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Le témoin 87

 

Certaines pensées, certaines douleurs que je ressentais et que je ressens toujours, ne disparaîtront jamais.

 

 

Le témoin 87, jeune fille musulmane de Bosnie, raconte les viols et les sévices sexuels qu’elle a subis pendant les neufs mois où elle était détenue par des soldats serbes. Pendant cette période, elle a également été violée par Dragoljub Kunarac et Radomir Kovač. Elle a témoigné les 4 et 5 avril 2000, et le 23 octobre 2000, au procès de Dragoljub Kunarac, Zoran Vuković et Radomir Kovač.

 

 

Lire son histoire et son témoignage

Jusqu’en avril 1992, le témoin 87, musulmane de Bosnie âgée de 15 ans, vivait avec sa mère, sa sœur et son frère dans le village de Trošanj, près de la ville de Foča, située à proximité de la frontière avec la Serbie au sud-est de la Bosnie-Herzégovine.

Elle a expliqué n’avoir alors parlé à personne des sévices qu’elles venaient de subir, pas même à sa mère. « À ce moment-là, je n’avais pas de force et je ne pouvais même pas la regarder droit dans les yeux et pas uniquement elle, mais personne d’autre.»

En avril 1992, lorsque le conflit a éclaté à Foča, elle a entendu et vu « des tirs, des explosions ». « Parfois, des maisons étaient incendiées » a-t-elle ajouté. Des barricades étaient érigées. « Parfois, je ne pouvais pas rentrer chez moi à cause des barrages routiers » s’est-elle souvenue.

L’école a fermé peu après, et le témoin et sa famille se sont cachés dans les bois. « On avait peur d’être tué », a-t-elle expliqué. « Nous étions dans les bois, nous dormions avec deux autres familles et pendant une certaine période, nous sommes rentrés à la maison, et ensuite nous sommes repartis dans les bois».

Lorsque le village a été attaqué par les forces serbes le 3 juillet 1992, elle dormait sous une tente dans les bois, avec sa famille. Ils ont entendu des tirs. « Tout le monde a paniqué et puis les gens ont commencé à fuir mais personne ne savait trop bien où aller, dans quelle direction, et quand le premier homme a été touché ou plutôt blessé, à ce moment-là, nous avons été pris de terreur ».

Alors que les gens essayaient de fuir, des soldats serbes qui portaient des tenues de camouflage ont surgi, les ont poursuivis et finalement encerclés. Les soldats ont commencé à battre les hommes, en leur demandant où ils avaient caché leurs armes. « Ils ont séparé les hommes des femmes. Ensuite, ils nous ont fait sortir du bois et ils nous ont demandé de nous rendre, de descendre vers un champ. Ce n’était pas très loin. Et puis, ils nous ont alignés. Ils nous ont demandé si on avait de l’or, si on avait de l’argent ».

Alors que les femmes et les enfants quittaient le près, des tirs ont retenti. Ils ont pensé que les hommes, qui avaient été au préalable séparés du reste du groupe, avaient été tués. C’était bien le cas, et le témoin n’a jamais revu son père.

Après avoir quitté le près, le groupe a été conduit dans un hôtel de Mjesaja (un secteur à la fois serbe et musulman de Trošanj, dans un endroit communément appelé « Buk Bjela »). Les soldats serbes les ont alignés contre un mur et leur ont demandé d’attendre. « Ils [les soldats] sont venus chercher un certain nombre de personnes et ils les ont interrogées ». « Tout simplement, ils venaient, ils appelaient certaines personnes par leur nom et ils les emmenaient» a-t-elle expliqué.

Le témoin 87, détenue elle aussi, a également été emmenée, mais pas pour être interrogée. À un moment donné un soldat serbe la prise par la main et l’a emmenée dans une pièce. Il lui a alors demandé d’enlever ses vêtements. Comme elle refusait, le soldat les lui a enlevés lui-même, et l’a violée. Un autre soldat l’a ensuite ramenée dans le groupe.

Décrivant le moment où elle a retrouvé le groupe, elle a déclaré : « Je ne comprenais plus rien. Je ne savais pas ce qui se passait autour de moi. ». Un peu plus tard, deux autres hommes l’ont appelée, ainsi que sa soeur de 19 ans, pour le soi-disant interrogatoire. Elles ont été conduites dans une autre petite pièce. « Il y avait un lit, il y avait une table, il y avait quelques chaises. Je pense qu’il y avait quatre soldats qui s’y trouvaient déjà mais il y avait tout le temps des gens qui entraient et sortaient ». L’un d’entre eux était Dragan Zelenović qui a par la suite plaidé coupable devant le Tribunal, reconnaissant sa culpabilité pour torture et viol à Foča.

