Site Internet consacré à l’héritage du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie

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Ante Marković


Ante Marković était Premier ministre de la République socialiste fédérative de Yougoslavie (la « RSFY ») de 1989 à 1991.


Ante Marković informe la Chambre de ses vues sur les objectifs et les méthodes de Slobodan Milošević : « Milošević déclarait que la Bosnie-Herzégovine était une entité artificielle créée par Tito [l’ancien dirigeant de l’ex-République socialiste fédérative de Yougoslavie, Josip Broz Tito]. Et que finalement cette entité ne pouvait pas survivre en tant que telle, puisque la majorité des Musulmans vivant en Bosnie-Herzégovine étaient, en fait, des orthodoxes convertis par la force. »

« Slobodan Milošević s'est servi de toute chose pouvant lui assurer le pouvoir, l'autorité à l'égard des hommes, et si c’était le nationalisme, il s'en servait. Mais, en principe, il n'était pas un nationaliste. Il était tout simplement un homme prêt à se servir de toute ce qui lui permettrait d’asseoir son pouvoir. »

« [Milošević] disait une chose et il en faisait une autre. Ses actions différaient de ce qu'il avait dit. Il disait qu'il se battait pour la Serbie et, en réalité, il se battait pour quelque chose de tout à fait différent… Il ne me l'a jamais dit effectivement, mais il était tout à fait clair qu'il se battait pour la grande Serbie. »

Le témoignage d’Ante Marković porte essentiellement sur la période comprise entre mars 1989 et décembre 1991, qui coïncidait avec l’éclatement de la République socialiste fédérative de Yougoslavie (RSFY). Son témoignage a confirmé l’allégation de l’Accusation selon laquelle Slobodan Milošević contrôlait totalement l’appareil politique serbe, outrepassant de loin les droits que lui conféraient ses fonctions. Marković l’a dépeint comme un dirigeant à la tête froide et sans scrupules, qui avait une propension à éliminer ses opposants politiques. Il a montré comment Milošević amoindrissait l’autorité de l’état fédéral, et de quelle façon il poussait volontairement à la guerre en armant secrètement les Serbes de Bosnie, alors qu’officiellement il se disait ignorant de l’imminence des conflits et qu’il jouait le rôle d’un partisan de la paix.

Marković était un libéral, sur le plan politique comme sur le plan économique, qui avait à coeur de préserver l’unité de la RSFY et d’en faire une démocratie de type occidental. En raison de ces convictions, il était à couteaux tirés avec Milošević, qui était alors Président de Serbie. Comme Ante Marković était déterminé à camper sur ses positions, la relation politique entre les deux hommes était entachée de conflits et de désaccords.

Le témoignage d’Ante Marković a montré que les lois et institutions ne constituaient nullement un obstacle aux ambitions de Milošević.  Il a donné de nombreux exemples pour illustrer la façon dont Milošević  faisait obstacle au gouvernement de la RSFY. Marković a résumé la situation en ces termes: « [tout ce] qui [avait été] fait depuis le premier jour, avait pour but d'empêcher le fonctionnement du gouvernement. » Ainsi les fidèles de Milošević au Parlement essayaient-ils en permanence de renverser le gouvernement, et de saper les réformes prises par Marković pour restaurer l’économie. Donnant un autre exemple, Marković a raconté qu’il avait présenté son cabinet avec un mois de retard parce que Milosević insistait pour placer un homme qui lui était dévoué au poste de ministre de l’Intérieur, afin de pouvoir contrôler les services de renseignement.

Ante Marković a aussi témoigné de la détermination dont Milošević faisait preuve dans sa quête du pouvoir. Il organisait des manifestations populaires pour remplacer ses opposants, ce que Marković a appelé « une sorte de lynchage politique». Selon lui, Milošević avait même recours aux méthodes les plus extrêmes pour contrer l'opposition: en octobre 1991, alors que Marković rendait visite au président croate dans sa résidence de Zagreb, le bâtiment a été bombardé par des avions de chasse MIG-29, qui selon lui ne pouvaient provenir que de Belgrade et avaient été envoyés pour le tuer.

Marković a déclaré qu’avec de telles méthodes, en Serbie « absolument personne n’aurait pu imaginer faire quoi que ce soit qui n’allait pas dans le sens de  [Milošević]. »  Tout devait être fait suivant ses instructions et sous sa supervision. »  Pour  Marković, une personne qui aurait présenter des arguments opposés à ceux de  Milošević « ne [serait pas rester] plus de 24 heures au  poste qu’elle occupait ».

Le témoignage de Marković a également corroboré l'assertion de l'Accusation selon laquelle Milošević avait l'intention de s'emparer d'une partie de la Bosnie-Herzégovine. Marković a fait parti des témoins qui ont mentionné la rencontre secrète entre Milošević et le Président croate Franjo Tudjman (que le Procureur a accusé par la suite en tant que coauteur du nettoyage ethnique en Bosnie) en mars 1991 au pavillon de chasse de Karadjordjevo près de Belgrade. Marković a déclaré que par la suite,  lors de ses rencontres avec les dirigeants, ils lui ont tous deux confirmé « qu’ils s’étaient mis d’accord pour diviser la Bosnie-Herzégovine.»  Milošević se montrait indifférent à l’idée que la guerre puisse éclater en conséquence. Quand Marković lui a demandé « Mais qu'est-ce qui se passera si la guerre éclate tout de même[..]? » Milošević a répondu : « Et bien, nous verrons à ce moment-là. » Et il s'en est tenu là.

Milošević a toutefois pris des mesures concrètes qui allaient finalement conduire à la guerre en Bosnie-Herzégovine. Marković a rapporté à la Chambre qu’en juillet 1991, le dirigeant des Musulmans de Bosnie Alija Izetbegović l’avait informé de conversations téléphoniques entre Milošević et Radovan Karadžić, le dirigeant des Serbes de Bosnie qui allait être mis en accusation par le Tribunal par la suite. Marković a entendu ces conversations interceptées, et il lui a semblé clair que les Serbes de Bosnie se préparaient à la guerre et qu’ils étaient armés par Milošević. « Il ressortait à l'évidence que des unités paramilitaires serbes, présentes en Bosnie-Herzégovine, étaient en train de s'armer», a déclaré Marković. « Ils parlaient d'organisation de l'armée, de l'arrivée d'hélicoptères, de l'arrivée d'un certain colonel… Et de la distribution de munitions…»

Selon Marković, Miloševic était un homme avec qui il était difficile de travailler, qui ne disait jamais ce qu'il pensait, et avait tendance à nier même les faits les plus flagrants. A l’automne 1991, alors que les médias ne parlaient que des bombardements de Dubrovnik, Marković en a parlé à Milošević qui a répondu : « Qui aurait la folie de pilonner Dubrovnik ? D'abord, on ne la bombarde pas Dubrovnik. » En décembre 1991, alors que la guerre était imminente en Bosnie-Herzégovine, Milošević donnait l’impression d’être tout aussi crédule : « Quelle guerre ? Il n’y a pas de guerre, et il n’y aura pas de guerre. »

Ante Marković, homme d'affaires, était Directeur Général d'une grande entreprise croate  d'équipement électronique, de 1961 à 1984. Il s’est engagé dans la politique croate puis yougoslave, avant de devenir le dernier premier ministre de RSFY, de 1989 à 1991. Marković a ensuite repris sa carrière dans les affaires.

Lire le témoignage complet d'Ante Marković du 23 octobre 2003 et du 15 janvier 2004.