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Le témoin O

 

… les meurtres étaient systématiques […] Ceux qui ont organisé ça ne méritent pas d’être en liberté.

 

 

Le témoin O (lors de sa déposition, son nom et son identité n’ont pas été divulgués au public), qui, à l’âge de 17 ans, a survécu aux exécutions perpétrées à Srebrenica, alors qu’il avait 17 ans et parle des. Il a témoigné contre Radislav Krstić le 13 avril 2000.

 

 

Lire son histoire et son témoignage

Le témoin O venait d’avoir 17 ans quand, le 11 juillet 1995, l’armée des Serbes de Bosnie, Vojska Republika Srpska (la « VRS »), a pris le contrôle de Srebrenica, une ville située dans l’est de la Bosnie-Herzégovine. Le même jour, le témoin et son père ont décidé de rejoindre un groupe de plusieurs milliers d’hommes valides de Srebrenica qui tentaient de gagner les territoires contrôlés par les Musulmans de Bosnie pour échapper à la mort.

Après le départ des soldats, le témoin O a vu un homme bouger devant lui. Il lui a demandé en chuchotant : 'Est-ce que tu es vivant ?' L’homme a répondu : 'Oui, détache-moi.'

Le 13 juillet 1995, alors qu’il était caché dans les bois, le témoin O a entendu des soldats serbes qui, à l’aide d’un porte-voix, appelaient les Musulmans de Bosnie à se rendre, en promettant de respecter les Conventions de Genève. Dans l’après-midi, le témoin O a rejoint un groupe de plusieurs milliers d’hommes qui descendaient des bois. Le témoin a déclaré qu’il ignorait qu’ils s’apprêtaient à se rendre.

« Des soldats sont passés parmi nous pour nous prendre notre argent. Quand nous n’avons plus rien eu à leur donner, ils ont insulté nos mères en les traitant de balija [terme péjoratif employé pour désigner les Musulmans de Bosnie] », a déclaré le témoin O. Les soldats de la VRS ont ordonné au témoin et aux autres prisonniers musulmans de Bosnie de lever les mains en l’air et de partir en courant vers la ville de Bratunac, le long d’une route située au nord de Srebrenica. Pendant qu’ils couraient, les prisonniers ont porté les blessés à tour de rôle. Les soldats les ont également obligés à faire le salut serbe (trois doigts levés) au passage des autocars qui transportaient des femmes et des enfants expulsés vers les territoires contrôlés par les Musulmans.

Après avoir été détenus dans une prairie pendant quelque temps, le témoin O et les autres prisonniers ont été sommés par les forces serbes de Bosnie de monter dans des camions où ils ont passé la nuit. D’après le témoin O, il régnait dans les camions bondés une telle chaleur que certains prisonniers ont perdu connaissance. « Nous avions tellement soif », a déclaré le témoin O, « que nous avons fini par boire notre urine. »

Le 14 juillet, dans l’après-midi, les forces serbes de Bosnie ont emmené le témoin O et les autres prisonniers dans une école où ils les ont enfermés dans plusieurs pièces. L’un des soldats a demandé : « À qui appartient cette terre ? » Il a répondu lui-même : « Cette terre est aux Serbes, elle l’a toujours été et le sera toujours. » D’autres soldats ont demandé : « À qui appartient Srebrenica ? » Ils ont répondu eux-mêmes : « Aux Serbes. Srebrenica a toujours été serbe et le sera toujours. »

Après tout ce que j’ai raconté, après tout ce que j’ai vu, j’en ai conclu qu’il s’agissait de meurtres très organisés

Le témoin O a déclaré qu’au début, les prisonniers pouvaient respirer dans la salle de classe. La chaleur n’y était pas étouffante comme dans les camions. Après avoir connu l’horreur dans le camion où il était détenu, le témoin O se sentait relativement libre. Mais, très rapidement, les prisonniers ont commencé à manquer d’air. Le témoin O a déclaré que, lorsque l’un d’entre eux avait tenté d’ouvrir une fenêtre, un soldat serbe avait commencé à tirer et avait blessé l’homme qui se tenait à côté de lui. À l’exception d’un jerrycan, dont ils n’ont pu tirer qu’une goutte d’eau par personne, les prisonniers n’ont pas eu à boire.

À la tombée de la nuit, le témoin O a entendu que les soldats faisaient sortir des prisonniers des autres salles de classe par petits groupes. Quand les prisonniers sont sortis de l’école, le témoin a entendu des coups de feu. Les rafales se sont poursuivies jusqu’à minuit environ.

Puis, un soldat est arrivé dans la pièce où le témoin O et d’autres prisonniers étaient détenus. Il leur a dit que c’était leur tour et qu’ils devaient sortir deux par deux. Le témoin O a demandé à son oncle s’ils devaient sortir ensemble. Celui-ci lui a dit que non. Le témoin O est donc sorti en premier, avec un autre prisonnier. Il n’a plus jamais revu son oncle.