L'immeuble Brena à Foča, où des jeunes filles et des femmes furent détenues et abusées sexuellement
(Pièce à conviction D157, affaire Kunarac et consorts)

Pour commencer, les soldats ont posé au témoin 87 des questions au sujet des habitants du village, lui demandant où ils se cachaient, et où ils avaient caché leurs armes. Ils lui ont ensuite posé des questions sur elle-même, sur sa vie. « Ils m’ont demandé si j’étais vierge » a-t-elle expliqué, « Là-dessus, j’ai dit que je l’étais quelques moments auparavant, quelque chose dans ce sens-là ». Puis elle a de nouveau reçu l’ordre d’enlever ses vêtements, et a été violée par les quatre hommes. Ensuite on l’a fait monter dans un bus où les autres détenus avaient pris place, à l’exception de sa mère qui avait refusé de partir sans elle et l’attendait à l’extérieur du bâtiment.

Elle a expliqué n’avoir alors parlé à personne des sévices qu’elles venaient de subir, pas même à sa mère. « À ce moment-là, je n’avais pas de force et je ne pouvais même pas la regarder droit dans les yeux et pas uniquement elle, mais personne d’autre.» En dépit de sa grande difficulté à décrire ce qu’elle avait alors éprouvé, elle a déclaré aux juges: « Je sais que j’étais terrifiée. J’avais très peur, j’avais honte et je me sentais extrêmement sale, souillée. »

Les détenus ont été conduits en bus au lycée du quartier Aladža de Foča. C’était le lycée qu’elle fréquentait à l’époque. À leur arrivée, les soldats serbes les ont emmenés dans une salle de classe au premier étage, dans laquelle « il n’y avait pas de banc, pas de chaise, mais il y avait des matelas par terre.»

Elle a raconté que la salle était gardée par quatre ou cinq soldats, qui environ une nuit sur deux faisaient sortir les femmes pour les violer : « Chaque fois que quelqu’un venait, ils prenaient des jeunes filles. Enfin, normalement, ils appelaient soit les femmes, soit les jeunes filles et ils les emmenaient avec eux ». Ils faisaient sortir les filles de l’école et les emmenaient dans des appartements en ville, ou simplement d’une salle de classe à l’autre. Une fois, cinq soldats ont appelé cinq jeunes filles et les ont emmenées dans une salle de classe. Parmi eux se trouvaient Dragan Zelenović et Zoran Vuković. Elle a reçu l’ordre d’aller dans un coin de la pièce, où Vuković était assis : « Vuković m’a dit de me coucher sur un matelas. Ensuite, il a enlevé mes vêtements et m’a violée ». Elle a déclaré ne pas savoir ce qui était arrivé aux autres filles, mais avoir entendu un soldat frapper l’une d’entre elles. Comme précédemment, le témoin 87 n’a rien raconté à sa mère. « Elle ne m’a jamais posé la question et moi, je ne lui ai jamais dit mais je pense qu’elle le savait. J’en suis assez sûre ».

Les jeunes filles ont toutes reçu l’ordre de sortir de la salle plusieurs fois, et à chaque fois elles ont été violées. Elles ont été détenues au lycée pendant deux semaines. Le témoin 87 a expliqué qu’elles ne s’étaient jamais senties libres de partir parce qu’ « il y avait toujours des soldats dans le lycée. Il y avait toujours des soldats qui gardaient l’entrée même si à Foča, à l’époque, il n’y avait déjà plus beaucoup de Musulmans dans la ville. Donc, nous n’étions pas en sécurité si nous sortions dans la rue. »

Après avoir été détenue au lycée pendant environ deux semaines, le témoin 87 a été, avec toutes les autres détenues, emmenée dans la salle de sport Partizan, à Foča: « Tout d’abord, ils nous ont amené nettoyer cette salle et ensuite, ils nous ont transférées là-bas.» Par la suite d’autres femmes des villages des environs de Foča ont été emmenées dans la salle de sport. « Nous dormions sur les tapis de gymnastique. Les conditions de vie étaient très, très difficiles. Les conditions d’hygiène étaient minables. La nourriture était très mauvaise aussi ».

