entraînait était impossible, que cela ne pouvait pas nous arriver, que tout allait se régler au bout de quelques jours à peine de combats et que finalement notre génération avait encore une chance. Nous n'avons pas compris assez vite que nous venions d'être plongés dans le tourbillon de la haine ethnique, et que nos voisins ne pouvaient vivre à nos côtés, que la mort nous entourait et qu’on s’y était habitués. La mort est malheureusement devenue notre réalité quotidienne.

Qui aurait pu croire avant tout cela que l’horreur de la guerre pouvait devenir une réalité quotidienne ? Qui aurait pu penser qu'elle ferait partie intégrante de notre vie ? Plongés dans l'horreur, nous nous y sommes habitués et nous nous sommes habitués à vivre comme cela. Parmi cette horreur, un certain nombre de choses ont été commises par des gens qui se connaissaient et qui, jusqu’à hier, avaient presque vécu comme une seule et même famille. En Bosnie, un « voisin » signifie beaucoup plus que le fait d'appartenir à une même famille. En Bosnie, boire le café avec votre voisin, c'était un rituel, et bien ce rituel nous l’avons foulé au pied et totalement oublié. Nous nous sommes perdus dans la haine et la violence. Et c’est dans ce tourbillon d'horreur et de malheur que s’est produit l’abomination de Srebrenica.

Je suis ici devant vous Messieurs, Madame les Juges parce que je souhaite vous dire tout mon remords. J'y ai réfléchi pendant longtemps. Je suis pourchassé par un même sentiment, la culpabilité. Je trouve très pénible de m'exprimer ici aujourd'hui. Je vais m'efforcer de faire ce qu'il faut pour pouvoir me laver de cette tache. Je suis coupable parce que je n'ai rien fait pour essayer de défendre ces prisonniers. Je me demande aujourd'hui sans cesse ce que j’'aurais pu faire et que je n'ai pas fait. Des milliers de victimes innocentes ont péri. Leurs tombes restent derrière elles pour parler de leur mort. Des milliers de personnes ont été réduites à l'état de réfugiés. Les destructions ont été massives. Le malheur, la souffrance se sont abattus sur cette partie du pays et je fais partie des gens qui sont responsables de cela.

Le malheur de quelques côtés qu'il vienne, reste parmi nous, comme un avertissement pour que tout cela ne se reproduise jamais. Mon témoignage et mon aveu de culpabilité vont, je l'espère, pouvoir laver ma nation de cette faute, parce que la faute est individuelle, et la faute est celle d'un homme qui porte le nom de Dragan Obrenović. J'assume cette responsabilité. Ma culpabilité est liée à un acte pour lequel je présente toutes mes excuses aux victimes et aux ombres des victimes. Je serai heureux si mon aveu et mon remords contribuent à la réconciliation en Bosnie, si à l’avenir les voisins se serrent à nouveau la main. Je serai heureux de voir nos enfants jouer à nouveau les uns avec les autres et s’il ont eux aussi le droit à une chance.

Je serai heureux si mon témoignage apporte une aide aux familles des victimes, s’il leur permet de ne pas avoir à venir témoigner ici et de ne pas avoir à revivre les atrocités et la souffrance pendant leur déposition. Je souhaite que mon témoignage puisse contribuer à ce que ceci ne se reproduise plus jamais nulle part, ni en Bosnie, ni nulle part dans le monde. Il est trop tard pour moi, aujourd'hui, pour agir autrement que je ne l’ai fait, mais pour les enfants qui vivent aujourd'hui en Bosnie, il n'est pas encore trop tard et j'espère que tout ce qui s'est passé leur servira d'avertissements à l'avenir.

Au cours des souffrances que nous avons vécues pendant cette guerre, personne n’est sorti victorieux. Dans chaque partie engagée dans le conflit, la douleur est aujourd’hui encore présente.- Les vainqueurs, ce sont   le malheur et la souffrance qui résultent de cette guerre due à une haine aveugle. Ce sentiment de malheur va continuer à planer sur les collines ravagées de Bosnie. Il faudra des années pour effacer les traces de cet horrible conflit et pour qu’à nouveau de la fumée sorte des cheminées. Il faudra peut-être des décennies pour que les blessures cicatrisent dans les âmes du peuple. Si mon témoignage, mon aveu, l'expression de mon remords peuvent contribuer à ce que les plaies se referment plus vite, alors j’aurais fait mon devoir de soldat, de combattant, de père et d’homme.

En conclusion, je souhaite remercier l'Accusation pour les efforts qu'elle déploie en faveur de la vérité et de la justice. J'aimerais vous remercier vous-mêmes, Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs les Juges, de m'avoir écouté avec attention pendant toute la durée de ma déposition. Je me suis efforcé de répondre à toutes les questions qui m'étaient posées le plus précisément possible et avec la plus grande véracité possible.
Je vous remercie.

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