Dans le couloir, un soldat leur a dit d’ôter leurs vêtements jusqu’à la taille, ainsi que leurs chaussures. Le témoin O avait perdu les siennes dans les bois. Il a donc enlevé ses chaussettes. Les soldats lui ont attaché les mains dans le dos avec une corde, puis l’ont enfermé dans une salle de classe dont le sol était jonché de vêtements. Après avoir attaché les mains de tous les prisonniers, les soldats les ont fait sortir de l’école et les ont fait monter dans un camion. Le témoin O a alors entendu un coup de feu et quelqu’un dans le camion s’est mis à crier. Le véhicule a démarré et a roulé pendant une dizaine de minutes environ avant de s’arrêter. Les soldats ont fait descendre cinq prisonniers et le témoin O a de nouveau entendu des coups de feu.

Un prisonnier qui se tenait derrière lui a réussi à défaire ses liens et a demandé au témoin O s’il voulait qu’il le détache. Le témoin a répondu : « Non, je ne veux pas parce qu’ils vont me tuer. » Il a entendu des cris. Des prisonniers suppliaient : « Donnez-nous à boire et finissons-en. » Le témoin O s’est alors dit qu’il regrettait de ne pouvoir boire une dernière fois avant de mourir.

Le 15 juillet 1995, au petit matin, les soldats ont fait descendre le témoin O du camion et l’ont emmené dans un endroit où il a vu plusieurs rangées de cadavres. Au moment de descendre du véhicule, le témoin O a pensé qu’il allait mourir rapidement et qu’il ne souffrirait pas. « Mais, a-t-il déclaré, je me suis dit que ma mère ne saurait jamais où je me trouvais. »

Quand les soldats ont commencé à tirer, le témoin O s’est écroulé et a déclaré qu’il avait ressenti une douleur du côté droit de la poitrine et au bras droit. Il a entendu un homme pousser des gémissements à sa droite, mais il n’a pas crié ni appelé à l’aide. Il a déclaré qu’il attendait qu’une dernière balle vienne l’achever. Pendant qu’il attendait de mourir, le témoin a entendu d’autres rafales et des prisonniers s’écrouler. Quand les soldats ont arrêté de tirer, il en a entendu certains dire : « Votre gouvernement va vous échanger même morts. » Le témoin O a également dit qu’il avait entendu les soldats se moquer d’un mort en disant : « Regarde celui-là, il ressemble à un chou-fleur. »

Après le départ des soldats, le témoin O a vu un homme bouger devant lui. Il lui a demandé en chuchotant : « Est-ce que tu es vivant ? » L’homme a répondu : « Oui, détache-moi. »

Le témoin O s’est approché de l’homme en roulant sur les cadavres et a tenté de défaire ses liens avec les dents. À ce moment-là, le témoin O a vu arriver un camion. L’homme le suppliait de le détacher car il voulait s’enfuir et craignait que le témoin O ne l’abandonne. Alors qu’il avait toujours les mains liées, l’homme s’est relevé et a avancé en marchant sur les cadavres. Le témoin O l’a suivi à quatre pattes car il ne pouvait pas se tenir debout à cause de sa jambe qui le faisait terriblement souffrir.

« Tandis que nous avancions parmi les cadavres, je ne reconnaissais personne. C’était une vision d’horreur. Certains avaient été touchés à la tête. Leur crâne était béant. Je n’ai vu aucun survivant. »

Après avoir erré pendant plusieurs jours dans les bois, le témoin O et l’autre survivant ont réussi à gagner les territoires contrôlés par les Musulmans de Bosnie. Ainsi qu’il avait coutume de le faire à la fin de chaque déposition, le Président de la Chambre de première instance, le Juge Almiro Rodrigues a demandé au témoin O s’il souhaitait ajouter quoi que ce soit. Le témoin O a déclaré :

« Après tout ce que j’ai raconté, après tout ce que j’ai vu, j’en ai conclu qu’il s’agissait de meurtres très organisés, très systématiques, et je pense que les organisateurs de ces meurtres ne méritent pas d’être en liberté. Et si j’avais le droit et le courage de le faire, au nom de tous les innocents, je pardonnerais aux exécutants qui ont été trompés. Voilà ce que je voulais dire. »
 

Le témoin O a témoigné le 13 avril 2000 au procès de Radislav Krstić, ancien chef de l’armée des Serbes de Bosnie. Le Tribunal a déclaré Radislav Krstić coupable et l’a condamné à 35 ans d’emprisonnement pour son rôle dans les crimes dont le témoin O, entre autres, a été victime.

> Lire la version intégrale de la déposition du témoin O

 

 

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