Comme dans le précédent lieu de détention, les soldats serbes « venaient et cherchaient certaines personnes, certaines jeunes filles. Ensuite, ils choisissaient les personnes qu’ils voulaient, le nombre de personnes qu’ils voulaient et simplement, ils les amenaient avec eux. » Cela se produisait chaque nuit, ou occasionnellement une nuit sur deux. Parmi ces soldats se trouvaient Dragoljub Kunarac et Gojko Janković [initialement poursuivi par le Tribunal, avant que son affaire ne soit transférée devant la Cour d’État de Bosnie-Herzégovine, qui l’a condamné à 34 ans d’emprisonnement pour les crimes dont il s’était rendu coupable à Foča].

Elle a ajouté : « J’avais peur. Et j’avais honte ». Elle n’avait aucun contrôle sur ce qui lui arrivait, et avait l’impression d’être la propriété de Radomir Kovač.

Les jeunes filles étaient en général emmenées en voiture dans plusieurs maisons de Foča, dont une située près de la mosquée d’Aladža, et une autre qui se trouvait près de la gare routière. Le témoin 87 a été violé par Dragoljub Kunarac et d’autres hommes à de nombreuses reprises. Elle a notamment relaté la dernière fois qu’elle a été conduite à la maison d’Aladža. Là encore, c’est Dragoljub Kunarac qui l’y a emmenée, avec d’autres jeunes filles, dont sa soeur (le témoin DB). Elle a ajouté que d’autres soldats étaient également présents, et qu’à en juger par leur accent ils semblaient monténégrins. « D’habitude, il y avait plusieurs soldats là-bas et ensuite – "bien sûr ", devrais-je dire – ils nous violaient toutes.» Elle a relaté que, cette fois, c’est Dragolub Kunarac et deux autres hommes qui l’avait violée.

Au matin suivant, le témoin et trois autres filles, dont sa sœur ont été conduites à une maison de Miljevina, la « maison de Karaman ». « Ils ne nous ont d’ailleurs pas dit où nous allions et pourquoi nous y allions » a-t-elle ajouté. « Il y en avait deux ou trois [hommes] qui résidaient dans cette maison. Enfin, c’est l’impression que ça donnait […] [D’autres soldats] venaient à la maison et généralement, ils choisissaient une des jeunes filles et ils l’emmenaient au deuxième étage.»

Elles sont restées dans la maison pendant environ deux mois, au cours desquels elles ont été régulièrement violées par les soldats serbes : « Je crois qu’après un certain temps, on a amené deux ou trois jeunes filles. En tout cas, toutes les jeunes filles ont été violées soit chaque nuit, soit une nuit sur deux ». Le témoin a rapporté que Dragan Zelenović faisait parti des soldats qui venaient à la maison, et elle a également relaté la seule fois où Dragoljub Kunarac y est venu. Elle a précisé qu’il était blessé et avait un bandage. « [je me souviens[qu’]…il m’a amenée à l’étage supérieur et il m’a violée » a-t-elle dit. Elle s’est demandée « comment quelqu’un qui était blessé pouvait commettre un acte de ce genre.»

Un soldat du nom de Pero, qui semblait être responsable de la maison, disait aux jeunes filles que « seules des personnes bien particulières avaient le droit d’entrer dans la maison ou que seuls ceux à qui il en donnait l’autorisation pouvaient entrer. » Il leur a également donné le numéro de téléphone d’un hôtel de Miljevina au cas où « quelqu’un vienne à la maison. Il nous a dit que si quelqu’un venait, il fallait l’appeler pour le prévenir. »

La porte de la maison de Karaman n’était jamais fermée à clé : « C’est le genre de porte qu’on peut ouvrir de l’intérieur, mais pas de l’extérieur, » a-t-elle précisé. « Au début, on n’avait pas le droit de sortir de la maison, mais plus tard on a pu sortir sur la terrasse ou dans le jardin. » Elle a expliqué qu’elles n’ont jamais quitté la maison durant leur détention : « On ne savait pas où aller, et puis on ne savait pas à quoi ça mènerait cette tentative d’évasion, et il n’y avait de sécurité nulle part ». Elles devaient également effectuer des tâches ménagères : « On devait faire la cuisine, on devait faire la vaisselle, la lessive. On devait faire le ménage. » À la question de savoir si elle pouvait compter le nombre de fois où elle avait été violée dans la maison, le témoin a répondu : « Je ne crois pas que ce soit possible. »

Les jeunes filles ont été contraintes de rester dans la maison de Karaman jusqu’à la fin du mois de septembre ou au début du mois d’octobre, puis elles ont été emmenées à Foča. « Tout d’abord, on nous a emmenées dans un appartement dans le quartier de Ribarsko et le lendemain, on nous a emmenées dans l’appartement de Klanfa qui se trouve dans l’immeuble Brena. »

