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Miodrag Jokić

 … j’ai ressenti la nécessité pour nous, en tant que société responsable, de faire face de façon patente et sincère aux crimes de guerre qui ont été commis. J'ai pensé qu'il était important de commencer à coopérer avec le Tribunal et que, malgré toute l'opposition et le manque de compréhension dans le public, quelqu'un devait certainement mettre en route le processus d'acceptation de la responsabilité de demander le pardon des victimes, pour que  la réconciliation soit finalement possible.

Miodrag Jokić était commandant du neuvième secteur naval de la marine yougoslave, qui s’est rendue responsable de l’attaque contre la ville de Dubrovnik et ses alentours fin 1991. Les soldats sous ses ordres ont bombardé la vieille ville, classée au Patrimoine culturel mondial de l’humanité par l’UNESCO, tuant deux civils et faisant trois blessés. Des édifices consacrés à la religion, à la bienfaisance et à l’enseignement, aux arts et aux sciences, des monuments historiques, des œuvres d’art et des œuvres de caractère scientifique ont été délibérément endommagés ou détruits. En tant que commandant, Miodrag Jokić n’a pas pris les mesures nécessaires pour empêcher les bombardements ou y mettre un terme, ni pour en punir les responsables. Il était à l’époque l’officier le plus gradé de l’Armée populaire yougoslave à se livrer de son plein gré au Tribunal. Son plaidoyer de culpabilité allait rompre le silence qui s’était fait autour du bombardement de Dubrovnik. Miodrag Jokić a activement coopéré avec le Tribunal et a participé à des activités politiques visant à encourager une issue pacifique aux conflits qui sévissaient dans la région. Il a été condamné à 7 ans d’emprisonnement.

Lire son aveu de culpabilité

28 janvier 2004 (extrait du compte rendu d'audience)

[interprétation] Monsieur le Président, Messieurs les Juges, Madame le Procureur, je voudrais vous remercier de m'avoir donné cette occasion de prendre la parole devant vous. Il y a deux ans, immédiatement après que l'acte d'accusation a été rendu public, je me suis rendu aux organes du Tribunal de façon à répondre aux allégations, afin que la vérité puisse éclater. À cette époque, dans l'État où je me trouvais, il n'y avait pas de cadre juridique pour une coopération entre le Tribunal et l'État. Aucun des officiers contre lesquels un acte d'accusation était lancé ne s'était rendu. Et l'opinion publique était contre un tel acte.

Avec l'équipe de la Défense et avec une assistance vraiment minime, fournie par les organes de l'État et les militaires, j'ai examiné à fond les procès sur lesquels il y avait eu enquête, et  les allégations qui se trouvaient dans l'Accusation me concernant et concernant ma responsabilité individuelle et objective. J'étais conscient de ma responsabilité en tant que commandant pour les actes de mes subordonnés en temps de combat, et pour les erreurs, et les manquements dans l'exercice d'un commandement sur des effectifs.

En même temps, j'ai ressenti la nécessité pour nous, en tant que société responsable, de faire face de façon patente et sincère aux crimes de guerre qui avaient été commis. J'ai pensé qu'il était important de commencer à coopérer avec le Tribunal et que, malgré toute l'opposition et le manque de compréhension dans le public, quelqu'un devait certainement mettre en route le processus d'acceptation de la responsabilité de demander le pardon des victimes, pour que la réconciliation soit finalement possible.

Monsieur le Président, Messieurs les Juges, il y a deux motifs pour lesquels je me trouve ici aujourd'hui : la première raison, c'est ma conviction personnelle, la certitude qu'en tant que commandant j'ai une obligation personnelle, morale, d'assumer la responsabilité et de demander pardon pour les actes de mes subordonnés, même si je n'ai pas donné les ordres en ce sens. La deuxième raison, c'est ma conviction que ma reconnaissance de culpabilité et le fait que j'exprime mon repentir et mes remords sont plus importants que mon sort personnel.

Le 6 décembre 1991, deux personnes ont été tuées, trois personnes ont été blessées et des dommages importants ont été causés à des biens civils ainsi qu'à des monuments historiques et culturels dans la vieille ville de Dubrovnik. Le fait que ces personnes aient trouvé la mort dans le secteur dont j'étais responsable demeurera dans ma conscience pour le restant de mes jours. Je suis prêt à m'incliner devant toutes les victimes de ce conflit, quel que soit le côté où elles se trouvaient, avec la dignité d'un soldat.

En outre, bien que je l'aie déjà fait au moment où le bombardement avait lieu, à la radio et  à nouveau en personne par la suite,  je ressens l'obligation d'exprimer ma plus profonde compassion pour les  familles de ceux qui ont trouvé la mort ou qui ont été blessés, ainsi que pour les habitants de Dubrovnik, pour les souffrances et les dommages qui leur ont été causés par l'unité qui se trouvait sous mon commandement.

Je considère que l'expression de mes regrets constitue une condition préalable à la réconciliation et à la coexistence de divers peuples dans cette région. Monsieur le Président, Messieurs les Juges, j'ai été un soldat de carrière toute ma vie. Et en tant que tel, j'ai respecté et obéi au code de conduite des officiers en essayant de servir ma profession et mon pays de façon honorable.

C'est la raison pour laquelle je me trouve aujourd'hui devant vous en exprimant l'espoir que mon acte pourra contribuer à la réconciliation définitive et permettra aux peuples qui résident dans cette région de vivre ensemble. J’espère que cela créera également les conditions nécessaires pour que mon peuple ne porte pas la charge de cette responsabilité maintenant et à l'avenir. Je vous remercie beaucoup, Monsieur le Président, Messieurs les Juges.

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