Elle a été détenue dans cet immeuble avec quatre autres jeunes filles, pendant quatre mois, durant lesquels elles ont été violées par des soldats serbes, parfois nuits après nuits. Les soldats, a-t-elle déclaré, étaient toujours armés : « Ils avaient des fusils, des pistolets et des couteaux. »

Les soldats, dont Radomir Kovač, forçaient également les jeunes filles à se déshabiller devant eux. « Il fallait s’aligner […] il a fallu qu’on reste nues, qu’on enlève tous nos vêtements. » Elle a évoqué un moment humiliant vécu alors qu’elle était seule avec Kovač : « Il m’a demandé d’enlever mes vêtements, de monter sur la table et de danser. Il a mis de la musique et lui, il était sur le lit et il pointait son pistolet sur moi. ». Elle a ajouté : « J’avais peur. Et j’avais honte » . Elle n’avait aucun contrôle sur ce qui lui arrivait, et avait l’impression d’être la propriété de Radomir Kovač.

Les jeunes filles ont également été contraintes d’enlever leurs vêtements alors qu’elles se trouvaient dans un appartement de Gornje Polje. Elle a déclaré, au sujet de Radomir Kovač: « Il nous a demandé d’enlever nos vêtements et de monter sur la table, de rester debout comme ça. Et c’est à ce moment-là qu’il a dit qu’il allait nous faire traverser la ville comme ça, toutes nues, qu’il allait nous conduire jusqu’à la rivière et qu’au niveau de la rivière, il allait nous tuer. » Un jour, il leur a effectivement donné l’ordre d’aller avec lui jusqu’à la rivière, et elle a cru qu’elle allait mourir. « Je sais que j’étais terrifiée et je ne savais pas comment ils allaient le faire. Je sais que peu de temps après il nous a ramenées dans son appartement. »

Elle a également décrit les différentes fois où Radomir Kovač et d’autres soldats ont fait sortir les filles de l’appartement. Elle a expliqué qu’elles ne pouvaient pas en sortir seule, parce qu’elles étaient enfermées. « Je me souviens qu’une fois, on a été emmenées dans un appartement à Donje Polje. Une autre fois, nous avons été emmenées dans un autre appartement, mais je ne me souviens pas avec précision de ce qui s’est passé et, plusieurs fois, nous sommes sorties avec eux dans des cafés, dans des pubs » a-t-elle dit. Lorsque les soldats les faisaient sortir, les filles devaient s’habiller pour la circonstance: « On nous forçait également à mettre sur nos têtes des couvre-chefs ou quelque chose avec les insignes de leur armée. » Puis ils se rendaient dans un café. « On restait assise dans ce café, et puis on revenait à la maison. »

Pendant les mois où elles sont restées prisonnières des soldats serbes, les jeunes filles ont été victimes de mauvais traitements et de menaces diverses. Elle a déclaré au sujet d’un soldat: « Une autre fois, il m’a menacée avec son couteau. Il a dit qu’il allait me couper le visage », et a ajouté « Une fois ou deux ils nous ont menacées de mort, ils ont dit qu’ils allaient nous égorger ». Elle a expliqué que les menaces laissaient des séquelles sur les autres filles, notamment sur le témoin AB, qui avait alors 12 ans, et parfois « se comportait d’une manière assez bizarre », avait des difficultés à s’endormir et elle faisait des cauchemars quand elle parvenait à dormir. Quand on lui a demandé si la situation s’était améliorée dans l’appartement par rapport aux autres lieux où elle avait été détenue, le témoin 87 a déclaré: « Ce sont les viols qui constituent le point commun entre cet appartement, le lycée et la maison de Karaman. C'est la raison pour laquelle, pour moi, ces trois situations-là sont égales. Si vous voulez que je dise que d'une certaine manière la situation était meilleure dans l'appartement de Klanfa, c'est peut-être vrai, parce qu'il existe une différence entre le fait d’être violée par une ou deux personnes ou par 20 personnes, ou je ne sais combien. »

Le témoin 87 a finalement quitté l’appartement vers la mi-février 1993, lorsque deux soldats sont venus du Monténégro négocier avec les soldats serbes et l’ont achetée, avec une autre fille, pour 500 Marks allemands. Elles ont été amenées dans l’immeuble Brena où logeaient les soldats monténégrins. « Nous avons passé une nuit là-bas, à ma connaissance. Ensuite, ils nous ont transférées jusqu’à un autre appartement qui se trouvait dans le quartier de Brod et c’est là où, normalement, on était censées attendre que les Monténégrins nous emmènent quelque part derrière la frontière, au Monténégro. »

Après avoir attendu dans l’appartement de Brod, les filles ont été conduites de l’autre côté de la frontière, jusqu’à Nikšić, au Monténégro. « Je pense qu’à ce moment-là également, ils se sont approvisionnés en armes. Ils achetaient des armes et ils en ont caché un peu partout, sous le siège de la voiture, dans le coffre et un peu partout. Et ils nous ont dit qu’une fois arrivés au poste de frontière entre la Bosnie et le Monténégro il faudrait qu’on dise qu’on était des jeunes filles serbes, et ils nous ont également donné des noms qu’il fallait emprunter. Ils nous ont dit également qu’il fallait dire au poste frontalier qu’on ne disposait pas de cartes d’identité, de rien, que tout avait été détruit, enfin, quelque chose comme ça. Une fois au poste de frontière, il n’y a pas véritablement eu de problème. On est resté une quinzaine de minutes et une fois passé la frontière nous sommes allés jusqu’à Nikšić. »

Lorsqu’elles sont arrivées à Nikšić, les jeunes filles ont vécu dans l’appartement de l’un des Monténégrins, où elles ont été régulièrement violées. Quelques jours après leur arrivée, elles ont été contraintes de travailler comme serveuse dans un café. « On ne nous a pas rémunérées, » a-t-elle expliqué, ajoutant « [On avait] réussi à économiser un petit peu d’argent parce que les invités nous laissaient un pourboire (…) Nous avons travaillé pratiquement tout le temps dans ce bar et ensuite, on nous a transférées à Podgorica, » la capitale du Monténégro.

À Podgorica, les soldats les ont laissées dans l’appartement d’un autre Monténégrin qui « n’était dans cet appartement que peut-être 3 ou 4 heures durant l’après-midi » parce qu’il travaillait. Le témoin 87 a déclaré que vers trois heures de l’après-midi il n’y avait personne dans l’appartement et la porte n’était en principe jamais fermée. Il leur était donc possible de sortir. La première fois, a-t-elle expliqué, elles ont eu très peur: « Nous nous demandions qui nous allions rencontrer dans la rue. » Mais la deuxième fois a été plus facile. Elle a relaté qu’elles s’étaient senties soulagées, parce que la ville n’était pas en état de guerre, et parce que les gens « se comportaient normalement. »

Elles ont essayé de sortir de leur logement, et ont un jour trouvé une gare routière. « Nous avons réussi à savoir à quelle heure les autobus partaient, quel était le prix des billets, et cætera, et donc nous avons choisi un jour et décidé de partir ce jour-là », a-t-elle raconté. Vers le 5 avril, les deux jeunes filles ont quitté Podgorica pour Rožaje, une ville du nord-est du Monténégro.

Le témoin 87 a dit à déclaré aux juges que même si ce supplice avait pris fin, elle continuait à en souffrir aujourd’hui : « Je pense qu’en ce qui concerne beaucoup de choses, j’ai décidé d’essayer de les laisser de côté, derrière moi, même si au fond de moi, il y a toujours et il y aura toujours, bien sûr, des traces de tout cela. Je pense que pendant toute ma vie, certaines pensées, certaines douleurs que je ressentais et que je ressens toujours ne disparaîtront jamais ».
 

Le témoin 87 a témoigné les 4 et 5 avril 2000 et le 23 octobre 2000, au procès de Dragoljub Kunarac, Radomir Kovač et Zoran Vuković. Les trois hommes ont été déclarés coupables de crimes contre l’humanité et de violations des lois ou coutumes de la guerre et condamnés respectivement à 28 ans, 20 ans et 12 ans d’emprisonnement. Dragoljub Kunarac et Radomir Kovač ont tous deux été déclarés coupables d’avoir personnellement violé le témoin 87. La défense de Kovač a présenté des arguments selon lesquels ce dernier entretenait des liens amoureux avec le témoin 87. Les juges ont catégoriquement rejeté cet argument, qualifiant en ces termes le rapport que Kovač entretenait avec elle : « un opportunisme cruel, des sévices permanents et un rapport de domination à l’égard d’une jeune fille qui n’avait que 15 ans à l’époque des faits. »

> Lire le témoignage complet du témoin 87

 

 

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